Voilà deux fois que vous m’apostrophez parce que j’émets des critiques au sujet de la langue française en France. Cette fois-ci, je me permets de répondre plus en détail.
Vous n’avez pas aimé mon article intitulé Pluriel tendance, soit. C’est votre droit. Mais les raisons pour lesquelles vous le faites sont erronées. Vous semblez croire que je me moque de quelques usages français dans lesquels certains mots sont mis au pluriel, alors qu’ils sont au singulier au Canada.
Or, je mentionne très clairement que même si certains pourraient y voir du snobisme, il s’agit en fait d’une illustration de la souplesse du français. Je n’ai jamais avancé que des expressions comme « les urgences » ou « les personnels » étaient fautives. (Je trouve même qu’il y a une certaine logique à mettre urgences au pluriel.) C’est plutôt avec un certain amusement que je constatais que l’usage est différent des deux côtés de l’Atlantique.
Et c’est normal. Lorsqu’un Européen nous reprend de dire carrosse au lieu de landau, je ne prends pas la mouche. Une Camerounaise s’étonnait de ma prononciation ouverte des nasales an, on, in, an. J’ai bien accueilli sa remarque.
Encore une fois, vous me servez une diatribe sur la piètre qualité du français au Canada. Je vous ai déjà dit que vous aviez parfaitement raison. Je le déplore autant que vous.
« Au Canada, les Québécois francophones (pour ne citer qu’eux) ont une fâcheuse tendance (justement !) à ne jamais remettre en question les tournures fossilisées (incorrectes, bancales ou incongrues) calquées sur l’anglais qu’ils utilisent et reproduisent à l’envi sans même s’en rendre compte. Mais bien sûr, cela n’a rien de nouveau. »
Si vous consultez l’index des mes quelque 300 billets, vous constaterez que l’écrasante majorité dénonce le délabrement du français au Canada, avec ses calques syntaxiques, ses solécismes, ses impropriétés. Maintes fois, j’ai souligné l’incapacité tragique des élites (politiciens, artistes, gens d’affaires, communicateurs, etc.) à s’exprimer dans une langue correcte. J’ai éperonné mes compatriotes pour leur paresse à se corriger.
Dans un nombre restreint de billets, j’ai dénoncé les délires anglicisants des Français. (Mon pluriel vous plaît?) Et même si l’état du français au Québec et partout au Canada est désolant, je pense que c’est mon droit de le faire, que cela vous plaise ou non.
Mais le fond de la question, c’est vous êtes agacé que, de temps à autre, j’ose émettre des critiques sur la langue parlée dans l’Hexagone. « Il y a aussi une propension québécoise quasi systématique, dans la sphère langagière entre autres, à prendre de haut – voire à vilipender – les usages des Francophones européens… »
Je ne sais pas exactement qui prend qui de haut dans toute cette histoire. Mais j’ai souvent remarqué que les Européens sont piqués lorsqu’un Québécois a l’outrecuidance de dénoncer certains usages du Vieux Continent, notamment les anglicismes.
Votre réaction n’a donc rien de nouveau pour moi, mais sa virulence étonne.
Le pire, c’est que vous vivez au Canada. Il me semble que vous devriez mieux comprendre ce qui se passe ici. Il y a de bonnes raisons pour lesquelles le français canadien est en si piteux état.
La France a légué sa langue aux Canadiens et Québécois, avant de les abandonner aux Anglais, par le traité de Paris, en 1763. Malgré tout, le français a survécu, écorché, parfois exsangue, mais il est encore bien vivant. D’autres peuples y auraient passé, mais pas nous.
Le français est parlé sur les cinq continents. Il n’est donc plus la propriété exclusive des Français. C’est un trésor collectif que nous chérissons tous, peu importe notre maîtrise de la langue. Autant les Québécois que les Sénégalais, les Vietnamiens ou les Roumains ont le droit de discuter de la qualité du français, que ce soit en France, en Belgique ou ailleurs.
Non, je ne me tairai pas.
Excellent billet – comme tous les autres. Merci pour ce blogue toujours très intéressant et instructif.
Je crois que nous, francophones, avons l’épiderme un peu sensible quand il est question de notre langue. M. Lionel Meney a été tout aussi incompris lorsqu’il a publié son dictionnaire québécois-français, certains Québécois s’offusquant qu’un Français veuille leur faire la leçon. Pourtant, son seul objectif consistait à permettre une meilleure communication entre nos deux pays : les Français disent ceci, les Québécois disent cela, et chacun est bien chez soi. Il ne fallait pas voir une critique ou un effort de rectitude linguistique derrière cet ouvrage. La langue étant l’expression de notre réalité, il est normal que nos deux régions ne parlent pas de la même manière. Cela fait notre charme particulier. Alors goûtons à l’exotisme linguistique de nos cousins de toute origine, tout en tâchant de nous accepter et de nous comprendre 🙂
Monsieur,
Merci pour vos vues et je prends acte de votre critique constructive à mon endroit.
Je dois vous dire que loin de moi était l’idée de vous prendre à partie dans votre billet sur le pluriel tendance.
À vrai dire, j’ai maladroitement profité de l’occasion pour exprimer un ras-le-bol…
Il y a un véritable sentiment anti-français chez de nombreux Québécois dans le « milieu langagier » au Canada, mais pas seulement. C’est un fait.
Je corrige à longueur de journée, dans une optique pédagogique, des textes écrits par des Québécois et je me fais par trop souvent dire : « Mais ça, c’est français [comprendre : hexagonal], c’est pas ce qui se dit ici ! »…
Les aménagistes sont légion ici. Et de l’aménagisme à l’intolérance, le pas est vite franchi (cf. le commentaire de Julie Bergeron dans le billet Pluriel tendance).
Heureusement qu’il y a, au Québec, des linguistes québécois « internationalisants » qui disent les mêmes choses, mais bien mieux que moi.
Je vous présente donc mes excuses pour avoir suscité cette réaction de votre part.
Comme je l’ai dit auparavant, votre blog(ue) servira sans doute à faire avancer les mentalités, dans le tout petit monde de la langue au Canada.
De mon côté, je continue, sans courber l’échine et en tant que Canadien fier, à apporter ma modeste pierre à l’édifice francophone canadien.
Pour avoir vécu en France durant 39 ans et au Québec durant 18 ans, je suis à même d’évaluer ce qu’il en est. Il faut, avant toute chose, à mon avis, circonscrire la portée de la comparaison, à savoir le niveau de langue et le niveau d’éducation des interlocuteurs.
La comparaison la plus éloquente me semble être celle que l’on peut faire parmi les gens pour qui la langue est un outil de travail essentiel, comme les rédacteurs, traducteurs, journalistes, etc.). Il est bon aussi de se limiter à l’écrit ou à l’oral pratiqué officiellement ou publiquement, à l’exclusion de la langue parlée au quotidien dans la rue, qui peut être aussi discutable en France,
D’emblée, il ne fait aucun doute que la syntaxe demeure infiniment meilleure en France qu’au Québec, ne serait-ce, effectivement, qu’en raison des constructions anglaises qui polluent notre français nord-américain. En revanche, sur la question du vocabulaire, le français du Québec rivalise très bien avec le français de France et tend même à le dépasser, tant nous avons fait des efforts de ce côté-ci de la flaque et tant je trouve que la qualité de la langue parlée dans l’Hexagone s’est détériorée depuis près de 20 ans que j’ai quitté ce pays (n’y voyez aucune relation de cause à effet). Outre les anglicismes évidents par leur forme, et parfois même inventés (footing, tennisman, etc,), de plus en plus nombreux, les calques sémantiques s’y multiplient. Que l’on songe simplement à la « régulation » et aux « régulateurs », improprement employés dans leur sens anglais, qui ont nettement fait reculer l’usage de « réglementation ». Autrefois, les Français pouvaient prétendre qu’ils employaient des anglicismes, mais qu’ils en étaient conscients, car ces anglicismes étaient morphologiquement anglais, mais ce n’est pas vrai pour les calques sémantiques. En outre, il y a lieu de s’inquiéter quand le mot anglais vient plus spontanément à l’esprit que le mot français chez le locuteur français. Le remplacement et la disparition du terme français ne sont pas loin. Un phénomène que j’observe, est cette tendance, dans les émissions françaises, à employer le bon mot français, puis à y greffer immédiatement le mot anglais correspondant, comme s’il était censé être plus compréhensible,
Plus grave, la syntaxe anglaise commence à gruger la langue française : les constructions de type 4G-ready (SFR) ou « macron-compatible » (Android-compatible, etc.) en sont des exemples éloquents. On commence également à voir de plus en plus de participes présents construits à l’anglaise, c.-à-d. dont le référent n’est plus un syntagme, mais une idée.
Enfin, la qualité de l’orthographe a singulièrement chuté en France. Cela est peut-être dû à la baisse générale du niveau de l’enseignement en France : http://bit.ly/2ARBprG, mais le fait est là.
Les Français devraient donc se garder de trop critiquer le français du Québec, car la France est en train de perdre le sien. Cela sans parler des domaines où le Québec est en avance sur la France, comme sur le plan de la féminisation des titres ou des néologismes servant à désigner les concepts nouveaux.
Dernier point, je me demande pourquoi les Français sont si friands d’employer des mots anglais qu’ils ne savent même pas prononcer (ze voice, batteul fèveur, etc.). Encore ce matin, sur France Info, j’entendais parler d’outlaws, prononcé « aoutlôz », avec un « o » bien fermé. Il me semble que, quand on veut se la jouer personne cosmopolite et « globalisée », on essaie au moins d’améliorer un peu sa prononciation… Encore que ce n’est sûrement pas très grave lorsqu’il ne s’agit que d’impressionner d’autres Français ou de s’impressionner soi-même.
Car il est vrai que le Français trippe, quand on lui demande le sens du mot anglais qu’il vient de (mal) prononcer et que, de son air supérieur, il peut en expliquer le sens, en prenant l’air étonné que son interlocuteur ignore ce mot que tous les gens branchés (dont, sous-entendu, on fait partie) devraient pourtant connaître…
Cela dit, il est vrai que tout n’est pas rose au Québec, et que ceux qui s’autointitulent nos élites, à commencer par nos élus, ministres, nos animateurs radio ou télé, etc, font peine à voir quand ils sont incapables de faire une phrase qui ait du sens en français… Comment croire qu’ils ont les idées claires et qu’ils savent de quoi ils parlent quand ils ne savent pas les exprimer. Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et l;es mots pour le dire viennent aisément, disait Boileau.
Mais à l’écrit, nous sommes de moins en moins ridicules par rapport aux Français.
L’agressivité ne sert à rien, en effet.
Dans une perspective d’échange et de dialogue, en matière de langue, il est plus constructif de (se) poser les bonnes questions et d’apporter des éléments de réponse qui suscitent la réflexion, dans la mesure du possible.
C’est ce qu’on pourrait appeler « tirer les gens vers le haut ».
Pointer les différences d’usage, de vocabulaire, de syntaxe, etc. avec des visées quasi belliqueuses ne fait qu’exacerber les postures de part et d’autre.
J’en apprends tous les jours sur mes langues maternelle et paternelle (le français et l’anglais) dans le cadre de mon travail, au contact de mes collègues, par mes recherches personnelles et aussi, entre autres, par ce que je lis sur des plateformes comme celles-ci.
La langue (française) est un levier puissant de lien social, économique et idéologique : n’est-ce pas cela qui devrait nous fédérer plutôt que nous diviser ?
Monsieur Racicot nous donne la possibilité d’exprimer librement nos opinions sur son blogue – aussi convient-il de garder cet espace exempt de sources de dissension.
Continuons de faire avancer les choses avec intelligence, respect et convivialité.
Merci.
Tu as bien raison
Lilla
mekkalill@hotmail.fr
Mais qui est ce Français fâché ?
La langue français est plurielle, multicolore, diverse. La France n’en a pas le monopole. Citoyenne franco-canadienne ayant vécu au Canada plusieurs années et vivant actuellement en France, je peux affirmer que ce n’est pas en France que l’on parle le mieux le français. La grammaire est mise à mal et les anglicismes pleuvent… La langue française est française, mais aussi belge, canadienne, malienne, malgache, suisse, monégasque… La francophonie est vaste. Se fâcher contre les anglicismes québécois quand on est français, c’est ne pas voir la poutre… Défendons la langue française sans la critiquer. Défendons ses lettres de noblesse, redorons-lui le blason au lieu de pointer du doigt les erreurs que nous entendons et de blâmer le voisin.