Les démocraties occidentales ont toujours eu du mal à affronter les régimes totalitaires. Les démocraties ne sont pas dirigées par une seule personne : le pouvoir doit composer avec des forces d’opposition, la presse, l’opinion publique, les groupes d’intérêt, etc. Il est beaucoup plus difficile d’en arriver à une prise de position solide qui rallie une forte majorité.
En outre, les démocraties doivent tenir compte de valeurs comme le respect des droits de la personne, de ceux des minorités et de plusieurs autres facteurs.
Les régimes autocratiques comme celui de la Russie de Poutine n’ont pas à composer avec tous ces facteurs. La situation est encore pire en Chine.
C’est pourquoi les démocraties se montrent souvent hésitantes devant des puissances impérialistes; elles donnent priorité à la négociation; elles donnent le bénéfice du doute à des dictateurs en se convainquant de leur bonne foi. Elles ont rarement raison et finissent par le regretter, car, trop souvent, le seul langage que les autocrates comprennent, c’est celui de la force. Pour eux, les tergiversations des régimes démocratiques sont autant de faiblesses à exploiter.
L’Occident et la Russie de Poutine
Les gouvernements occidentaux ne pourront jamais nous faire croire qu’ils n’ont rien vu venir.
- En 2007, la Russie procède à des cyberattaques massives en Estonie à la suite d’un désaccord. Ces attaques dirigées contre le parlement, des ministères, des journaux et des banques ont duré 23 jours.
- En 2008, la Russie a attaqué la Géorgie.
- En 2014, après les Jeux olympiques de Sotchi, la Russie envahit et annexe la Crimée.
- Depuis plus de sept ans, des séparatistes russes de l’est de l’Ukraine, aidés par Moscou, mènent une guerre larvée qui a fait 14 000 morts.
Le président russe a déjà déclaré que la chute de l’Union soviétique en 1991 était la plus grande tragédie du XXe siècle.Après les deux guerres mondiales et l’Holocauste? Vraiment? Le même Poutine a aussi déclaré que la démocratie libérale était un régime dépassé, ce qui explique la persécution et l’assassinat de certaines personnalités de l’opposition et l’absence d’élections libres dans ce pays.
L’impérialisme russe
La volonté de domination et d’expansion de la Russie n’a rien de nouveau. Pierre le Grand a mené une politique expansionniste. Avant la Révolution bolchévique de 1917, l’Empire de Russie contrôlait un territoire gigantesque qui regroupait des nations comme la Finlande, les pays baltes, la Pologne, l’Ukraine, la Biélorusse, la Moldavie, le Caucase et les peuples d’Asie centrale et orientale.
Au lendemain de la Révolution, certains pays comme la Finlande et la Pologne ont recouvré leur souveraineté. Mais rapidement, le régime bolchévique est devenu une dictature personnelle, celle de Joseph Staline, dont le règne a fait environ 15 millions de morts. D’ailleurs, Staline avait écrit que les nations étaient dépassées et l’expression du pouvoir bourgeois. Le Seconde Guerre mondiale allait lui donner l’occasion de montrer de quel bois il se chauffait.
La Seconde Guerre mondiale
Le pacte germano-soviétique conclu le 23 août 1939 entre Staline et Hitler a ouvert la porte à l’agression de la Pologne quelques jours plus tard. On oublie souvent que la Russie stalinienne a été un agresseur, au même titre que l’Allemagne nazie. Les troupes soviétiques ont déferlé en Pologne pour en annexer la moitié; les pays baltes ont eux aussi été envahis par les Soviétiques, puis annexés en 1945. L’Union soviétique a vainement tenté de s’emparer de la Finlande en 1940, elle qui avait fait partie de l’Empire de Russie. Le combat héroïque des soldats finlandais, qui harcelaient l’Armée rouge au point de l’embourber, a sauvé leur pays et leur a épargné la triste sort de devenir une république soviétique par la suite.
Cela dit, l’Union soviétique a payé un lourd tribut durant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands y menant une guerre d’extermination de ces sous-hommes qu’étaient les Slaves aux yeux des nazis. Plus 23 millions de Soviétiques ont péri. L’opiniâtreté des Soviétiques est largement responsable de la défaite de l’Allemagne nazie en 1945.
Pour cette raison, l’Union soviétique a fait partie du camp des vainqueurs, mais il faut se rappeler que la guerre lui a permis d’élargir son territoire et sa zone d’influence. La guerre d’extermination menée par l’Allemagne nazie ainsi que les guerres napoléoniennes un siècle plus tôt, ont rendu les Russes extrêmement craintifs par la suite. Ils craignent d’être envahis de nouveau et on peut les comprendre.
C’est ce qui explique que l’URSS a voulu constituer un glacis d’États socialistes pour l’isoler d’une éventuelle invasion de l’Ouest.
Création de l’Otan
L’implantation de régimes socialistes en Pologne, Hongrie, Albanie, Tchécoslovaquie, Allemagne de l’Est, Roumanie et en Yougoslavie ont marqué le début de Guerre froide. En 1948, il est devenu clair que Staline n’autoriserait jamais la tenue d’élections libres dans ces pays.
La question de l’expansion du communisme ailleurs en Europe se posait.
Les communistes avaient participé à la résistance en France, en Italie et en Grèce; ils jouissaient d’un grand prestige. En outre, la dévastation du continent européen constituait un terreau fertile pour la propagation de l’idéologie communiste.
La présence de l’Armée rouge dans l’est de l’Europe était inquiétante. Beaucoup craignaient que les Soviétiques soient tentés de poursuivre leur expansion vers l’Europe occidentale.
Les pays occidentaux ont ressenti le besoin de créer une alliance militaire pour stopper toute velléité d’expansion des Soviétiques. Des pays comme l’Allemagne de l’Ouest redoutaient d’être envahis à leur tour et de subir le triste sort des pays baltes.
L’Organisation du traité de l’Atlantique Nord est née pour cette raison. On peut affirmer sans aucun doute que sa présence a dissuadé Staline de tenter quoi que ce soit contre les pays d’Europe de l’Ouest. L’article 5 de la Charte de l’Atlantique prévoit en effet que toute attaque contre un membre entraîne automatiquement une réplique de la part des autres pays membres.
C’est un langage que les dictateurs et les autocrates comprennent très bien.
Le communisme en Europe de l’Est
L’imposition de régimes socialistes ne s’est pas faite sans heurts. Au fil des décennies, des révoltes ont éclaté un peu partout en Europe de l’Est contre un régime politique imposé de l’étranger.
- Allemagne de l’Est en 1953.
- Hongrie et Pologne en 1956.
- Tchécoslovaquie en 1968.
- Pologne en 1981.
- Les révolutions démocratiques de 1989.
Chute de l’Union soviétique
La chute de l’Union soviétique a été le tournant de la fin du dernier siècle. Pour Vladimir Poutine, elle a été une grande tragédie, car elle marquait la fin de l’impérialisme russe. L’émancipation de 15 républiques, la renaissance de l’Ukraine, des pays baltes, du Bélarus l’ont profondément perturbé.
La reconstitution d’un espace soviétique est devenue une obsession chez lui, avec les résultats que l’on voit.
Après la chute du communisme, le président Bush avait donné des assurances aux Russes que les Occidentaux ne chercheraient pas à élargir l’Alliance atlantique. Cette promesse n’a pas été respectée à cause des pressions intenses des anciennes « démocraties populaires ». Celles-ci voulaient à tout prix se joindre à l’Alliance atlantique pour éviter de tomber encore une fois sous la domination de la Russie. Le pouvoir de cette dernière était affaibli et les Occidentaux ont finalement accueilli les anciens pays de l’Est sous le chapiteau de l’Otan.
Pour Vladimir Poutine, cette trahison est impardonnable.
On peut reprocher aux pays démocratiques de ne pas avoir suffisamment tenté de redéfinir la politique globale de la sécurité européenne et y intégrant la Russie. On a continué de traiter en ennemi un pays en pleine déconfiture. L’admission de nouveaux États dans l’Otan n’a fait que dresser le régime de Moscou contre les pays démocratiques. Nous en voyons le résultat.
L’indispensable Otan
Si l’Otan n’existait pas, il faudrait l’inventer. La Russie de Poutine s’est attaquée à deux pays qui ne sont pas membres de l’organisation, soit la Géorgie et l’Ukraine, mais elle s’est bien gardée de s’en prendre à des pays membres de l’Otan.
Pensons aux trois pays baltes : la Lettonie, la Lituanie et l’Estonie. N’eût été de leur appartenance à l’Otan, il est clair qu’ils auraient déjà été envahis. Les trois pays ont fait les frais d’une tentative de russification à l’époque soviétique et comptent aujourd’hui des minorités russes. On imagine très bien le scénario : Vladimir Poutine dénonce le « génocide » en cours des minorités russes dans les pays baltes et vole à leur secours. L’Occident déplore l’agression mais reste les bras croisés. Ça vous rappelle quelque chose?
La Finlande pratique depuis 1945 une politique d’apaisement avec le géant russe (voir mon article). Pour cette raison, elle a renoncé à adhérer à l’Alliance atlantique et a cherché à entretenir de bons rapports avec Moscou. Le pays partage une frontière de 1300 km avec la Russie. Comme le disent les habitants, ils sont là, juste à côté.
Mais, devant l’agression sauvage de l’Ukraine, des parlementaires finlandais commencent à s’interroger sur une adhésion à l’Otan, ce qui serait une rupture décisive avec la politique qu’elle pratique depuis des décennies.
Idem pour la Suède qui, contrairement à la Norvège, envahie par les nazis en 1940, a choisi la neutralité. Depuis de nombreuses années, ses eaux territoriales sont fréquemment violées par des sous-marins russes venus espionner. À Stockholm aussi on se pose des questions et l’adhésion possible à l’Otan est maintenant envisagée.
L’Otan n’est pas une fantaisie; elle existe uniquement pour contenir l’impérialisme russe. Si elle est apparue désuète depuis la fin de la Guerre froide, son utilité et sa pertinence ne font plus de doute. La volonté du président Poutine de reconstituer l’espace soviétique est une menace directe pour tous les pays voisins, que Moscou appelle le « proche étranger ». Cette expression donne froid dans le dos.
Le parapluie de l’Otan est une ligne rouge qu’il ne peut franchir sans déclencher une nouvelle guerre mondiale.
Le peuple russe
Je doute beaucoup que le peuple russe souscrive aux ambitions impérialistes de Poutine. Élargir la sphère russe aux pays baltes, à la Finlande ou à l’Ukraine ne lui dit probablement pas grand-chose. Je doute aussi que les Russes entretiennent la même animosité envers l’Ukraine que leur président. Sinon, pourquoi celui-ci essaie-t-il de leur faire croire que l’Ukraine est gouvernée par des nazis… sous la tutelle d’un président juif, Zelenski?
Comme tous les peuples, les Russes aspirent à une vie tranquille, à la prospérité et à la sécurité. L’idée de reconstituer l’empire soviétique est bien loin de leurs préoccupations.
L’Ukraine
La guerre en Ukraine a commencé en 2014. L’Ukraine est devenue l’avant-poste de la démocratie face à la volonté de domination du régime autocratique de Poutine. Elle représente surtout un modèle démocratique qui va à l’encontre de la dictature qu’essaie de mettre en place le président russe. Un peuple qui parle à peu près la même langue que les Russes vit en démocratie… Poutine le perçoit comme une grave menace pour lui et c’est pourquoi il est en guerre contre l’Ukraine.
Comme d’habitude, les démocraties occidentales ont tergiversé et se battent maintenant à bout de bras, par Ukrainiens interposés, contre une certaine Russie, celle des autocrates et des oligarques. Poutine est allé aussi loin que les pays occidentaux le lui ont permis.
La situation aurait peut-être été très différente si les pays occidentaux, membres de l’Otan ou pas, avaient dépêché des troupes en Ukraine AVANT le début des hostilités. Nous défendons la démocratie et vous ne touchez pas à l’Ukraine. Une attaque contre nos troupes polonaises, hongroises, françaises, allemandes, espagnoles, néerlandaises, canadiennes et américaines est automatiquement un acte de guerre contre nous tous. Qu’en pensez-vous M. Poutine?
Pour paraphraser Churchill, les démocraties ont choisi la honte pour éviter la guerre; elles ont eu la honte et la guerre. À cause de leurs hésitations, les démocraties ne peuvent plus vraiment stopper Poutine sans risquer une conflagration majeure.
Au peuple russe de jouer maintenant.
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