Le charabia chic

On peut l’appeler charabia chic, ou langue de plastique ou jargon déshumanisé. Certains y verront de la pédanterie, de l’infatuation; d’autres parleront de la parlure prétentieuse de personnes qui cherchent à camoufler leurs carences linguistiques. Qu’importe, le fléau fait rage dans les relations publiques et envahit les reportages diffusés dans les médias.

Comme disait l’autre, n’en jetez plus, la cour est pleine.

Le milieu hospitalier est contaminé, avec ses centres hospitaliers, ses CHSLD, qui accueillent les heureux bénéficiaires, dont le véritable nom est patients, mot qui n’a jamais été aussi vrai. Si la première expression fait plus chic qu’un simple hôpital, la seconde est une expectoration du langage bureaucratique le plus infect. D’accord, on parlait auparavant d’hospice; mais que dirions-nous de maisons de retraite?

Le domaine des ressources humaines comporte aussi son jargon prétentieux. Mais faut-il vraiment rabaisser les employés au rang de ressources? Peut-être pour un comptable, mais encore…

Au gouvernement et ailleurs, il est déplacé de parler de problèmes (probablement parce qu’il n’y a que des solutions). Si l’on doit absolument admettre qu’il y a difficulté, pourquoi ne pas élever le tout en problématique? Cependant, on préfère habituellement discuter des défis qui nous attendent.

À propos de la fusion de deux entreprises, l’un des dirigeants avait dit, voilà quelques années : « Nous allons concrétiser les synergies. » Bel exemple de charabia chic. Prétentieux et obscur.

Entre vous et moi, existe-t-il un mot plus vide et inutile que synergie? Si l’on remonte à la racine grecque sunergia, on découvre… coopération. Tiens donc! Voilà donc ce qu’il voulait dire : stimuler la coopération entre les… joueurs? Mais non, les intervenants, les deux parties, les acteurs, etc. Tout le monde aurait compris.

Les entreprises ne poursuivent plus de buts, des objectifs. Non, elles ont des cibles. Évidemment, l’anglais n’est pas loin. Je ne sais pas si les cibles paraissent plus dynamiques, plus attirantes, mais, chose certaine, les porte-parole de ces entreprises ne font pas mouche… du moins sur le plan de la langue.

L’élévation de vocabulaire est devenue une seconde nature dans le monde des affaires. Le croirait-on, mais le partage est à l’honneur. Ainsi, on pratique le réseautage pour mieux partager des expériences. On échange aussi des pratiques exemplaires. Tout cela permet à tout le monde de grandir. Et quand on grandit, on est plus à même de déconstruire une problématique.

Traduction…

Lors de leurs rencontres, les gens d’affaires se communiquent leurs expériences, échangent des conseils pratiques, ce qui leur permet d’acquérir des connaissances, de progresser. De ce fait, ils sont mieux en mesure d’analyser un problèmeavec une précision chirurgicale? Non! Avec grande précision.

Bien entendu, le monde politique n’est pas à l’abri du charabia chic, d’autant que la vérité y est le plus souvent malmenée. Mais les politiciens ont-ils vraiment le choix? S’ils ouvrent leur cœur et disent ce qu’ils pensent, on les traitera de naïfs, en faisant valoir qu’ils ne comprennent pas les règles de la politique; s’ils se réfugient dans la langue de bois, on dira qu’ils sont hypocrites.

Toujours est-il que les débats sont devenus des conversations. Sont-ils pour autant plus civilisés, ce qui expliquerait cette atténuation de vocabulaire? Permettez-moi d’en douter. Les élections approchent et nous verrons bien si les politiciens conversent vraiment…

Parfois, les discussions permettent de dégager des consensus. Encore faut-il s’entendre sur le sens de ce terme. Le Larousse est sans équivoque : « Accord et consentement du plus grand nombre, de l’ensemble ou d’une large majorité de l’opinion publique. »

Un peu comme priorité ou impact, ce mot est malmené par les rédacteurs. Combien de fois n’est-il pas question de large consensus? Il serait peut-être plus simple d’écrire : « On s’entend pour dire que telle mesure est souhaitable. »?

Un petit dernier en terminant, la coqueluche des plumitifs qui sévissent dans la sphère publique : l’imputabilité des responsables ou des irresponsables, si vous préférez… Souvent, les porte-parole ressemblent à des pieuvres paniquées qui projettent de l’encre tout autour d’elles pour tenter de brouiller les pistes. Une personne est responsable, redevable, tout simplement. La rendre imputable lui donne-t-il un meilleur sens des responsabilités?

3 réflexions sur « Le charabia chic »

  1. Sans parler de cette tendance ridicule, dans les chaînes venues des États-Unis (Home Depot, Target…) et de plus en plus d’entreprises d’ici, à désigner les plus obscurs employés comme des « associés »! Associés à quoi, au juste? Ni aux décisions ni aux bénéfices en tout cas.

    1. Chez RONA, ils ont des voltigeurs. C’est joli. Dans un autre magasin dont j’oublie le nom, ils parlent d’associés… Je suis curieux de savoir quelle portion des bénéfices ils touchent…

  2. « RESSOURCES HUMAINES »

    Parmi les points intéressants mis en lumière par André Racicot, je relève avec plaisir celui relatif aux « ressources humaines ».

    Entièrement d’accord avec sa remarque. Cette expression « ressources humaines » est hideuse quand elle se substitue au terme « personnel » (comme dans « département des ressources humaines », qui devrait être le « département du personnel »).

    Il est regrettable que des organisations humanitaires comme l’ONU se soient amourachées de ce terme, qui, si on y réfléchis bien, n’est rien d’autre qu’un exact synonyme du terme « esclave » dans un contexte d’économie capitaliste outrancière.

    Par contre, il est en effet normal de parler de « ressources humaines » dans un contexte économique général (comme dans « les ressources financières et humaines »). JR

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