L’expression faire du sens a bonne presse même si certains « puristes », dont je suis, la condamnent. « Puristes » entre guillemets, car il y a anguille sous roche.
Au Canada, il nous apparait évident qu’il s’agit d’un calque de l’anglais to make sense. La cause est donc entendue, d’autant plus que cette erreur est relevée dans des ouvrages correctifs comme le Multidictionnaire de la langue française et Le Colpron des anglicismes.
Faire sens
Ce que l’on entend parfois, cependant, c’est l’expression faire sens. Les « puristes » précités montent immédiatement aux barricades et la condamnent sans appel. Ont-ils raison? Pas certain, comme on dit chez nous.
La Banque de dépannage linguistique vient nous éclairer
Notons que la locution verbale faire sens (sans l’article du), utilisée notamment en philosophie et en littérature, était déjà en usage en moyen français au sens d’« agir sensément ». Elle a acquis au fil du temps de nouvelles significations, dont « avoir un sens, être intelligible » et, plus récemment, « avoir du sens ». La locution faire sens est peu employée au Québec.
D’ailleurs, elle figure dans Le Robert : « Avoir un sens, être intelligible. »
En outre, faire sens employé par divers auteurs français :
L’intonation est quelque chose qui fait sens. – Claude Hagège
Les bruits, les phénomènes les plus grotesques faisaient sens – Émile Olivier
L’apparence des êtres et des choses, seule susceptible de faire sens – Marc Auger
Nous l’avons appelé culturel pour que cela fasse immédiatement sens pour le plus grand nombre – Alain Rey
Puisque rien ne fait sens a priori… – Pascal Bruckner
À la forme négative, on verra : Ne faire aucun sens ou, pour citer encore une fois le linguiste Claude Hagège : Ne faisait pas grand sens.
Le Figaro
Tous ne l’entendent pas de cette oreille.
La formule « fait problème » et pour cause! Elle est le fruit d’un bricolage hasardeux qui ne trouve aucun fondement dans les dictionnaires. (…) Mais d’où vient alors cette curieuse construction? À l’instar de l’expression « poser question » – décriée par l’Académie française mais acceptée dans les thésaurus – « faire sens » dérive d’une volonté maladroite de résumer une pensée en un minimum de mots.
Le journal admet que des tournures comme faire plaisir ou faire peur ont été admises au dictionnaire, mais condamne néanmoins faire sens.
L’Académie, pour sa part, propose Avoir, prendre du sens.
Anguille sous roche?
Certainement. Un lecteur me signale que l’expression Faire (grand) sens signifiait « Agir raisonnablement » au XIVe siècle. Comme on le sait, l’anglais a été lourdement influencé par le français, jadis. Il m’apparait donc possible, sinon probable, que le make sense anglais dérive de cette ancienne formulation française : faire sens.
J’ai longtemps moi aussi rejeté l’expression « faire sens » en raison de sa ressemblance avec « to make sense », jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’elle figurait bel et bien, sans marque indiquant une quelconque origine anglaise, dans mon Petit Robert, édition 2001 qui plus est (je me méfie des éditions plus récentes, parfois un peu trop complaisantes à mon sens), ce qui indique que ce n’est pas un ajout récent. L’expression semble donc bien « casher ».
En revanche, il me semble que sa fréquence d’utilisation dans les médias français a augmenté ces dernières années, et si on doit y voir une influence de l’anglais, c’est peut-être là qu’il faut la chercher.
Bon ok – à mon corps défendant je ne corrigerai plus cette expression qui m’horripile toujours 🙂