Frivole

La frivolité n’a jamais eu bonne presse. Lorsqu’il est question d’une personne frivole, on peut penser à Don Juan, à certaines vedettes du cinéma qui aiment batifoler ou encore au sinistre moine Raspoutine, dont l’appétit sexuel était paraît-il dévorant.

La frivolité, c’est le fait d’adopter un ton léger, qui manque de sérieux. Une personne frivole manque de constance. Le Larousse nous donne quelques synonymes : superficiel, insignifiant, puéril. Une personne qui a un goût pour les choses vaines et futiles pourrait être qualifiée de volage ou d’inconstante.

Un terme aussi éthéré s’emploie mal lorsqu’il qualifie une poursuite judiciaire dont l’objet n’est pas sérieux ou pire, mal intentionné.

L’expression anglaise frivolous claim est parfois rendue par demande frivole. Cette traduction me paraît douteuse, si l’on se reporte à la définition de frivole en français. Toutefois, cette condamnation mérite d’être nuancée, car le Trésor de la langue française précise : « Qui ne repose sur rien de solide ni de sérieux. », mais pour qualifier une idée, un prétexte, une raison.

Cependant, il convient de se montrer plus prudent lorsque nous entrons dans le domaine juridique. Une frivolous action serait une poursuite intentée sans fondement. Elle est mal fondée. Lorsqu’il y a intention de nuisance, on pourrait la qualifier d’abusive, voire de vexatoire. Mais certains juristes contestent cette traduction, qui, selon eux, ratisse plus large que le sens habituellement attribué au frivolous anglais.

La notion de frivolité est surtout employée dans le domaine de la procédure. Elle figure dans les Règles des Cours fédérales et dans le Code de procédure civile du Québec.

Une demande frivole serait dénuée de bien-fondé. Quant à futile, il serait mieux employé s’il s’agit d’un argument, par exemple s’il n’a pas d’importance par rapport au sujet.

À noter que le Centre de traduction et de terminologie juridique de Moncton atteste l’emploi de frivole dans son dictionnaire Juriterm. Comme le signale Geneviève Chênevert, jurilinguiste à la Chambre des communes du Parlement du Canada :

Ainsi, la notion de « frivolous » renvoie à quelque chose qui manque de fondement, mais aussi de sérieux. Il s’agit en quelque sorte d’un mélange de mauvaise foi et d’absence de fondement.

Dans le Dictionnaire de droit canadien, on donne la même définition pour frivole et futile. Voici comment l’ouvrage définit frivole :

Se dit d’une action ou d’une procédure qui n’est pas sérieuse, qui ne repose sur aucun fondement juridique. »

Tout cela pour dire que frivole s’est immiscé un peu partout dans le vocabulaire juridique, et ce même à la Cour suprême.

L’expression semble donc incrustée dans l’usage. Toutefois, une citation du Parlement du Canada indique que l’on peut traduire autrement :

Le tribunal, qui a été créé pour examiner ces questions, peut refuser d’étudier toute demande qu’il estime futile ou vexatoire (frivolous or vexatious).

Voyons voir comment le Dictionnaire de droit québécois et canadien d’Hubert Reid définit le terme en l’objet : « Se dit d’une action ou d’une procédure qui n’est pas sérieuse, qui ne repose sur aucun fondement juridique ».

Au fond, ne serait-il pas plus simple de dire qu’une demande manque de sérieux quand elle est manifestement non fondée ? L’emploi de frivole semble relever davantage d’un asservissement à l’anglais que de l’utilisation d’un terme pertinent.

L’auteur tient à remercier Geneviève Chênevert ainsi que Sara Tasset pour leur apport précieux à la rédaction de cet article.

4 réflexions sur « Frivole »

  1. Asservissement ou enrichissement ? Voilà la question. Si j’ai bien compris l’article, le terme frivole est aujourd’hui un terme bien accepté dans le lexique juridique canadien. Ainsi le trouve-t-on comme suit dans le juridictionnaire du Bureau de la traduction de Termium Plus:

    3. C’est par confusion sémantique qu’on attribue parfois à l’adjectif frustratoire les acceptions d’adjectifs apparentés tels futile (ce qui se fait sans qu’on ne puisse en justifier la raison ou le bien-fondé : allégation, appel, objection, plaidoirie, procédure futile), frivole (ce qui se fait sans fondement juridique ni base légale ni invocation d’un moyen rationnel : action, procédure frivole), dilatoire (ce qui se fait en vue de procurer ou d’obtenir un délai ou de retarder, indûment ou non, l’exécution d’un jugement : acte, appel, exception, formalité, manœuvre, mesure, moyen, tactique, plaidoyer, procédure) et vexatoire (ce qui se fait en vue de nuire à autrui, ce qui est abusif).

    J’ai également vu l’expression «manifestement non fondé» pour caractériser ce type de procédure. Que notre usage juridique de frivole vient de l’anglais, je n’en doute guère. Mais est-ce pour autant un tort ? Pourquoi ne pas voir ce phénomène comme un apport positif, une extension de sens d’un mot existant qui a vraisemblablement la même étymologie que son équivalent anglais ?

    Or, les professionnels du droit au plus haut niveau ne s’en formalisent pas. Ils ne donnent pas l’impression de ressentir un asservissement à l’anglais. Si c’est bon pour eux, qui sommes nous pour rechigner ?

    1. Le point principal, c’est que les juristes ne sont pas des langagiers. Ce qui signifie que les choix linguistiques qu’ils font ne sont pas toujours avisés. D’ailleurs, plusieurs jurilinguistes dénoncent l’emploi de «frivole».

      1. Il est vrai que les juristes de sont pas des langagiers. Mais ce sont les principaux usagers de la langue juridique. En fait, ce sont eux qui la créent, cette langue. Rien n’empêche les jurilinguistes, non juristes, de critiquer cette langue mais à qui appartient cet usage? Dans le cas présent, «frivole» est un mot français, de toute évidence bien accueilli par les principaux intéressés et avec au demeurant l’avantage de ressembler à son équivalent anglo-saxon. N’y a-t-il pas là enrichissement, un gain pour le français?

        Je sais que les traducteurs n’aiment pas beaucoup les ressemblances formelles entre l’anglais et le français. Le seul tort de «frivole» est de ressembler à «frivolous». Rien n’empêche du reste le juriste d’utiliser «manifestement non fondé» si l’autre ne lui plaît pas.

        Or, puisqu’il s’agit de langue juridique et l’asservissement à l’anglais, que dire de l’utilisation du terme «common law» en français? Encore là personne ne s’en formalise. Même les jurilinguistes, à ce que je sache. Alors, enrichissement ici et asservissement là.

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