La défrancisation des noms de villes : deuxième partie

La défrancisation des noms de villes amène des questions auxquelles il n’est pas facile de répondre. Il est facile de pointer du doigt l’admiration exagérée envers les États-Unis qui déferle en France depuis la Seconde Guerre mondiale, afin d’expliquer les graphies désormais anglaises de New York et de Detroit. Mais il serait exagéré de voir l’ombre menaçante de l’anglomanie dans tous les autres cas. Par exemple, le passage d’Assomption à Asunción ou encore d’Istamboul à Istanbul.

D’ailleurs, cette anglomanie n’opère pas dans tous les cas. Des noms comme Londres, Édimbourg, La Nouvelle-Orléans, demeurent inchangés.

Je n’ai pas d’explication définitive à propos de cette défrancisation, mais on peut penser que les raisons sont multiples; l’une d’entre elles pourrait être la volonté de faire plus « authentique ». Le snobisme de certains, qui veulent exhiber leur maîtrise d’une langue étrangère en employant les toponymes originaux, pourrait aussi expliquer l’implantation en français de ces toponymes.

Mais la défrancisation n’est pas aussi répandue que mon premier article pouvait laisser croire. Il faut aussi savoir que le français est généralement plus conservateur que l’anglais en ce qui a trait à l’adoption de noms étrangers. Parfois, les francophones se cramponnent à de vieilles appellations, même quand les autorités nationales annoncent un changement de nom officiel. Les cas de l’Inde et de la Chine sont particulièrement éloquents.

Trois villes importantes de l’Inde ont été rebaptisées, afin de rayer de la carte des noms hérités de l’époque coloniale. Bombay, Calcutta et Madras sont ainsi devenues Mumbai, Kolkatta et Chennai… du moins dans les textes anglais ! En effet, les dictionnaires français continuent d’utiliser les noms traditionnels, alors que les ouvrages en anglais répertorient les nouveaux noms. Même phénomène pour les journaux. Ainsi, la presse française parlait des attentats de Bombay, la presse anglaise des attentats de Mumbai.

On pourrait discuter longtemps de ce conservatisme plus marqué du français : certains y verront un garde-fou contre certaines dérives, d’autres un obstacle à la modernisation de la langue.

Autre exemple de conservatisme, la Chine. En 2008, Radio-Canada diffusait les Jeux olympiques de Pékin, tandis que la CBC, son pendant anglophone, diffusait ceux de… Beijing. De fait, la controverse Pékin/Beijing fait rage depuis que la Chine a adopté, en 1979, le système de transcription pinyin pour l’écriture des noms de lieux et de personnes dans les langues occidentales. Auparavant, ces noms avaient une graphie distincte en anglais, en français, en allemand, en espagnol ou en italien, un peu comme les noms russes actuellement. Le pinyin offre l’avantage d’afficher une seule graphie pour les langues utilisant l’alphabet latin, d’où le Beijing qui remplace Pékin.

Mais beaucoup n’acceptent pas que les Chinois dictent aux francophones la manière d’écrire les noms de lieux et de personnalités dans leur langue. Cette indignation existe sûrement chez les locuteurs d’autres langues. Toujours est-il que la résistance s’observe dans les publications françaises pour trois noms précis : Pékin, Nankin et Canton, devenus Beijing, Nanjing et Guangzhou. Fait intéressant, les ouvrages français ont adopté les nouvelles graphies pour tous les autres toponymes, sans compter pour les noms de personnalités. Un seul exemple suffira : Lao tseu, devenu Laozi.

On peut penser que les francophones sont réticents à changer des noms qui faisaient partie du paysage depuis des centaines d’années. Mais là encore, l’usage n’est pas toujours cohérent, sans quoi la défrancisation des noms de ville n’existerait tout simplement pas.

La Biélorussie est officiellement devenue un État indépendant en 1991, à la chute de l’Union soviétique. Le pays est entré aux Nations Unies sous le nom de Bélarus. Pourtant, les dernières éditions des dictionnaires français ignorent toujours cette appellation, que les anglophones ont pourtant adoptée.

Cette résistance n’est pas toujours constante, cependant. Pensons au Zaïre, devenu la République démocratique du Congo, nom entré dans les dictionnaires français dès l’année suivante.

Il est difficile de prédire si la défrancisation se poursuivra, sous les coups de boutoir de la mondialisation — qui a le dos large — ou encore sous l’impulsion d’autres motifs, qui restent encore à cerner.

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