Sorbonne Université. On croit lire un texte en anglais, tant la formulation épouse la syntaxe de cette langue. Comme dans Stanford University. En fait, ne manque que le Y à Université et on y serait. Sorbonne University, vous ne trouvez pas que ça fait plus chic, plus moderne? Au diable le français de Richelieu!
En ancien français, on disait Université de la Sorbonne, tout simplement; c’était clair, c’était français. Mais voilà, ça ne faisait pas anglais.
Cette nouvelle entité résulte du regroupement de Paris-Sorbonne et de Pierre-et-Marie-Curie, communément appelées Paris-IV et Paris-VI.
À mon sens, il ne fait nul doute que d’ici 2030, l’auguste institution se fera appeler Sorbonne University, en faisant valoir le caractère de plus en plus international de son enseignement.
International parce que de nombreux cours seront dispensés en anglais, à cause du caractère « universel » de cette langue; l’afflux d’étudiants anglophones qui s’en suivra rendra la Sorbonne de plus en plus « internationale », donc ouverte à l’anglais. Une appellation anglaise ne fera que renforcer le rayonnement de l’université (vraiment?).
(Ceux qui m’accuseront de fabuler auraient intérêt à savoir que des étudiants anglophones étrangers trouvent le moyen d’étudier à l’Université Laval de Québec, sans connaitre le français.)
Les conséquences ne se feront pas attendre : Sorbonne Université ne sera que le prélude de Sorbonne University. Et il y a fort à parier que d’autres universités françaises emboiteront le pas avec enthousiasme.
Une tempête dans un verre de vin?
Ce qui se passe à la Sorbonne est l’arbre qui cache la forêt. J’ai écrit deux textes portant spécifiquement sur l’anglicisation de la France; dans d’autres articles, j’ai dénoncé la complaisance de nos cousins d’outre-Atlantique pour le sabir américain qu’ils tiennent à tout prix à glisser dans les slogans d’entreprises, dans les nouvelles télévisées et dans les conversations.
J’ai l’impression de me répéter.
Pourtant je ne suis pas le seul. À la mi-février 2022, l’Académie française a une nouvelle fois dénoncé le franglais qui envahit toutes les sphères en France. Extrait d’un article paru dans La Presse de Montréal :
Les exemples sont nombreux. Air France a sa « skyteam » ; Citroën, sa « Connect Box » ; Canal+, son « My Canal » et les meilleurs programmes en « live » et en « replay » ; les magasins Carrefour ont leurs « drive piéton » ; Ma French Bank utilise des « cookies » et offre le service « Let’s Cagnotte ».
Selon les Immortels, c’est maintenant la syntaxe qui est atteinte… comme au Canada (c’est moi qui ajoute). Un manager Travaux, vous connaissez?
Comme je l’ai déjà mentionné, les Français ne veulent plus traduire. Les expressions les plus simples en anglais sont importées telles quelles. On n’a qu’à penser à QR code, appelé couramment code QR au Canada. Sans oublier cloud, fake news, newsletter, low-cost, podcast, millenials, etc.
Et que dire du président Macron qui décrit la France comme une startup nation?
Alors si les universités s’y mettent aussi…
Mais alors, où un étudiant voulant suivre des études en français devra-t-il aller? Sera-ce encore possible?
Plus sérieusement, cette regrettable ruée des universités françaises vers l’anglais consacre l’idée que l’américain (car c’est de cette variante de l’anglais qu’il s’agit) sera demain la langue du savoir, de la science, de l’économie et, partant, du pouvoir… L’expertise ne sera plus francophone. Le rayonnement ne sera plus francophone. L’influence ne sera plus francophone.
Le français, autrefois langue savante, sera relégué au rang de langue vernaculaire, qu’on ne parlera plus guère qu’au comptoir, dans la rue ou chez soi (et quand je dis français, je pense hélas franglais).
C’est terrible, car cette hégémonie annoncée de l’anglais et cette dilution du français ne sont pas une fatalité. La disparition du français dans les hautes sphères ne sera pas tant le résultat d’une supériorité de la culture anglaise que celui d’un manque de fierté et d’un lâche renoncement de la part des autorités, des acteurs de la culture et des institutions françaises telle la Sorbonne.
Il est affligeant de voir le Français, si ordinairement chauvin pour le sport ou toutes sortes de conneries, manquer à ce point de fierté quand il s’agit de s’affirmer dans les domaines qui comptent. Il se sent si petit sous son béret qu’il croit se grandir en se précipitant vers une langue étrangère qu’il ne sait pas prononcer, mais qui lui donne l’impression de sortir de son Hexagone exigu et de s’internationaliser, comme s’il accédait à une dimension supérieure. Mais ce faisant, il ne brille pas comme il se l’imagine, il s’incline piteusement devant la suprématie d’un autre peuple.
Pourquoi baisser ainsi les bras devant l’anglais, en oubliant un peu vite que le français reste une des grandes langues du monde (parlée par plus de 250 millions de locuteurs, et dans trois décennies, par plus de 700 millions), et, surtout, qu’elle est toujours la troisième langue des affaires sur la planète? Comme quoi, il n’est pas indispensable de parler le Donald Trump ou le Jeff Bezos pour brasser des affaires. Il est donc un peu tôt pour enterrer notre belle langue et pour prêter allégeance à l’empire.
C’est aux hauts lieux de savoir qu’il appartient de pérenniser, à défaut d’avoir la fierté de l’imposer, la présence du français dans l’économie du savoir, dans la diplomatie, dans la science et dans tous les domaines où notre langue rayonnait et pâlit aujourd’hui. Si les Sorbonne de ce monde ne le font pas, qui le fera? Et pire pour cette institution, comment conservera-t-elle sa marque distinctive dans le monde, si elle rentre banalement dans le troupeau de ces dizaines d’universités qui offrent plus ou moins le même enseignement en anglais?
Merci Monsieur Racicot.