Traductions boiteuses des panneaux publics

Les panneaux publics traduits de l’anglais offrent de beaux exemples de littéralité. En voici un, aperçu près d’une piste de ski de fond.

To comply with the Quebec Highway Safety Code, and for your own safety, use in-line skates or roller skis on the roads in Gatineau Park only when the roads are closed to motor vehicule traffic.

Otherwise, do not practice in-line skating or roller skiing on the roads of Gatineau Park.

Traduit ainsi :

Afin de vous conformer au Code de sécurité routière du Québec, et pour votre propre sécurité, veuillez pratiquer le patin à roues alignées ou le ski à roulettes sur les routes du parc de la Gatineau seulement lorsque les routes sont fermées à la circulation de véhicules motorisés.

Autrement, ne pas pratiquer le patin à roues alignées ou le ski à roulettes sur les routes du parc de la Gatineau.

Un beau cas de traduction littérale qui ne correspond pas à l’esprit de notre langue. Certes, le message est le même en anglais et en français. Sauf que le deuxième paragraphe est répétitif. En fait, il ne correspond pas à la démarche du français, qui évite de répéter ce qui vient tout juste d’être dit.

Voici quelques formulations que l’on aurait pu utiliser, au lieu de répéter « le patin à roues alignées » et « le ski à roulettes ».

  • Autrement, s’abstenir de pratiquer ces activités.
  • Autrement, ne pas faire de patin ou de ski.
  • Autrement, s’abstenir.

En général, le français évite de répéter des évidences. En outre, il ne se sent pas obligé de reprendre intégralement ce qui vient d’être dit, mais cherche plutôt à le sous-entendre. En pareil cas, la démarche stylistique est très différente de l’anglais.

Dans l’exemple précédent, « ces activités » renvoient clairement à celles énoncées dans le paragraphe précédent. Il n’est pas nécessaire de les répéter. Un autre procédé consiste à raccourcir « le patin à roues alignées » et « le ski à roulettes », avec patin et ski. Le lecteur va tout de suite comprendre.

La troisième solution est radicale, certes, mais elle fait appel à l’intelligence du lecteur. On comprend que si les routes ne sont pas fermées, il ne faut pas pratiquer les activités mentionnées.

Voici quelques autres exemples de traductions serviles observées dans l’Outaouais et dans l’Est de l’Ontario.

Lorsque vous entrez en Ontario, on vous avertit immédiatement que les excès de vitesse font l’objet d’amendes. Les speed fines deviennent des amendes de vitesse. Pourtant, le panneau précise les amendes associées à telle ou telle vitesse. Le titre générique Amendes aurait bien suffi.

Les orignaux traversent parfois l’autoroute 417. Des panneaux les représentent avec la mention Night Danger : danger de nuit. Il va de soi que l’orignal présente un danger. Le français ne ressent pas le besoin de préciser une évidence. Heurter un orignal présente un danger. Donc : La nuit aurait été suffisant.

Certains panneaux sont explicites; par exemple No Exit. On aurait pu dire Dead End. En tout cas, la traduction suit la démarche de l’anglais : Pas de sortie. En français : Impasse.

Lu dans un parking : Reserved for permits holders only : réservé aux détenteurs de permis seulement. Il me semble qu’il y a pléonasme dans les deux langues. Le verbe réserver est assez clair sans l’étoffer par un adverbe. Réservé aux détenteurs de permis aurait bien suffi.

L’anglais est une langue plus imagée que le français, ce qui la rend très vivante. Le français, lui, recourt moins à l’image; il est plus abstrait.

On verra les inscriptions suivantes un peu partout au Canada. Elles sont un calque parfait de l’anglais.

Les adeptes du cône orange sont habitués à lire Construction partout, alors qu’il faudrait parler de Travaux à moins que l’on érige un immeuble en hauteur. Et il y a travaux parce que des ouvriers s’activent. Donc, Men at Work devient Hommes au travail, alors qu’en français correct on dirait Travaux, encore une fois.

Dans les immeubles commerciaux, on voit souvent Space to let rendu par Espace à louer. Généralement, il s’agit de Bureaux à louer ou, éventuellement, de Magasin à louer.

En terminant, les bacs de recyclage ontariens portent l’inscription We recycle traduite, si on peut dire, par Nous recyclons. Le français de bonne tenue se contenterait d’un simple mot : Recyclage.

C’est peut-être ce qu’il faudrait faire avec tous ces panneaux mal foutus.

5 réflexions sur « Traductions boiteuses des panneaux publics »

  1. Je ne serais pas du tout surpris d’apprendre que votre premier exemple est un cas de rédaction française et de traduction anglaise, malgré le point que vous soulevez. D’abord, parce que les parcs du Québec rédigent en français et traduisent en anglais. Ensuite, parce que bien des Québécois ont la fâcheuse tendance à formuler leur pensée à l’anglaise, même à l’écrit.

  2. Mais le parc de la Gatineau se trouve au Québec, donc les textes avaient été d’abord rédigés en français, right? En tant que réviseur-traducteur-rédacteur anglophone, je vois que certains textes français sont boiteux et dès qu’ils sont traduits vers l’anglais, j’ai l’impression de ne rien comprendre. J’observe le même phénomène en sens inverse; certains textes anglais sont bourrés de redondances, structures boiteuses, erreurs grammaticales… Mais paraît-il que ça dérange moins les lecteurs anglophones. Il faut toutefois que les traductions françaises soient acceptables. Faute de quoi, ça créerait scandale. Je n’arrive pas à comprendre les mentalités derrière ces phénomènes. Tout est dans la culture, la pensée linguistique, probablement. Donc la question : pourquoi nous attardons-nous souvent sur la qualité du français écrit, mais on écarte la qualité de l’anglais écrit, tant au Québec qu’à l’extérieur de la belle province?

    Cela dit, vous soulevez de bons points au sujet des panneaux routiers bilingues le long des routes ontariennes. Je n’ai jamais pensé que les traductions françaises contenaient des pléonasmes. Peut-être devriez-vous devenir traducteur pour le gouvernement de l’Ontario… 😉 Ou au moins, proposez vos suggestions au ministère des Transports de l’Ontario. 🙂

  3. Le parc de la Gatineau est géré par la Commission de la capitale nationale (CCN), qui est une société d’État du gouvernement fédéral dont les bureaux se trouvent à Ottawa.

    Les textes sont probablement rédigés en anglais et traduits vers le français.

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