Ortografe…

Les rectifications orthographiques ont soulevé un tollé il y a plus de trente ans à un point tel que peu de publications les appliquent encore aujourd’hui. J’ai approfondi le sujet dans mon ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français, paru en 2020.

Une docteure en linguistique, Mireille Elchacar, chargée de cours à l’Université de Sherbrooke, relance la question au Québec. Son livre, Délier la langue, brille par sa concision et la clarté de son propos.

Son chapitre sur l’orthographe est remarquable. L’auteure explique que l’orthographe n’est rien d’autre, en fin de compte, que la représentation de la prononciation. L’invention de l’alphabet par les Phéniciens est un tournant dans l’histoire des langues. Auparavant, on représentait les mots par des dessins, comme les hiéroglyphes ou les idéogrammes chinois, ce qui rendait l’apprentissage de l’écriture extrêmement difficile. De nos jours, les Chinois doivent apprendre quelque cinq mille symboles pour être capables de lire et d’écrire.

L’alphabet tirait un trait sur cette façon de faire et décomposait les sons de la langue orale pour les écrire avec des lettres. Le but était donc de communiquer avec clarté. Il était logique d’écrire phonétiquement pour se simplifier la vie. Des langues comme l’espagnol, l’allemand ou l’italien s’écrivent au son et tout le monde trouve cela normal. Personne ne viendrait affirmer que l’espagnol est une langue inférieure au français parce que les Espagnols « écrivent au son ».

Comme le fait valoir Mme Elchacar : « Écrire au son, ce n’est pas un problème : c’est respecter le principe alphabétique. C’est la base même du système d’écriture que nous avons adopté. » Les langues écrites phonétiquement sont tout simplement plus efficaces.

Or, le français est une des langues dont l’apprentissage est le plus ardu, justement parce que son orthographe tarabiscotée est fastidieuse à apprendre. Pour l’auteure, « L’orthographe ne peut donc jamais devenir automatique, alors que c’est ce qui est souhaitable. »

Alors que Finnois, Grecs, Espagnols arrivent à plus de 95 pour 100 à lire les mots après une année de scolarisation, les Français affichent un piètre 79 pour cent.

Moderniser l’orthographe

L’écart entre l’écrit et l’oral ne cesse de se creuser depuis 1000 ans, et ce, malgré les multiples tentatives de simplifier le français au fil siècles, comme je le signale dans mon livre. Malheureusement, les francophones ont perdu de vue cette réalité pourtant très simple, à savoir que l’orthographe n’est rien d’autre que la transcription phonétique de la langue orale. En France, on a érigé l’orthographe en monument immuable de sorte que la moindre tentative de réforme suscite une levée de boucliers.

Comme le dit Mme Elchacar : « L’orthographe n’est pas une fatalité, une incongruité que l’on n’a pas le choix de subir : c’est un artéfact que l’on peut modeler. »

Si l’orthographe d’un mot change, la nature du mot reste intacte. Moderniser une graphie ne change rien au sens du mot. Qu’on écrive orthographe ou ortografe, le sens du mot reste le même.

Alibi

Ce mot est simple; il est alphabétique aussi bien que phonétique. Une pépite d’or. Il s’écrit exactement comme il se prononce. Des élèves de deuxième année l’écrivent correctement, mais pas ceux rendus en cinquième. Pourquoi? Parce que ces derniers ont compris qu’en français rien n’est jamais aussi simple qu’un alibi. Alors ils proposent toutes sortes de graphies, allant jusqu’à Halliby!

Je vais vous parler d’un outil de jardin imaginaire, le sloto. Je vous demande de l’écrire spontanément. Plusieurs obstacles se dressent devant nous.

Le premier est la multitude de façons d’écrire le son O : o, au, eau.

Slauteau, slotau, sleauto, sleautau, etc.

À cela s’ajoutent les improbables et imprévisibles lettres muettes. Elles peuvent être une consonne finale qu’on n’entend pas.

Slauteaud, slotaut, sleautop, sleautaug, etc.

Ces lettres muettes pourraient apparaitre en milieu de mot.

Slautheau, slothau, sleautho, sleauthau, etc.

Amusons-nous et ajoutons quelques digrammes.

Slauteault, slotauld, sleautost, sleautaux, etc.

Comme on le voit, le mot pourrait s’écrire de dizaines de façons. Cela n’a aucun sens.

Et le participe passé…

L’auteur partage mon opinion sur la nécessité et les moyens de simplifier l’accord du participe passé. Dixit : « Les participes passés employés avec l’auxiliaire avoir restent invariables; tous les autres s’accordent avec le sujet (ou avec le nom dans le cas du participe passé employé à la forme adjectivale. »

Finies les recherches fastidieuses dans le Grevisse, parce qu’on a affaire à une phrase complexe et que le complément d’objet direct est camouflé…

Voici les exemples que donne l’auteure.

Elles sont arrivées en retard.

Les invités déjà arrivés.

Ils se sont évanouis.

Elles se sont penchées.

J’ai lu un livre passionnant.

Les livres que j’ai lu étaient passionnants.

Des livres passionnants, j’en ai lu plusieurs.

Ces propositions ne sont pas une coquetterie que se permet l’auteure. Des langagiers comme moi et certains d’entre vous les défendent. D’ailleurs, certains organismes les mettent de l’avant ; le Conseil de la langue française; le Conseil de la langue française et des politiques linguistiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles; la Fédération internationale des professeurs de français; l’Association belge des professeurs de français. Et au Québec l’Association québécoise des professeur.es de français a pris position en faveur de cette réforme.

L’auteure suggère d’appliquer ces règles simplifiées dans nos écrits en précisant qu’ils sont recommandés par le Conseil de la langue française.

Certains s’y opposeront en faisant valoir qu’on se dirige vers l’anarchie. Cet argument ne tient pas. La grammaire et l’orthographe évoluent en fonction de l’usage; ce qui était fautif hier devient la nouvelle règle aujourd’hui.

Un jour, tout le monde se demandera comment on a pu pendant des siècles imposer une ortografe illogique et des règles d’accord incompréhensibles qui ont considérablement nui à l’apprentissage de notre belle langue.

14 réflexions sur « Ortografe… »

  1. J’ai déjà du mal à expliquer le pourquoi des O, AU et EAU à fiston qui apprend à lire.

    Bientôt ce sera pourquoi HÉRAUT, HÉRAULT et HÉROS? Pourquoi pas HÉRO?

    Viveman un ortograf simplifié 😉

    mg

    P.S. autre difficulté de logique ces jours-ci : « alors la lune c’est une fille et le soleil, un garçon? » (question de fiston)

  2. Totalement d’accord à 100 % avec tous les propos énoncés dans votre billet!

    Par contre, comme réviseure linguiste, je perçois de plus en plus l’orthographe réformée, à la fois dans les ouvrages linguistiques et dans les écrits de ma clientèle, entre autres parce que les logiciels de traitement de texte l’acceptent depuis plusieurs années. Aussi, à l’école, dans les listes de mots de vocabulaire à étudier, les deux graphies possibles pour un même mot sont étudiées. Un peu d’espoir pour une simplification de notre langue écrite!

  3. Je trouve pour le moins ironique et incohérent de voir l’Association québécoise des professeur.e.s de français préconiser une simplification de l’orthographe et de la grammaire, quand, à son intitulé même, on peut voir que cet organisme défend cette nouvelle version militante de l’écriture inclusive, qui est d’une tout autre complexité que les règles d’accord avec le COD placé avant le verbe avoir et que même la plupart de ses adeptes ne savent pas utiliser sans se tromper.

  4. Bonsoir

    C’est très bien de développer toute une argumentation sur une hypothèse mais encore faut-il, comme en maths, commencer par exposer cette hypothèse. En l’occurrence :

     » La diffusion de la langue française exige et justifie que son orthographe aujourd’hui étymologique devienne phonétique  »

    Parce que sans cela, tout s’effondre or cette hypothèse est par nature tout aussi contestable que défendable, ouvrages à l’appui: en réponse à _Délier la langue_ , voyez _La Guerre au français_ (MH Verdier, 2018), par exemple.

    Sinon, c’est un peu comme dérouler toute une argumentation sur l’intérêt de convertir les écoliers gauchers en écrivains de la main droite: ça peut se défendre… uniquement pour les langues écrites de gauche à droite. C’est pourquoi il faut commencer par le dire, par exposer l’hypothèse avant de dérouler.

    1. Petite question pernicieuse en prime :
      comment traiter l’homonymie en orthographe phonétique ?

      Par exemple, quelle traduction proposer pour la phrase suivante dans un français débarrassé de ses affreux oripeaux étymologiques ?

       » Sous des seaux d’eau, le garde des sceaux, traité de sot, fit un saut « 

      1. Probablement qu’en lisant : « Sous des sos d’eau, le garde des sos, traité de so, fit un so », on comprendrait tout de même le sens de la phrase, grâce au contexte. C’est ce qu’on appelle la polysémie.

        Mais, vous avez raison il n’est pas souhaitable de tout garder ces homographes et homophones… L’usage ferait probablement en sorte que l’orthographe de certains mots resteraient en vie alors que ceux les moins utilisés disparaitraient. C’est le cours normal des langues naturelles.

        Il faut aussi savoir que les caprices du français écrit sont le résultat d’innombrables interventions d’académiciens; souvent des choix étymologiques et arbitraires. Prenons l’exemple de seau. Il provient du latin sitellus. Pourquoi n’avoir pas choisi le mot sitelle au lieu de seau? C’est à se demander si ces chers académiciens n’ont pas fait exprès pour rendre le français inutilement compliqué… 🙂 En matière de langue, rien n’est coulé dans le béton; dans le passé, des choix ont été faits et rien n’empêche de pouvoir en faire d’autres aujourd’hui.

        1. Plaisante érudition mais argumentation moins évidente.

          Encore et à nouveau, administrer une leçon (la polysémie), trait classique des progressistes, pourquoi pas mais il faudrait d’abord poser simplement et clairement à quelle question ou quel argument, position on répond pour éviter la démonstration de culture hors sujet (autre trait)

          En l’occurrence, réponse à un argument qui n’est pas le mien :
           » il faut conserver l’étymologie du français parce qu’elle est cohérente et logique  »
          Non, jamais dit ça.
          Je dis: il faut conserver l’étymologie du français parce qu’elle transmet, raconte son histoire et même l’Histoire et fait sa beauté et que faciliter son apprentissage mondial (à supposer que la partie n’est pas perdue) en phonétisant est un indéniable argument mais ne suffit pas à faire pencher la (ma) balance.
          Si c’est le prix du remplacement mondial de l’anglais par le français demain matin, c’est négociable. S’il ne s’agit quede changer grand’mère en grand-mère comme le relève ailleurs notre hôte, aucun problème. Mais tifon pour typhon, so pour seau, sot, saut et sceau, c’est non, non et non.

          Cela n’a rien à voir avec la logique ou plutôt son absence, je crois sur parole vote érudition, qui a présidé à cette étymologie : sitelle pour seau eût tout autant mérité ma défense : il y a une histoire, une beauté qui se discute à l’infini entre sitelle et seau mais certainement pas entre ceux-là et so, sauf à jouer au sot ; le palais Garnier a toujours été un monument, l’opéra Bastille ne l’est pas.

          Poursuivons l’analogie :
          certains édifices, tel le Reichstag à Berlin, avec son dôme de verre ajouté au palais néoclassique, mêlent plusieurs styles: incohérent, voire _arbitraire_, n’est-ce pas ? On peut de là prôner un total ravalement façon Bauhaus : ce serait notre « Sous des sos d’eau, le garde des sos, traité de so, fit un so » et de même le contexte, Berlin, permettrait toujours de comprendre de quoi il s’agit : version urbanistique de la polysémie (si j’ai bien compris la leçon)

          Mon argumentation comporte un élément éminemment discutable : la beauté, l’esthétique. Certes, _at the end of the day_ – pardon, en définitive, il y a du jugement de valeur dans tout ça, du goût et des couleurs. Mais cette argumentation est construite et apparente, j’espère, à défaut d’être érudite.

          1. Si vous avez lu mon ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français, vous constaterez que je ne préconise nullement l’écriture au son. Il restera toujours en français une diversité de manières d’écrire les mots. Une coupe à blanc de l’orthographe serait catastrophique.

        2. A André Racicot plus haut, sur l’écriture au son :

          exact, c’est à l’ami Tardif que je réponds un peu vivement, il lui manque le séduisant équilibre qui m’attire ici.

          A propos de votre ouvrage Plaidoyer…, je m’avise avec ravissement qu’il est à présent commandable en version papier ici en France; à soixante euros l’exemplaire, toutefois, je vais peut-être opter pour le pdf chez Marcel Broquet.

          1. Eh non, il ne me manque pas de séduisant équilibre, puisque je suis d’accord avec vous pour ne pas changer l’orthographe des mots existants et pour préserver les marques étymologiques de ceux-ci, même s’ils s’éloignent de la prononciation lettre par lettre. On pourrait cependant s’efforcer un peu plus pour créer de nouveaux mots qui « sonnent » différemment au lieu de s’obstiner à en créer de nouveaux avec le même son (homophones), à l’image de l’exemple dans l’article : sloto, slauteau, slotau, sleauto, sleautau, etc.

            Beaucoup de langues romanes ont construit leurs mots à partir des mêmes mots que nous, mais ont très peu d’homographes homophones et aucun homographes non homophones. Nous pourrions en faire tout autant en français à l’avenir dans un but de simplification de notre langue.

  5. La résistance à la simplification de la langue écrite vient en grande partie de gens qui en ont tellement arraché pour arriver à maitriser LE français qu’une fois qu’ils jugent avoir atteint le pinacle, ils veulent pouvoir regarder les autres s’évertuer à essayer de les rejoindre! Ce sont ces mêmes gens qui ressortent la vieille idée reçue que simplifier l’orthographe, c’est de niveler par le bas… L’élitisme se serait-il pointé le nez?

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