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À l’international

Au bulletin de nouvelles : « À l’international maintenant, le conflit israélo-palestinien s’éternise… » Dans une conversation : « Il travaille à l’international… »

Fautes grossières que tout cela? On me pose souvent la question. Instinctivement, je me disais qu’il s’agissait d’un nouveau tic linguistique dont les médias ont le secret. Mais était-ce vraiment une faute?

Surprise! À l’international se trouve bel et bien dans les dictionnaires. Selon le Larousse et le Robert, l’expression renvoie aux échanges commerciaux. Or ce n’est pas tout à fait dans ce sens qu’on l’entend au Québec.

Pour la Vitrine linguistique de l’Office québécois de la langue française, il s’agit d’une ellipse pour remplacer sur le plan international ou au niveau international.

Il n’y a donc pas lieu de s’alarmer.

Fun

« Le fun est pris dans la cabane. » A priori, il est certain qu’un Européen ne comprendrait pas un traitre mot à cette phrase saugrenue. En êtes-vous certain? Québécois et francophones canadiens sont convaincus d’être les importateurs exclusifs de ce mot anglais, alors qu’il a cours outre-Atlantique.

Une petite promenade dans le Larousse et le Robert nous amène à l’entrée fun. Le fun est cassé.

Comme on peut le deviner, le terme est défini comme un synonyme d’amusement, de plaisir. Le Robert donne quelques exemples : « C’est le fun ! » et « Jouer pour le fun. » On se croirait au Québec.

L’usage diverge cependant lorsque fun est employé comme adjectif invariable. « Des aventures fun… De l’ambiance fun. » Par chez nous, on dirait plutôt : « Des aventures le fun. »

En effet, au Québec on joue juste pour le fun.

Le croiriez-vous, Victor Hugo avait du fun lui aussi. Stupéfiante citation de l’auteur de Notre-Dame de Paris : « Elle ne haïssait point le fun, la farce taquine et hostile. »

Amusant, parce que j’ai toujours cru que le mot en question était une importation canadienne exclusive; les Français et les autres Européens nous l’avaient dérobé. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le génial Victor vient de gâcher mon fun.

Ponctuation

Les règles de typographie sont légèrement différentes selon que l’on écrit en Amérique du Nord ou en Europe. Un exemple à deux volets :

L’important n’est pas de gagner, nous dit-on; l’important est de participer! Ai-je bien compris?

L’important n’est pas de gagner, nous dit-on ; l’important est de participer ! Ai-je bien compris ?

Deux phrases qui disent la même chose, mais d’allure légèrement différente. La première est ponctuée à la canadienne, si je puis dire, tandis que la seconde reprend les règles de ponctuations qui ont cours en Europe.

Alors qui a raison ? Un peut tout le monde, en fait. En imprimerie, certains signes de ponctuation comme les deux points, le point-virgule, le point d’exclamation et le point d’interrogation sont écrits avec une espace[1], ce qui permet de mieux les détacher du mot précédent.

Comme le signale la Vitrine linguistique de l’Office québécois de la langue française :

L’espace fine est une espace insécable réduite utilisée en typographie soignée devant le point d’interrogation, le point d’exclamation, le point-virgule et les appels de note.

Cette espace n’est généralement pas disponible dans les logiciels courants de traitement de texte.

On lira l’article complet ici.

En Europe

Les Européens qui lisent mes billets ont sûrement remarqué l’absence d’espace entre les signes susmentionnés et le mot qui précède. C’est ainsi que l’on tape au Québec et au Canada français.

Il faut préciser que l’espace fine et insécable n’existe pas sur les claviers d’ordinateur. Une combinaison de touches permet d’insérer l’espace insécable, mais le résultat est le même que si l’on insérait une espace pleine, comme on peut le voir ci-dessous :

C’est final ! Je pars ! Vous êtes d’accord ? – En changeant le clavier canadien pour le clavier suisse.

C’est final ! Je pars ! Vous êtes d’accord ? – En utilisant le raccourci clavier suggéré par Word.

À la composition, toutefois, un éditeur introduira cette espace insécable, de sorte que les ouvrages publiés en France, en Belgique et au Québec observeront des règles identiques de présentation.

Personnellement…

Je dois avouer un certain malaise ne pas mettre d’espace avant le point d’exclamation et le point d’interrogation.

Je reprends mon exemple :

C’est final! Je pars! Vous êtes d’accord?

On étouffe…

Par ailleurs, je suis toujours étonné de voir le point-virgule séparé du mot précédent, tel un orphelin.

C’est final ; je pars. (Au secours !)

C’est final; je pars.

Conclusion

La ponctuation n’est pas une question de sentiment personnel. C’est pourquoi je résisterai à la tentation de combiner ponctuation européenne et ponctuation nord-américaine.

Je risquerais de me faire apostropher…


[1] En typographie, le mot espace est féminin.

Penser en dehors de la boite

« Penser en dehors de la boite » est l’un des calques de l’anglais les plus hideux qu’on puisse imaginer. On reconnait bien là la démarche de l’anglais, c’est-à-dire d’illustrer un concept abstrait par une image.

Certaines expressions imagées de l’anglais passent assez bien en français, comme « Le chat est sorti du sac. » On comprend aisément. Mais transposer Think outside the box en français, sans chercher à l’adapter, est une pure catastrophe. Penser en dehors d’une boite est un non-sens dans la langue de Vigneault.

Une journaliste du Devoir a pourtant plaqué l’expression en page éditoriale, incapable, semble-t-il, de la traduire. Ce n’était pourtant pas si compliqué.

  • Quelques idées.
  • Sortir des sentiers battus.
  • Penser autrement.
  • Sortir d’un cadre précis.
  • Innover.
  • Prendre du recul.
  • Voir plus grand.
  • Être créatif, original.
  • Penser différemment du lot.
  • Sortir des schémas établis.
  • Faire preuve d’imagination.
  • Voilà, il aurait suffi de faire preuve d’imagination. Et de cesser de croire que l’anglais est plus expressif, alors que le français est sans ressource. C’est cela penser différemment.

Langue de la radio

La qualité de la langue d’ici est le fil conducteur de ce blogue.

Marie-Josée Olsen, enseignante à l’École supérieure en art et technologie des médias du cégep de Jonquière, s’est justement penchée sur la qualité de la langue à la radio, particulièrement dans les émissions diffusées en direct.

La chercheuse a recensé un nombre considérable d’anglicismes, d’expressions familières et de jurons.

Des expressions familières comme « char », « frette », « niaisage », « pogner » ou encore « cossins » étaient utilisées en ondes. D’ailleurs, le langage familier se retrouve dans TOUTES les émissions écoutées. Comble de tout, Mme Olsen a découvert que, dans 38 émissions sur 40, on note des impropriétés de langage. (Grosse surprise, soit dit entre nous.)

Ce n’est guère édifiant, quand on songe que les médias sont des propagateurs efficaces d’expressions et de mots erronés. Comme je l’ai souligné à maintes reprises, il est très difficile de les convaincre de se corriger et le grand public ne fait que répéter ce qu’il entend partout. Si on le dit à Radio-Canada, à TVA ou on l’écrit dans La Presse, ça doit sûrement être correct, non?

Circulez, il n’y a pas d’enjeu…

On lira avec intérêt l’article du Devoir à ce sujet.

Une langue largement contaminée

Il faut aussi lire l’ancien maire de Gatineau Maxime Pedneaud-Jobin qui, dans un brillant article, expose l’étendue des dégâts. Nous sommes tellement serviles envers l’anglais que nous en devenons incapables de nous exprimer clairement dans notre propre langue. Un désastre.

À force de glisser des mots anglais partout, on en vient à penser que notre langue ne vaut rien, qu’elle est incapable d’exprimer la réalité aussi facilement que l’anglais. Ce qui est faux.

La vulgarité

Ce qui est nouveau, c’est la vulgarité, cette fiente qui éclabousse de plus en plus la langue des médias. Il n’y a pas si longtemps, on exerçait une certaine retenue dans les médias. Les jurons et les propos vulgaires étaient censurés; maintenant, ce n’est plus le cas. La vulgarité est maintenant décomplexée. Il faudrait même créer un nouveau trophée pour nos galas, le Vulgaritas.

Il faut ici rendre un hommage spécial à Guy A. Lepage, qui a donné ses lettres de bassesse aux sacres en ondes à son émission du dimanche soir. Sa contribution à ce chapitre est inestimable et lui vaut un Vulgaritas d’or. Si jamais il me lit, il dira qu’il s’en câlisse. Voilà le problème.

Saluons aussi Chantal Lamarre, à qui nous attribuons un Vulgaritas marron pour ses allusions scatologiques à l’émission du jeudi soir. Elle n’est pas la seule, hélas.

Comment ne pas penser à nos valeureux humoristes? Une émission récente rendait hommage à Yvon Deschamps. Réentendre ses monologues sensibles m’a fait réaliser à quel point l’humour au Québec a dégringolé (a pris une maudite débarque, dirait sans doute un chroniqueur). Deschamps ne jurait pas tout le temps et réfléchissait finement sur la vie. Mais il employait parfois des gros mots, comme nègre et nigger, mais pour se moquer des racistes. Aujourd’hui, Deschamps serait censuré et mis au ban.

Pour le remplacer par qui? Martin Matte?

Ouvrons une petite lucarne dans notre maison empestée et écoutons Boucar Diouf et André Sauvé, qui eux aussi nous amènent à nous interroger, loin du pipi-caca et des blagues sexuelles.

On me permettra de conclure par ce proverbe mongol que je trouve pertinent :

Le sage parle des idées, l’intelligent des faits, le vulgaire de ce qu’il mange.

***

Ce billet renvoie à la réflexion que j’ai développée sur la survie du français en Amérique du Nord. Notre langue décline. Pouvons-nous nous permettre de la massacrer en ondes sans se poser de question?

Survivre en français I

Survivre en français II

Initier

Le verbe initier revêt un sens quelque peu mystique lorsqu’il s’agit d’amener une personne à accéder à un niveau de connaissance supérieur. (Par exemple en lisant ce blogue!) Les sociétés secrètes, par exemple, initient les nouveaux venus. Mais les facultés universitaires et les équipes de hockey aussi.

Le verbe en question a également un autre sens : celui d’entreprendre quelque chose. Il est souvent frappé d’interdit par les amoureux de la langue française, qui y voient un anglicisme. C’est notamment le cas du Multidictionnaire de la langue française et du Dictionnaire des anglicismes de Colpron. La Vitrine de la langue française le considère comme un emprunt.

Alors, anglicisme ou pas? Il est bien possible que le mot ait pénétré le français sous l’influence de l’anglais, ce que les dictionnaires courants ne signalent pas. À cet effet, il faut prendre en considération qu’initier mot vient du latin initium, qui signifie « commencer ».

Et qu’est-ce qu’une initiative, sinon l’action d’une personne qui entreprend quelque chose? Refuser initier dans le sens d’organiser une activité revient à découpler le verbe et le substantif, une absurdité que l’on voit parfois en français. Voir mon article à ce sujet.

En somme, il y a une certaine logique à employer initier dans un sens élargi, mais il faut toujours garder en tête qu’on n’est pas obligé de le faire. Des verbes comme entreprendre, commencer, lancer, etc. peuvent très bien faire l’affaire.

Désappointer

Tant le Robert que le Larousse considèrent que désappointer est un anglicisme.

L’Inquisition a condamné bien des innocents, on le sait, et désappointer mériterait un deuxième procès. Pourquoi? Parce que les mêmes ouvrages mentionnent l’origine du mot, qui vient de l’ancien français désappointer.

Un anglicisme?

À l’origine, désappointer est bel et bien un mot français. Mais il a perdu son sens originel qui était :

1. Destituer quelqu’un de sa charge.

2. Couper les points de fil ou de ficelle qui tiennent en état les plis de cette pièce.

Jadis, désappointer avait aussi le sens de décevoir, mais il semble que cette définition était devenue caduque, à une certaine époque. Sous l’influence de l’anglais, le verbe en question aurait pris le sens plus courant de décevoir, déconcerter ou dépiter.

D’ailleurs, c’est ce que précise le Larousse :

Tromper quelqu’un dans son attente, dans ses espérances ; dépiter, décevoir : Son refus m’a désappointé, j’attendais autre chose.

Un mot français

Il est intéressant de noter que le Multidictionnaire de la langue française de Marie-Éva de Villers ne considère pas que désappointer est un anglicisme. Cette autrice traque à peu près tous les anglicismes qui pullulent dans la langue québécoise.

Au fond, désappointer n’a fait que reprendre l’un des sens qu’il avait jadis. L’anglais lui a tout simplement donné un petit coup de pouce.

Déjeuner

Au Québec, le fait d’inviter une personne à déjeuner peut entrainer une certaine confusion, surtout si elle est d’origine européenne. En effet, un Français d’origine, et éventuellement un Sénégalais, pourrait comprendre que la rencontre a lieu le midi.

La confusion vient du fait qu’au Québec au déjeune le matin, on dine le midi et on soupe le soir. Des amis belges et suisses seraient d’accord ainsi que les Français de certaines régions de l’Hexagone.

La notion de petit-déjeuner (ou petit déjeuner) commence à s’imposer ici dans une langue plus soutenue. Ce n’est pas tout à fait le cas avec le déjeuner vu comme un repas du midi. Chez nous, on dine le midi. Alors attention, si un ami français vous invite à déjeuner, il faudra confirmer avec lui que c’est bien et bien le matin qu’aura lieu votre rencontre.

Dans le même ordre d’idées, il faudra faire preuve de prudence avec le mot diner. Parler du diner pour désigner le repas du soir est inusité au Québec et au Canada.

Dans ce contexte, on ne sera pas surpris d’apprendre que Québécois et Canadiens soupent le soir.  En Europe, le souper est un repas léger que l’on prend le soir, après un spectacle, par exemple.

Les Européens qui n’en ont pas soupé avec la langue québécoise viendront partager nos agapes.

Challenge

Le mot « challenge » est un affreux anglicisme, pensent certains. Ils ont raison et ils ont tort.

Un challenge, nous dit le Robert, est : « Une entreprise dans laquelle on se lance pour gagner, comme par défi. » L’anglicisme vient du vieux français chalenge, qui signifiait débat, chicane.

Le mot a cours au Québec et il est prononcé à l’anglaise, d’où cette impression tenace qu’il s’agit d’un mot anglais pur jus. Or, environ 60 pour 100 du vocabulaire anglais vient du français, conquête normande oblige. Nous pourrions donc faire comme nos cousins d’outre-mer et prononcer le mot à la française.

Défi

Dans nos contrées jadis si enneigées, on parle plutôt de défi. Pourtant, ce n’est pas la première définition de ce mot. Un défi étant la sollicitation d’un combat singulier; une déclaration provocatrice pour tenir quelqu’un responsable de quelque chose; le refus de s’incliner ou encore un obstacle extérieur.

Cependant, le Larousse parle bel et bien de défi quand il définit challenge : « Situation difficile, se présentant à quelqu’un ou à un groupe, et constituant pour lui un défi à relever ; le défi lui-même. » C’est moi qui souligne.

Ce qui explique que le terme défi se voit aussi en Europe et ailleurs, et pas seulement au Québec.

Challengeur

Challenge nous a donné challengeur. Il peut s’agir d’un rival qui cherche à soutirer son titre à un champion. Dans un contexte plus général, en politique par exemple, un challengeur est un adversaire.

On peut penser à l’affreux duel qui se prépare aux États-Unis : Trump qui est le challengeur de Biden. Tout un défi pour la démocratie étasunienne.

Ne pas être une option

« L’échec n’est pas une option. » – Arnold Schwarzenegger

L’acteur austro-américain fait école. Les variantes de sa célèbre citation se multiplient : « Abandonner n’est pas une option. » « Perdre n’est pas une option. » Il y en a bien d’autres.

« Ne pas être une option » est une expression qui ne fait pas partie de l’arsenal traditionnel du français. Les dictionnaires ne la répertorient pas et elle apparait surtout dans des textes au Canada français, dans lesquels l’influence de la langue américaine se fait bien sentir. Ne manquent plus que des rafales d’armes automatiques et un véhicule qui explose.

Est-ce français?

Bien entendu, cette déclaration péremptoire résonne bien en français. En effet, une option est la possibilité de choisir entre plusieurs éléments aussi bien qu’une possibilité. Donc pas de problème… du moins en apparence.

Pourtant, le Robert donne une série de cooccurrences avec option, mais aucune d’entre elles ne comprend le verbe être.

La construction « être une option » n’est pas en soi fautive, mais il est très clair qu’elle s’inspire de l’anglais.

Autres options…

Les francophones qui veulent éviter de paraphraser Schwarzenegger pourront s’inspirer des tournures suivantes :

Un échec est impensable.

  • Abandonner n’est pas envisageable.
  • Revenir en arrière est impossible.
  • Tout recul est à écarter.
  • Refuser une telle offre est inimaginable.

Parler français est toujours une option.