Pluriel tendance

Allez-vous aux urgences? Tout dépend si vous êtes au Canada ou en Europe. Car là-bas il est courant de mettre le pluriel. Donc, si avez un malaise soudain, on vous emmènera aux urgences en France et à l’urgence au Canada.

Cette utilisation divergente du pluriel n’est pas unique. Dans le Vieux Continent, on met au pluriel ce qui est au singulier en Amérique. C’est ce que j’appellerai d’un ton badin le pluriel tendance.

La phrase suivante puisée dans un manuel français pourrait surprendre de ce côté-ci de l’Atlantique :

Que vous soyez formateurs de métier ou que vous fassiez partie des personnels à qui l’on demande de diffuser leurs connaissances professionnelles.

Voici d’autres énoncés qui paraîtront naturels dans l’Hexagone mais qui surprendront quelque peu ici :

Le gouvernement de la France assure l’égalité des chances au moyen des aides sociales.

Au Québec, on parle couramment de l’aide sociale.

Les contenus à diffuser dans un cours.

Le contenu voulez-vous dire?

Je ne pense pas qu’il faille s’inquiéter de ce phénomène. Certains y verront un tic langagier, d’autre du snobisme. Et si ce tandem malicieux singulier-pluriel n’était que l’illustration de la souplesse du français?

Le pluriel tendance se voit aussi au Québec. En voici deux relevés dans Le Devoir du 5 décembre : «Les équilibres de nos sociétés démocratiques sont tributaires de la disponibilité d’informations de qualité.»

L’alternance pluriel-singulier se voit aussi dans la dénomination des matières universitaires. Dans ce cas-ci, cela n’a rien à avoir avec des divergences de discours avec nos cousins d’outre-Atlantique. Ainsi, vous pouvez étudier la science politique, et ce aussi bien à l’Université de Montréal qu’à celle de la Sorbonne. En anglais, on utilise aussi le singulier : political science. Par contre, l’allemand s’endimanche en recourant au pluriel : politische Wissenschaften.

Les choses se compliquent avec la science économique – à moins qu’il ne s’agisse des sciences économiques. Mais les deux appellations de voient.

Il est vrai que la science économique est une discipline singulière qui comporte bien des pluriels.

10 réflexions sur « Pluriel tendance »

  1. Bonjour,
    Je ne vois pas en quoi ce pluriel serait « tendance », sachant qu’on utilise par exemple « les urgences » depuis des années et des années. D’autre part, je n’ai jamais entendu ni lu « les personnels ». Quant aux aides sociales, c’est simplement qu’il y en a plusieurs types.

    1. À ma connaissance, les personnels s’employait initialement dans l’armée en France, pour désigner les membres du personnel des armées, Cet usage s’est répandu dans d’autres domaines. Mais les personnels désignent fondamentalement les membres du personnel ou éventuellement, les catégories de personnel. Le personnel reste le terme collectif à employer, même en France.

  2. Bonjour,

    Pour « l’urgence » employé au lieu de « les urgences », j’y vois personnellement une influence de l’anglais Emergency au Canada francophone.

    Il n’y a pas une seule urgence dans un hôpital, mais bien plusieurs (accidents de la route, péritonites, chutes graves, arrêts cardiaques, etc.), même si elles sont traitées plus ou moins au même endroit…

    Il n’y a aucune logique dans « Je vais à l’urgence » ou « Il a été emmené à l’urgence », à mon sens.

    Pour « les personnels », rien de choquant là-dedans… C’est quelque chose qu’on entend et qu’on lit fréquemment dans les milieux de la défense, de la diplomatie, etc. depuis des décennies. Rien de « tendance », là non plus.

    Même chose pour « les aides sociales », « les solidarités », « les réseaux associatifs », etc.

    Au Canada, les Québécois francophones (pour ne citer qu’eux) ont une fâcheuse tendance (justement !) à ne jamais remettre en question les tournures fossilisées (incorrectes, bancales ou incongrues) calquées sur l’anglais qu’ils utilisent et reproduisent à l’envi sans même s’en rendre compte. Mais bien sûr, cela n’a rien de nouveau.

    Il y a aussi une propension québécoise quasi systématique, dans la sphère langagière entre autres, à prendre de haut – voire à vilipender – les usages des Francophones européens, en prenant tout simplement comme excuse que le paysage publicitaire et audiovisuel en France, en Belgique, en Suisse et au Luxembourg est fortement mâtiné de globish (ce n’est pas de l’anglais). Cela est bien entendu consternant, mais c’est un autre débat.

    Encore une fois, on mélange tout.

    Car enfin, à titre d’exemple, il suffit de comparer la presse européenne et la presse francophone canadienne, ou de lire les sites Web (en français) des ministères français, suisses et belges pour constater, en toute honnêteté, la différence de niveau de langue avec leurs pendants canadiens (y compris québécois).

    En l’espèce, il y aurait plutôt « urgence » (sans s) à relever le niveau de français dans les écoles et les universités francophones au Canada… mais aussi à prendre des mesures pour enrayer la gravissime « tendance » à la baisse de la connaissance et de la maîtrise de la langue de Molière dans l’Hexagone.

    1. «Il n’y a aucune logique dans « Je vais à l’urgence »…»
      On n’en est pas à une métonymie près, il me semble, et la métonymie provient certainement de l’usage (il serait intéressant de faire l’enquête), un très fort usage, il faut le dire, puisque l’OQLF utilise le pluriel dans ses fiches officielles de 2010 (GDT): salle des urgences, service des urgences…
      Usage tellement fort que même ma langue de langagier crochit un peu dans l’hésitation en prononçant ces deux expressions.
      Même que dans un hôpital où il y aurait une salle par type d’urgence (vous en nommez plusieurs), j’écrirais sur une affiche à l’entrée du couloir central avec une flèche: «Salles d’urgence».

  3. Monsieur Candys-Dauléard,

    Si notre façon de parler vous déplaît, vous n’avez qu’à rentrer en Europe, personne ne vous retient!

  4. Vu de France, le sujet parait bien distant. Il ne fait pas vraiment partie des préoccupations linguistiques déjà bien grevées de maints sujets plus envahissants.
    Au mieux, on voit régulièrement s’élever des reproches contre l’utilisation abusive du mot « personnel » à la place de « personne », ce qui engendre des confusions au pluriel. On mélange le personnel de l’entreprise (correct), les différents personnels de la fonction publique (correct, par ellipse de « catégories » de personnel) et les personnels en rayon (incorrect).
    Les autres exemples que vous donnez ne font pas l’objet de débats.

  5. Madame Bergeron,

    La bassesse de votre commentaire n’a d’égal que votre crispation idéologique, sans doute…

    Je n’ai jamais critiqué « votre » façon de parler.

    Au pire, je mets simplement le doigt sur un sujet dont il ne faut – ô combien ! – jamais parler au Québec sans s’attirer les foudres de personnes comme vous (la preuve) qui ne veulent pas regarder les choses en face, ni prendre le problème à bras-le-corps.

    Endogénisme, quand tu nous tient…

    1. Répétez après moi, Jérôme : Di-plo-ma-tie

      Les thèses les plus pertinentes perdent toute crédibilité quand elles sont mal exprimées.

  6. Je passe sur la façon souvent agressive de Jérôme Candys-Dauléard de dire les choses (ici et ailleurs), mais sur ce point précis, je pense qu’il a raison.
    On peut probablement voir dans l’emploi au singulier d’urgence une influence de l’anglais. Il s’agit fondamentalement du service DES urgences (ou des cas d’urgence, mais ça reste au pluriel), et non du service de l’urgence (imaginerait-on, dans le même ordre d’idées, un service de l’empressement, de la diligence, du soin, de la prudence?) On n’y traite pas le concept abstrait d’urgence, mais des cas d’urgence concrets. Ou, par raccourci de langage, des urgences.
    On peut voir la même influence de l’anglais dans le singulier erroné de toilette, au lieux de toilettes, ou dans le titre impropre du ministère fédéral de l’infrastructure (ou de la future Banque de l’infrastructure), ce mot étant généralement au singulier en anglais, alors qu’en bon français, c’est à dire de façon spontanée, y compris au Québec, on parlera DES infrastructures, une infrastructure désignant en principe un pont, une autoroute, un édifice, etc. ou une partie des infrastructures (l’infrastructure autoroutière du pays).
    L’inverse existe aussi. C’est sous l’influence de l’anglais assets que nous parlons aujourd’hui des actifs, alors que ce terme est traditionnellement au singulier en français. Les Québécois parlent de leurs épargnes, alors que nous n’avons en principe qu’une épargne, sous l’influence de savings.
    Je défends souvent le français québécois par rapport au français européen, mais il faut aussi s’avoir se reporter à ce dernier pour tenter d’établir si un usage québécois est influencé ou non par l’anglais et peut être erroné.

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