Traduire les noms de personnalités?

Faut-il franciser les prénoms, voire les noms de famille des personnalités publiques? Non évidemment. C’est du moins ce que l’on est tenté de répondre, après une brève hésitation.

Car hésitation il y a. On peut penser à des personnages historiques marquants dont les noms ont été traduits, en commençant par les empereurs romains (Jules César), suivis des rois et autres souverains  (Jean sans Terre, Catherine de Russie, le kaiser Guillaume II). Sans oublier les chefs de guerre (Tamerlan), les artistes, scientifiques et explorateurs (Léonard de Vinci, Nicholas Copernic et Christophe Colomb).

Pour ceux que ça intéresse, voici leur nom véritable : Julius Caesar, Iekaterina, Wilhelm II, Timur-Lang, Leonardo da Vinci, Mikolaj Kopernik, Cristoforo Colombo.

La traduction des noms de personnalités a fléchi au début du XXe siècle, mais elle a quand même persisté, du moins en ce qui a trait aux prénoms.

Traduction de certains prénoms

Pour des raisons mystérieuses, on a continué de traduire les prénoms de personnalités soviétiques au cours du siècle dernier. Le Petit Père des peuples, Joseph Staline s’appelait en réalité Iossif Djougachvili, son nom géorgien. Son collègue révolutionnaire Léon Trotski s’appelait Lev Bronstein. Pourtant, Lev Kamenev, exécuté après les procès de 1936, a conservé son prénom dans les livres d’histoire. Le cinéaste Serge Eisenstein s’appelait Sergueï, tout comme Sergueï Lavrov, ministre des Affaires étrangères de Russie, aujourd’hui.

On pourrait parler d’Alexandre Soljenitsyne, l’écrivain qui a dénoncé les goulags, dont le prénom correctement translittéré est Aleksandr. La différence avec le français est tellement ténue, qu’il est tentant de traduire.

La translittération

La translittération est la transcription dans les langues écrites en caractères latins de mots provenant de langues possédant un autre alphabet. Comme les sons ne sont pas écrits de la même manière en anglais et en français, les graphies de certains noms peuvent varier. Un bel exemple est Vladimir Poutine en français et Vladimir Putin en anglais[1]

Pour certaines langues, dont le japonais et l’hébreu, l’usage a consacré l’emploi des graphies anglaises, de sorte que les noms des premiers ministres israéliens sont habituellement écrits à l’anglaise. Qu’on en juge : Shimon Peres, Ariel Sharon, Ehud Barak. On remarquera le SH dans Shimon et Sharon, l’absence d’accent aigu et le U prononcé « ou » dans Ehud. Si on translittérait vers le français, il faudrait écrire : Chimone Pérès, Ariel Charone et Éhoud Barak.

Les noms de personnalités israéliennes sont généralement translittérés à l’anglaise lorsqu’ils viennent de langues ne s’écrivant en caractères latins.

Certains seraient tentés de tout translittérer dans notre langue, au nom de la défense à tout prix du français, mais ce serait une erreur, car il faut toujours tenir compte de l’usage, même s’il est parfois absurde.

Le cas Nétanyahou

 S’il était bien translittéré, le nom du premier ministre israélien devrait s’écrire ainsi : Benyamine Nétanyahou. Pourtant, c’est une graphie qu’on ne voit à peu près jamais.

Tout d’abord, il faut savoir que l’hébreu ne s’écrit pas en caractères latins et, comme le russe ou le grec, il faut translittérer les mots issus de cette langue.

Dans ce contexte, on pourrait s’attendre à ce que le nom du premier ministre actuel soit écrit à l’anglaise, c’est-à-dire Benyamin Netanyahu. Il s’agit effectivement d’une des graphies qui circulent, car, phénomène déroutant, on peut en récolter plusieurs, selon le dictionnaire, le journal ou le magazine que l’on consulte, aussi bien en anglais qu’en français.

Pourquoi autant de cafouillage autour de l’actuel premier ministre israélien? Mystère. La confusion semble totale et même les dictionnaires s’embrouillent. Le Robert écrit Netanyahou sans accent dans l’article sur le conflit israélo-arabe, tandis que l’on peut lire Nétanyahou dans la légende d’une photo du chef de gouvernement israélien.

Mais tout cela est de la petite bière si l’on compare les lexicographes aux journalistes. Des publications très bien écrites comme Le Monde, Le Figaro écrivent aussi bien Nétanyahou que Netanyahu, donc sans accent et avec un U à la place du OU. Même Le Monde Diplomatique, souvent cité en exemple pour la qualité de la langue, oscille entre Nétanyahou et Netanyahou.

Sans doute pour plaire à tout le monde, l’édition du Monde du 16 mars 2013 offre deux graphies : Nétanyahou et Netanyahu…

Cette valse hésitation se poursuit avec le prénom, écrit des manières suivantes : Benjamin, Binyamin, Benyamin…  Les anglophones semblent avoir retenu Benjamin, soit la même graphie que pour Benjamin Franklin ou Benjamin Disraeli, du moins si l’on se fie aux dictionnaires courants, comme le Merriam Webster et l’Oxford Dictionary. Les journaux anglais sont moins clairs, pourtant. On trouvera Benjamin Netanyahu dans le New York Times, le Times de Londres, le Boston Globe, et le Washington Post. Quant à Binyamin Netayahu, il se fait plus rare, mais on peut le lire dans le Jerusalem Post, the Guardian et aussi à la BBC.

Il semble donc que Benjamin soit la bonne graphie, mais il n’en est rien. Rappelons-nous que la translittération des noms hébreux doit refléter leur prononciation. Or, tout anglophone qui lit Benjamin sera porté à le prononcer à l’anglaise, alors que le nom original doit s’énoncer ainsi : benne-ya-mine. La graphie Benjamin n’est donc pas une translittération, mais une traduction.

Traduire les noms propres?

L’ennui, c’est que l’on ne traduit plus les noms et les prénoms des personnalités politiques depuis belle lurette. Si le Moyen Âge nous a donné Laurent le Magnifique, il serait impensable se risquer à ce petit jeu de nos jours. Pensez-y, comme il le faut. Imaginez-vous Francis Holland dans un journal britannique pour désigner le président de la France? Le premier ministre Stéphane Harpeur, ça vous dit?

Pour en revenir à Nétanyahou, il faudrait adopter une ligne de conduite claire. De deux choses l’une : ou bien on translittère correctement son nom, ce qui donne Benyamine Nétanyahou, ou bien on adopte la transcription anglaise, Benyamin Netanyahu, pour assurer l’uniformité avec le nom de ses prédécesseurs.

D’autres cas

Il est difficile de comprendre les raisons pour lesquelles l’usage se met soudain à tituber dans certains cas précis.

Les grands principes de la translittération ne sont pas appliqués pour toutes les langues. Les noms russes, arabes, bulgares, serbes, grecs, ceux du Caucase et de l’Asie centrale sont habituellement translittérés, mais pas ceux de l’Inde ou du Japon, par exemple.

C’est donc dire qu’il y a normalement une ligne de conduite à suivre dans une langue donnée, d’où  mon étonnement devant les variations pour le nom du premier ministre israélien actuel.

Ce cas n’est pas unique. Il y a aussi celui de l’ancien président du Pakistan, Pervez Moucharraf. Le Robert écrira Musharraf, donc à l’anglaise, tandis que le Larousse proposera Mucharraf, graphie à moitié translittérée. Là encore, cafouillage monstre dans les médias et sur Internet.

Mais rappelons-nous qu’il s’agit de cas exceptionnels.



[1] Voir mon article à ce sujet dans le volume 2, numéro 4 de 2005 de L’Actualité langagière.

2 réflexions sur « Traduire les noms de personnalités? »

  1. Passionnant! Tout cela tend à démontrer qu’en absence de règle, l’anarchie règne… Autre exemple issu du monde des dessins animés pour enfants, la série « Franklin the Turtle »; apparemment, le reptile s’appelle « Benjamin » au Québec, mais bizarrement a gardé le pseudo de « Franklin » en France… Un peu confus pour les jeunes, tout ça!

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