Les toponymes (noms de lieux) n’échappent pas à l’évolution de la langue. Les graphies changent, et pas toujours pour le mieux.
J’ai la chance de posséder un Larousse 1934 donné à ma mère, lorsqu’elle étudiait. Le feuilleter est à la fois un voyage dans le temps et une source d’étonnement. Les cartes de l’Europe et de l’Afrique sont particulièrement intéressantes, tout comme les articles sur la Grande Guerre, qui allait devenir la Première Guerre mondiale, ceux consacrés à l’Allemagne (plutôt hargneux), au jeune chancelier Adolf Hitler…
La consultation de cet ouvrage permet aussi de constater un certain révisionnisme toponymique qui étonne et déçoit. Le français recule, hélas.
En 1934, la ville principale de la Turquie était orthographiée Istamboul, forme francisée d’Istanbul. Soulignons, en passant, que le turc s’écrit en caractères latins, comme le français, et qu’il ne saurait donc être question de translittération. Istamboul était donc une traduction, aujourd’hui disparue. Assez curieusement, le gentilé (nom des habitants) Stambouliote se voit encore. Mais le nom de la ville est maintenant Istanbul, en français, en turc… et en anglais. Coïncidence ?
On observe le même phénomène avec la Nouvelle-Delhi maintenant anglicisée sous la forme de New Delhi. Certains feront valoir que l’anglais est un peu la lingua franca de l’Inde, mais il n’en demeure pas moins que nous avions une forme traduite du nom de la capitale indienne; pourquoi l’avoir abandonné ?
La capitale du Paraguay était autrefois appelée Assomption; à présent, nous parlons plutôt d’Asunción. Bien entendu, rien à voir avec l’anglais, cette fois-ci, mais un autre recul du français.
Le dictionnaire de ma mère affichait aussi la graphie Groënland pour cette grande île verte découverte par les Vikings. Curieusement, le tréma est disparu en cour de route, peut-être emporté par la fonte des glaciers.
Plus récemment, la capitale indonésienne Jakarta a (définitivement ?) perdu son D initial, que l’on retrouvait dans les dictionnaires français. Il faut donc savoir que le J initial se prononce à l’anglaise. Ce phénomène s’observe également pour la ville saoudienne Djeddah, dont le nom est translittéré à l’anglaise dans les textes français : Jeddah. Idem pour la capitale du Soudan du Sud : Juba, au lieu de Djouba.
Peu de gens savent que l’on orthographiait New-York avec un trait d’union. Cette graphie survit, involontairement, on s’en doute, sur un panneau à la sortie du pont Jacques-Cartier à Montréal qui annonce l’État du même nom. Je lui souhaite encore longue vie.
Il est peut-être compréhensible de voir la métropole américaine avec un nom anglais, mais ce l’est beaucoup moins quand on pense à Détroit, ville fondée par les Français, à l’endroit précis où la rivière du même nom rétrécit. Le Larousse de 1934 écrivait son nom à la française, et j’ignore quand au juste l’accent aigu a disparu et, surtout pourquoi. À ce que je sache, les Européens prononcent le nom à la française. Alors pourquoi l’écrire à l’anglaise ? La même question se pose pour Saint-Louis, ville baptisée en l’honneur d’un souverain de France, et dont le nom s’écrit à l’anglaise : St. Louis.
Le Larousse a rectifié le tir, depuis quelques années, et admet les graphies pour ces deux villes, de même que pour Bâton-Rouge. Mon article à ce sujet.
Je me souviens avoir consulté des cartes sur lesquelles chaque ville (et peut-être aussi les États, ou les rivières ou je-ne-sais-quoi) était identifiée par le nom en usage dans la langue parlée dans ladite ville. Ça donnait Paris, London, Roma, Moskva (Moscou), Wien (Vienne), etc., etc.
C’est une approche que j’aime bien, mais on n’est pas près de la voir se généraliser.
C’est une approche utilisée dans bon nombre d’atlas, pour éviter les translittérations ou traductions multiples d’un seul nom. P. ex. : Moscou, Moscow, Moskva. Certains fonctionnaires de l’ONU militent en faveur de l’abandon des traductions et de l’emploi des noms originaux. Ainsi nous aurions London pour Londres, Firenze pour Florence. Mais qui voudra écrire Al-Qahira pour Le Caire?
Voici ce que je trouve dans le Dictionnaire encyclopédique Quillet de 1950:
Detroit; Istamboul ou Stamboul; Asuncion (sans accent) ou Assomption; Groenland (sans trémas); Djeddah; New York.
Pas de Nouvelle Delhi (ou New Dehli), ni de Jakarta (ou Djakarta).
Je ne sais ce que ça vaut pour suivre l’évolution de ces graphies, Quillet n’étant pas Larousse.
Un article qui tient ses promesses!
Ce que j’aimerais savoir, c’est quels sont :
– les moteurs de ces évolutions (vous avez parlé de l’ONU, mais il y en a probablement d’autres),
– leurs motivations (culpabilité post-colonialiste? snobisme de certains voulant se distinguer le la masse en employant une forme supposément locale? lobbyisme des pays concerné…?) et
– les organismes ou acteurs qui entérinent ces changements (au premier chef, les dictionnaires, sûrement).
Ce qui serait intéressant, également, c’est de savoir si ces changements reflètent une réelle évolution naturelle de la langue pratiquée par le plus grand nombre, et qui serait alors simplement constatée par les dictionnaires, ou si l’immense majorité des francophones continue à employer les formes françaises traditionnelles des toponymes concernés, une minorité essayant alors de les imposer artificiellement à la masse? Personnellement, je reste convaincu que 90% des francophones vous parleront plus spontanément de Pékin que de Beijing, ou de Bombay que de Mumbay… Moi le premier.
Bonjour Monsieur Racicot,
Je sais que je suis un peu ne retard pour publier un commentaire sur ce billet qui date d’un an… mais je ne suis pas d’accord. Il ne s’agit pas de chauvinisme, mais bien de respect, selon moi. Lorsque j’ai visité l’Italie, je n’étais pas Catarina, pas plus que Kathryn, aux États-Unis. Je me prénomme Catherine, avec cette graphie. Même chose pour Beijing, ou Istanbul. Si je comprends que parfois une francisation est nécessaire pour une meilleure compréhension, le fait que nous commencions à utiliser les noms exacts et officiels des lieux est une ouverture sur le monde qu’on ne peut qu’applaudir. Si je préfère être appelée par mon prénom tel qu’il est, je ne vois pas pourquoi il en serait différent pour l’appellation des lieux géographiques.
Même au Canada, tous les noms de lieux géographiques ne peuvent être traduits — selon la dénomination officielle. http://www.btb.termiumplus.gc.ca/redac-chap?lang=fra&lettr=chapsect11&info0=11#zz11.
Ceci dit, j’ai beaucoup de plaisir à lire et à découvrir votre blogue.
Merci beaucoup!
Catherine