Français et anglais : deux mentalités

Le français et l’anglais sont deux langues entremêlées. Leurs locuteurs ne partagent cependant pas la même mentalité.

Les invasions anglo-saxonnes

La langue anglaise n’a pas toujours eu l’allure qu’elle a actuellement. En fait, la Grande-Bretagne était jadis peuplée par des Celtes, comme la Gaule de jadis. Les invasions anglo-saxonnes, au cinquième siècle, ont façonné la langue anglaise. Les peuples celtiques sont refoulés au nord, en Écosse, à l’ouest, au pays de Galles, et en Cornouailles (nom singulier, féminin).

La gaélique

Les langues gaéliques de ces régions ont été laminées par l’anglais. Le cornique parlé en Cornouailles a disparu; seuls les Gallois emploient encore le gaélique. Les Irlandais ont tenté en vain au siècle dernier de le ressusciter.

L’anglais langue de synthèse

Les envahisseurs viennent de la Saxe, du Danemark (les Jutes), de la Frise (nord de la Belgique et des Pays-Bas actuels).

Ces peuples parlent des langues germaniques assez semblables. Les mots ont sensiblement les mêmes racines et les locuteurs peuvent se comprendre à la condition de laisser tomber les conjugaisons de verbes, les genres, les déclinaisons. Bref tout ce qui tend à compliquer la langue.

(C’est encore vrai aujourd’hui chez les peuples scandinaves : un Suédois peut comprendre le norvégien ou le danois.)

Divers royaumes sont fondés et, au fil des siècles, ils seront appelés à fusionner. C’est ainsi que s’élabore la langue anglaise.

La Conquête normande

La Conquête normande  qui se transforme brutalement. La conquête de l’Angleterre en 1066 par la Normandie marque un tournant, elle est un cataclysme pour l’ancien anglais, puisque le français devient langue officielle de la couronne britannique. Il le restera pendant 300 ans. Les emprunts au français sont massifs, sous l’influence de l’administration, de sorte que bon nombre de mots germaniques tombent en désuétude.

C’est ce qui fait dire à John Howell :

« La langue anglaise est du hollandais brodé de français. »

Et pour cause! L’étude de l’allemand, du néerlandais ou d’une langue scandinave permet vite de constater que l’anglais a perdu une bonne partie de ses racines germaniques

Français : transport; anglais : transport; allemand : Verkehr

Français : mouton; anglais : mutton; suédois : fårköt

Français : table; anglais : table; norvégien : bord

L’administration s’exprime en français et la population en anglais. Cela crée des problèmes de communication avec la population. Les agents de l’État doivent en tenir compte. Cette cohabitation des deux langues amène certains phénomènes :

  • L’existence de doublets français-anglais qui expriment la même réalité : trust and confidence. Le premier mot compris par la population, le second par l’administration.
  • La tendance en anglais moderne qui en découle d’utiliser plusieurs mots, souvent synonymes ou quasi-synonymes, pour exprimer une réalité simple.
  • Les mots français sont souvent déformés et leur sens finit par s’éloigner du français, d’où la pléthore de faux amis.

L’influence du français sur l’anglais

Bon nombre de mots anglais viennent de l’ancien français et ne se voient plus dans notre langue. Un bel exemple est remember, un descendant de remembrer, qui signifie « se souvenir ».

D’autres mots viennent du latin, comme cancel, qu’on retrouve en italien : cancellare.

L’anglais a aussi adopté des expressions françaises médiévales, depuis disparues en français. Fall in love vient de l’ancien français Tomber en amour. Cette expression a depuis été remplacée dans notre langue par Devenir amoureux.

Bon nombre d’anglicismes du Canada sont en fait du vieux français transmis par l’anglais moderne.

On peut estimer que plus de la moitié du vocabulaire anglais dérive du français. Comme cela arrive souvent, les mots voyagent dans les deux directions. Cela signifie que des mots ou expressions considérées comme des anglicismes sont en fait des gallicismes déguisés.

Deux exemples :

1) Le tennis

Ce jeu anglais vient de la France. Il s’appelait le jeu de paume. On tendait la balle à l’adversaire en lui disant : «  Tenez. » Ce qui a donné tennis en anglais.

2) Test

Voilà un mot anglais dont certains pourraient contester l’utilité dans notre langue. Pourquoi pas essai, vérification, mise à l’épreuve?…

En fait, il est question d’une tête… En ancien français : teste. Graphie révisée : tête.

L’anglais a importé ce mot et lui a donné une signification précise. Le français a emprunté son propre rejeton, avec le sens anglais. Dans un sens, on peut dire que test est un faux anglicisme.

Les dictionnaires français toujours en retard sur l’usage

Les différences d’optiques entre lexicographes français et anglais sont une juste représentation des mentalités divergentes de part et d’autre de la Manche.

Les lexicographes français montrent beaucoup de réticence à intégrer des néologismes récents avant d’avoir l’assurance que ces mots auront une certaine pérennité.

Tout d’abord, il faut être conscient que les ouvrages de langue n’arrivent pas à répertorier la totalité du vocabulaire et des expressions. Beaucoup sont laissés de côté.

Exemple frappant : tenir pour acquis. On suggère cette expression pour remplacer le faux anglicisme prendre pour acquis. Celui-ci n’est rien d’autre que de l’ancien français. Il ne figure plus dans les dictionnaires. Pas plus d’ailleurs que tenir pour acquis… Le Robert-Collins donne tenir pour certain…

En clair, ce n’est parce qu’une expression est absente des ouvrages de langue qu’elle est nécessairement à bannir. L’usage évolue, ce qui était condamné il y a quelques années finit par être accepté. Une certaine souplesse s’impose.

La principale difficulté des ouvrages didactiques du français est leur rigidité, leur difficulté à consigner les nouveaux usages.

Les exemples sont multiples.

La locution lors de s’emploie maintenant aussi bien au futur qu’au présent. Elle peut parfois désigner une réalité intemporelle.

Lors de son prochain congrès, le Parti libéral étudiera un projet de motion.

Lors de l’ouverture des portes, un mécanisme de sécurité est activé.

Malgré le nombre écrasant d’exemples dans ce sens, tant le Larousse que le Robert continuent de s’en tenir à la définition « à l’époque de… », tous les exemples étant au passé.

Cette rigidité des lexicographes français est symbolique.

Du côté des anglophones

L’une des grandes différences entre les deux langues est l’existence de l’Académie française, une institution inimaginable pour les anglophones.

Deux mentalités se heurtent de plein fouet.

Les anglophones estiment que la langue appartient à tous, et non pas à une élite qui essaie de tout réglementer. Par conséquent, on est libre d’inventer des mots au besoin, d’en modifier le sens; le substantif peut devenir verbe, ce dernier peut être substantivé.

Lorsque l’anglophone voit une expression nouvelle, son premier réflexe n’est pas de chercher au dictionnaire. Il se demandera plutôt s’il l’a entendue ou lue quelque part. Son usage est-il marginal? Est-ce que mon lecteur comprendra ce que j’écris? Tiens, pendant que j’y pense, est-elle au dictionnaire? Probablement pas, il me semble que c’est nouveau.

Bon, je vais l’employer.

Le francophone, lui, est déchiré. Il consulte tout de suite le dictionnaire. L’expression ne s’y trouve pas, horreur! Comme beaucoup de ses semblables, il aura tendance à réagir ainsi :

  • Ce n’est pas au dictionnaire, donc ça ne se dit pas.
  • Ce n’est pas français, donc l’expression est à bannir.
  • Utiliser cette expression serait une faute.
  • Si je l’emploie, on va me critiquer.

Écrire en français est autrement plus angoissant qu’écrire en anglais.

Le francophone cherche une autorité pour le conforter dans sa décision. Si ce n’est pas un dictionnaire, un ouvrage sur les difficultés, pourquoi pas l’Académie française? Fondée en 1634, elle a été brièvement abolie pendant la Révolution française. Mais Napoléon n’a pas tardé à la rétablir.

Pour les francophones elle est une nécessité, pour les anglophones une aberration.

 

 

Une réflexion sur « Français et anglais : deux mentalités »

  1. Bonjour,

    la codification rigoureuse de la langue, grâce à l’Académie française, permet d’assurer qu’un message est parfaitement clair pour les destinataires dudit message, puisque le vocabulaire et la syntaxe sont, dans la mesure du possible, parfaitement définis. La contrepartie est que la réalisation d’un énnoncé correct en français est loin d’être aisé.

    Le but du français est de répondre à la volonté du roi de France François Ier, qui, dans l’aticle 110 de l’Ordonnance de Villers-Coterêt, en 1539, édicte :  »Que les arrêts soient clairs et compréhensibles, et afin qu’il n’y ait pas de raison de douter sur le sens de ces arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il ne puisse y avoir aucune ambiguïté ou incertitude, ni de raison d’en demander une explication. »

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *