La rectitude politique…
Tout le monde en parle, certains la dénoncent à leurs risques et périls, mais combien tentent de la définir?
Ses retombées sur la langue courante sont considérables, pour le meilleur pour le pire. Pour le meilleur parce que bien des expressions insultantes sont bannies du vocabulaire; pour le pire parce que tout le monde sans exception finit par s’autocensurer. La crainte du faux pas est une obsession palpable tant dans le discours public que dans les conversations privées.
Dans cet article, je me pencherai sur le côté linguistique de la rectitude politique.
Définition
On peut aisément circonscrire le phénomène. Éviter, adoucir ou changer toute formulation pouvant heurter un certain public, notamment quand il est question d’ethnies, de cultures, de religions, d’infirmités, de classes sociales ou de préférences sexuelles.
« Vaste programme », aurait dit de Gaulle.
Les anglophones appellent la rectitude politique political correctness. On parle parfois de propos politiquement corrects en français. Il s’agit évidemment d’un calque.
Intégration
La rectitude politique est tellement intégrée dans le vocabulaire courant, qu’on tend à l’oublier. Sa manifestation la plus frappante est la féminisation des titres, qui, bien sûr, relève aussi du féminisme. Terme qui, en soi, ne devrait pas être considéré comme péjoratif, quoi qu’en pensent certaines femmes.
Le Québec a été à l’avant-garde de la francophonie en dressant une liste féminisée des titres de professions. Les pays francophones européens ont par la suite emboîté le pas. Seuls certains académiciens protestent encore…
La neutralisation de certains termes constitue un phénomène secondaire :
Chairperson pour chairman
Native American pour Indians
African Americans pour Blacks
Le français a lui aussi cheminé, puisque président a été féminisé en présidente; Autochtones a remplacé Indiens et Afro-Américain désigne les Noirs des États-Unis.
Les Noirs
Il va sans dire que les termes negro et nègres ne sont pratiquement plus employés. Jadis, le mot nègre constituait déjà une avancée, car il remplaçait sauvage. Au Canada, c’est ce mot que l’on employait pour désigner les Autochtones, d’ailleurs récemment rebaptisés Indigenous en anglais.
Le Robert précise que nègre est un « terme raciste, sauf s’il est employé par les Noirs eux-mêmes ».
Certains lui ont substitué l’expression personnes de couleur. Ce n’est pas un choix très heureux. Un Marocain, un Bangladais peuvent être considérés comme des personnes de couleur. Pourtant, ce ne sont pas des Noirs.
D’ailleurs, parler des Noirs est-il plus insultant qu’employer des mots comme Asiatiques, Caucasiens, Sud-Américains ?
Le ridicule ne tuant pas, on parle maintenant des blacks en Europe francophone…
Le monde médical
L’enfer est pavé de bonnes intentions, dit-on. Bon nombre d’expressions employées il y a une quarantaine d’années étaient franchement blessantes. Que l’on pense aux personnes souffrant de déficience intellectuelle : malades mentaux, handicapés mentaux, arriérés, débiles, mongoliens, mongols, déséquilibrés, malades, etc.
À présent, on parle de personnes souffrant de déficience intellectuelle, de déficients intellectuels.
L’appellation scientifique de trisomique est moins percutante que ce qu’on entendait il y a quarante ans, mais elle ne couvre pas tout le spectre des maladies mentales. Signe des temps, des appellations comme hyperactif, autiste, asperger sont apparues. Les personnes que l’on qualifiait de maniaco-dépressives sont maintenant appelées bipolaires.
Moins défendables sont les expressions qui évacuent des termes non offensants. On y voit l’empreinte de la bureaucratie. La liste s’allonge sans cesse…
Aveugle – non-voyant, malvoyant
Sourd – malentendant
Infirme – personne à mobilité réduite
Handicapé – personne handicapée
Patient – bénéficiaire
Amis, famille – aidants naturels
Cancer – longue maladie
Hôpital – centre hospitalier, pire : CISSS
Hospice – CHSLD
Beaucoup de gens veulent bannir le verbe souffrir pour le remplacer par un autre soi-disant plus neutre : avoir. Vous ne souffrez plus du cancer, du diabète, vous avez le cancer, vous vivez avec le diabète.
Une transformation radicale du vocabulaire
La peur d’insulter, d’exclure un groupe de personnes prend une ampleur démesurée. Au point où l’on assiste à un lessivage en règle du vocabulaire. Pour certains, le but est d’épurer le vocabulaire de toute trace réelle ou perçue de préjugé. Pour d’autres, la rectitude politique ne connaît plus de limite et étouffe la liberté d’expression.
Les exemples suivants illustrent à divers degrés ce phénomène :
Chômeur – sans-emploi, chercheur d’emploi
Misère, pauvreté – dénuement, exclusion
Avortement –interruption volontaire de grossesse
Mensonge – contre-vérité, demi-vérité
Réfugié – demandeur d’asile (qui n’est pas un synonyme véritable)
Vagabond, clochard – itinérant, sans-abri
Pornographique – au contenu explicite, pour adultes
Prostituée – travailleuse du sexe
Personnes âgées – troisième âge, aînés
Obèse – personne enveloppée, personne ayant une surcharge pondérale, personne épanouie (!)
Bien entendu, toutes ces substitutions ne sont pas à condamner, notamment lorsqu’elles permettent l’introduction de néologismes créatifs comme itinérant. Mais elles relèvent sans conteste du phénomène plus vaste de la rectitude politique.
L’orientation sexuelle
S’il est un domaine dans lequel les insultes pullulent, c’est bien celui de l’orientation sexuelle. Oublions les termes les plus dégradants que nous connaissons tous.
L’avancée la plus marquante à ce sujet est l’avènement du terme gai, bien sûr orthographié à l’anglaise en Europe.
Peu de gens en connaissent l’origine. San Francisco est depuis longtemps La Mecque des homosexuels. Lorsqu’une personne voulait entrer en contact avec ses semblables, elle demandait à un passant s’il connaissait un endroit gai. C’était une question codée. Les initiés en comprenaient immédiatement le sens réel. À la longue, le mot gai en est venu à désigner les homosexuels. Le terme lesbienne a en partie disparu au profit du féminin gaie, bien qu’on le voie encore.
Depuis, on essaie à tout prix de couvrir le spectre complet de la diversité sexuelle. Ainsi prolifèrent les transgenres, les bisexuels, les personnes en questionnement, etc. Autant de réalités que les anglophones ont tenté de rassembler sous le sigle abominable de LGBTQ2… Nouveau délire de la siglite aiguë qui a fait l’objet d’un billet dans ce blogue.
D’ailleurs, les néologismes prolifèrent dans le domaine : queer, two-spirited, questioning, intersex, asexual, ally, pansexual, agender, pangender, gender variant, etc.
En français, pour mettre de l’ordre dans cette écurie d’Augias, on commence à parler d’intersexualité. À suivre.
Mais c’est l’évolution du mot genre qui demeure la plus intéressante. L’anglais gender a fini par influencer le français, et ce pour les bonnes raisons. Le Robert définit genre de la manière suivante : « Construction sociale de l’identité sexuelle. »
Ce néologisme – certains crieront à l’anglicisme – vient nuancer le français. L’adjectif sexuel était quelque peu maladroit pour traduire certaines expressions. Pensons à gender issues, gender specialist, etc.
Conclusion
Que retenir de tout cela? Que les langues évoluent, certains mots prenant la poussière, d’autres épousant de nouveaux sens. Les dictionnaires sont remplis de mots qui ont fini par suivre un cours nouveau. En outre, les néologismes soulèvent parfois la controverse avant d’être adoptés.
On ne peut cependant manquer de relever un certain appauvrissement du vocabulaire quand des mots neutres sont jetés aux ordures et remplacés par des expressions plus vagues.
Il faut rester vigilant et dénoncer ces dérives, même au risque d’essuyer les critiques offensées de certains.
Vous pencherez-vous un jour sur l’utilisation de mots comme « autiste » et « hémiplégique » au sens, respectivement de « pas tout en fait en contact avec la réalité » et « porté à voir seulement un côté de la médaille » (enfin, selon ma compréhension de ce qu’on dit Manuel Valls et François Fillon, entre autres)?
Au Québec on a vu « autiste » dans le sens que vous donnez. C’est une métaphore, tout simplement. Elle montre que l’on est davantage conscient de ce que l’on appelle les troubles envahissants du développement, comme l’autisme. Quant à votre définition d’hémiplégique, je ne l’ai pas vue de ce côté-ci de l’Atlantique. Merci de me lire.