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Survivre en français II

4. La montée des eaux

Le gouvernement du Québec reconnait que la situation est alarmante. Il a tout d’abord fait adopter une loi pour renforcer la Charte de la langue française. Cette charte, couramment appelée « loi 101 », a été le fer de lance d’une refrancisation considérable du Québec, particulièrement à Montréal, dans les décennies 70 et 80.

Mais depuis lors, c’est la montée des eaux. Un phénomène qui indiffère certains commentateurs, notamment un qui disait il y a quelques années dans un livre qu’il n’y avait aucun problème de français à Montréal… Un autre, anglophone, qui soutient que le nombre absolu de francophones au Québec augmente et que, par conséquent, le français n’est pas du tout menacé, même si la proportion de francophones diminue…

Pourtant, rien qu’à voir on voit bien, comme on dit chez nous. Mes derniers séjours à Montréal m’ont permis de constater qu’on entend de l’anglais partout, même dans les quartiers francophones. Quelques exemples : la rue Saint-Denis, au cœur du Quartier latin; aux alentours de l’immeuble de Radio-Canada, dans l’est de la ville.

Dans des écoles françaises, des élèves parlent très souvent anglais entre eux. Ils carburent à la culture populaire Tik Tok qui est fortement anglicisée. Le français? Ils s’en fichent, du moment que tout le monde se comprend.

Dans ma ville de Gatineau, on constate l’implantation de plus en plus importante d’anglophones de l’Ontario qui achètent des maisons moins chères que dans la capitale fédérale voisine, Ottawa. Je n’ai rien contre la venue d’anglophones dans mon quartier, mais ils se comportent à Gatineau exactement comme s’ils étaient en Ontario. Sans gêne, ils refusent de dire un mot de français, même si certains l’ont appris à l’école. Ils veulent être servis dans leur langue dans les commerces francophones. C’est pour eux une question de principe. Rappelons qu’à Ottawa il est extrêmement difficile d’être servi en français.

Résultat : mon propre quartier s’anglicise tranquillement et il en va de même dans le reste de la ville. Le phénomène inquiète certaines personnalités politiques de la ville, mais comment réagir?

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant que le gouvernement du Québec ait lancé une autre initiative pour assurer la survie du français au Québec. Le gouvernement a présenté un plan d’action pour inverser le déclin du français. On peut se demander si cela sera suffisant. Encore faut-il que la population suive.

5. Les Québécois et l’immigration

Il clair que le Québec tout comme le reste du Canada devient multiethnique, ce qui n’est pas une mauvaise chose en soi. La principale différence tient au fait que la diversification de la population est devenue au Canada anglais un véritable dogme politique, société post-nationale oblige. Il faut à tout prix augmenter la population et atteindre les 100 millions d’habitants, comme si la politique d’immigration n’était rien d’autre qu’un chiffre magique. Atterrant. Le gouvernement fédéral ne parle jamais d’intégration, un concept raciste pour certaines personnes qui se disent progressistes. D’ailleurs, pourquoi chercher à intégrer les gens si nous vivons dans une société sans identité nationale?

Mais les faits sont têtus. Accueillir tout ce beau monde, notamment des étudiants étrangers, devient un problème explosif et force la réflexion. L’impensable se produit : le Canada anglais commence à discuter d’immigration, mais du bout des lèvres. Comment loger tous les nouveaux arrivants alors qu’il y a une crise du logement? Je vous laisse réfléchir sur la réponse géniale du ministre de l’Immigration : faire venir plus de monde pour construire des logements qui sont en nombre insuffisant parce qu’on a trop de monde.

Un ancien journaliste de Radio-Canada me disait que le débat sur la politique d’immigration restait encore à faire au Canada anglais. On peut même se demander s’il vient véritablement de commencer.

Un monde de différence avec le Québec, cette société raciste arriérée, selon le Canada anglais. Il faut dire que c’est dérangeant d’avoir ce voisin francophone buté qui tient à protéger son identité nationale. Quand on vit dans une société obsédée par la diversité et les droits individuels, il est difficile de comprendre que le peuple d’à côté souhaite intégrer harmonieusement ses nouveaux venus. Tout effort d’intégration devient donc du « racisme systémique ». Comme si une société n’était rien d’autre que la simple superposition de droits individuels.

Soyons clair, il y a effectivement des gens racistes au Québec qui voient dans l’immigration une menace. Ce sont souvent des personnes nostalgiques d’un Québec pure laine dans lequel les seuls immigrants tolérables étaient des Italiens et des Grecs. Ils ne veulent pas voir l’apport des populations haïtiennes ou africaines au Québec. Ce sont pourtant nos frères francophones. Et n’oublions pas les gens du Maghreb qui parlent eux aussi notre langue.

Les immigrants ne sont pas nos ennemis. Ils ne sont pas responsables des politiques insensées imposées par le gouvernement fédéral au Québec. L’immense majorité des immigrants ne veut rien d’autre qu’une vie meilleure. Mais il faut rester vigilant. Il y a des minorités bruyantes qui défendent un programme politico-religieux évident. Ils lancent des appels au meurtre et les autorités fédérales semblent incapables de réagir. Rappelons-le, ces gens ne représentent pas leur peuple.

6. Les Quebs

Les médias ont signalé ce nouveau phénomène dans les écoles québécoises : le mépris qu’affichent des élèves issus de l’immigration envers les francophones de souche. Ils nous appellent les Quebs.

Comment expliquer que des élèves de diverses origines en viennent à nous mépriser ainsi? Il y a deux réponses à cette question.

Premièrement, la politique canadienne de multiculturalisme. Si on leur présente le Canada comme une mosaïque, alors faut-il se surprendre que certains d’entre eux se sentent peu intéressés à se joindre à la majorité francophone? La glorification des minorités peut avoir des effets pervers.

Deuxièmement, il faut hélas mentionner le manque de fierté collective des francophones de souche. J’en ai parlé dans plusieurs de mes billets antérieurs. On est fier d’être francophone, dit-on, mais à la condition de parler notre belle langue n’importe comment. Écoutez autour de vous : manque de vocabulaire généralisé; syntaxe bancale, des phrases construites n’importe comment; des mots anglais à tout bout de champ, même chez les artistes qui devraient défendre notre langue sans compromis (stage, one-man show, etc.). Mais surtout l’indifférence générale, le refus de se corriger; des médias qui répandent de mauvais usages, etc.

Un nouvel arrivant ne met que quelques mois pour mesurer notre désinvolture. Les francophones apparaissent vite comme un peuple mou, qui se défend peu, qui manque d’assurance et de conviction. Il prétend être fier, mais, en réalité, il l’est très peu. Les gestes suivent rarement la parole.

L’immigrant sentira rapidement que l’anglais est la langue dynamique du continent, tandis que le français est déconsidéré, une langue de sous-culture. Beaucoup d’immigrants finiront par nous mépriser. Mais à qui la faute?

7. Survivre?

C’est dans ce contexte que se pose la question de la survie des francophones au Canada. Le recul constant du nombre de francophones dans notre pays est déjà préoccupant, tout comme la diminution graduelle du poids relatif du Québec à l’intérieur de la fédération canadienne.

La montée des eaux se poursuit; et si certains chroniqueurs s’en émeuvent, on ne peut pas dire qu’il y a un mouvement de masse observable au Québec. On s’habitue à reculer si tout se fait lentement. Surtout quand on déteste les controverses. Le peuple québécois francophone est décidément très différent de ses cousins français, pour qui les débats publics sont un art de vivre.

Le premier ministre Legault a déjà parlé de « louisianisation ». Certains trouvent qu’il dramatise. Moi pas. Les petits reculs finiront par s’accumuler et l’influence des francophones au Canada s’amenuisera. C’est aussi inévitable que la fonte des glaciers. Le taux d’assimilation des minorités francophones au Canada est déjà effarant et cette situation ne changera pas. Qu’arrivera-t-il le jour où le Québec deviendra une province de plus en plus insignifiante?

La Belle Province deviendra graduellement bilingue dans la réalité quotidienne. Les francophones sont maintenant minoritaires à Montréal et c’est très alarmant. Les Montréalais francophones ont l’impression de jouer dans un vieux film. Vous vous souvenez de cette de cette époque où des commerçants vous répondaient en anglais? Eh bien ça recommence. Dans bien des commerces on vous accueille en bilingual « Bonjour/Hi », quand ce n’est pas directement en anglais.

Comble de tout, d’autres régions vont s’angliciser tout doucement, comme c’est déjà le cas dans l’Outaouais. Les eaux continuent de monter.

Les francophones ne vont pas disparaitre au Québec. La question est de savoir quelle sera le rayonnement de la langue française, si le déclin du français se poursuit.

Tôt ou tard, les francophones québécois devront s’interroger sur l’avenir de leur société au Canada et sur le statut du Québec au sein de la fédération canadienne. Certains esprits machiavéliques souhaiterons l’invalidation de la Loi sur la laïcité de l’État par la Cour suprême, ce qui pourrait être un élément déclencheur et conduire à l’indépendance du Québec.

Personnellement, je doute que la Cour tranchera de façon radicale. Après tout, la disposition de dérogation dont s’est prévalu le gouvernement Legault est bel et bien inscrite dans la Constitution canadienne. Les juges feront probablement des remontrances au Québec, mais sans pouvoir invalider la loi. Mais, au fond, n’est-il pas un peu misérable de compter sur les turpitudes du voisin pour finir par prendre son destin en main? Si les Québécois veulent un jour rompre le lien fédéral, cela devrait être le fruit d’une réflexion sereine et non d’un geste de colère.

Allons-nous poursuivre notre déclin tranquille ou saurons-nous redresser la situation? La réponse à ces questions est dans chacun d’entre nous.