Quand on a le souci de la langue, on finit par voir des anglicismes partout… même là où il n’y en a pas. Le français et l’anglais se sont échangé quantité de mots et d’expressions au fil des siècles, et bien malin qui pourrait s’y retrouver!
Les amants de la langue française sont à l’affût de l’anglicisme comme le chat chasse la souris. Mais, dans bon nombre de cas, il n’y a pas de souris.
Les attentats du 11 Septembre ont suscité toute une commotion aux États-Unis.
C’est ce que l’on dirait en anglais. Le premier sens de commotion en français est un ébranlement violent de l’organisme, comme dans le cas d’une commotion cérébrale. Mais le terme revêt un second sens, figuré, de violente émotion. Donc, pas de faute ici.
Le regretté Jean Béliveau était une figure emblématique des Canadiens de Montréal.
Là encore, c’est correct. Le sens premier est « Qui représente un emblème, se rapporte à un emblème. », selon le Petit Robert. « Qui représente (quelque chose, une idée) de manière forte. » L’exemple donné est justement Une figure emblématique du sport.
Deux autres expressions dans lesquelles l’anglais et le français s’expriment de la même manière.
Les dés sont jetés, il ne reste plus qu’à attendre. Le jeu en vaut-il la chandelle? Nous le saurons bientôt.
Peut-on donner le feu vert à quelqu’un? Là encore, ça sent l’anglais… Pourtant, l’expression est bel et bien dans le Robert, sans aucune mention d’anglicisme.
Mais voici une authentique importation anglaise : le thé.
Le bridge et le cricket, ce n’est vraiment pas sa tasse de thé.
L’image est savoureuse… on se croirait dans un roman d’Agatha Christie, et on y est! L’expression vient bel et bien de l’anglais, mais on la retrouve tant dans le Robert que dans le Larousse!
Le pouvoir évocateur de l’anglais, qui s’exprime beaucoup par images, séduit parfois les francophones.
J’ai déjà eu l’occasion de regretter dans des forums ou lors de discussions la méfiance que l’on nourrit au Québec à l’égard des sens figurés, par analogie ou par extension des mots bien français, comme s’il n’y avait que le sens premier ou strict qui vaille. Pourtant, ce sont bien les expressions imagées (même si le français est souvent moins imagé que l’anglais), les métaphores ou les analogies qui font toute la richesse et la beauté de la langue française, au–delà de la précision des mots.
Quant à ces mots ou expressions qui sont commun à l’anglais et au français, il est souvent difficile de savoir qui les a empruntés à qui. Dès lors, pourquoi s’en priver systématiquement, en concluant ipso facto qu’il y a là un anglicisme?
Dernier point, beaucoup ne font pas la différence, dans les marques d’usage indiquées dans le dictionnaire, entre les anglicismes et les mots qui viennent de l’anglais. Un mot qui vient de l’anglais n’est pas nécessairement un anglicisme; il peut être depuis tellement longtemps dans la langue française qu’il en fait bel et bien parti et que son emploi est tout à fait admissible. Il a pu venir en son temps combler un vide sémantique ou même être à l’époque un anglicisme isolé, validé par le temps et l’usage. Songeons au bien connu pipeline (qui se prononce du reste à la française, et non à l’anglaise). Songeons au mot performance (au sens de résultat chiffré). Songeons à information, au sens de renseignement, dont Mme Sauvé, sauf erreur de ma part avait démontré que le rejet n’était pas fondé. Songeons même à réaliser, dans son sens critiqué (ce sens est tellement implanté que lutter contre est à présent un combat d’arrière-garde). La percolation d’une langue dans une autre, au sens de quelques emprunts par siècle ou par décennie, n’est pas le problème et ne met pas une langue en danger. Cela fait même partie de l’évolution naturelle des langues. Le problème, c’est l’invasion, le déversement de mots anglo-saxons dans les autres langues depuis la deuxième (oui, deuxième est correct! – voir Grévisse) moitié du XXe siècle, grâce aux voyages, à la télé, à l’électronique, à Internet ou à la multiplication des échanges à l’échelle mondiale. Le danger ne menace d’ailleurs pas que le français, et on s’en émeut aussi en Italie, en Allemagne et ailleurs. Il y a le phénomène du nombre, mais il y a aussi le phénomène du remplacement, lorsque le mot étranger remplace le mot français, lorsque le mot étranger vient spontanément à l’esprit et que mobiliser le mot français demande un effort intellectuel. C’est là que la langue se perd, que la langue meurt.
Il est donc nécessaire de faire la chasse aux anglicismes. Mais à voir des anglicismes partout et à ne plus oser employer certains mots (comme disponible dans ses sens bien français) ou les sens imagés, figurés ou par extension des mots est tout aussi dommageable, car c’est une autre manière d’appauvrir le français.
On dirait que je me suis éloigné du sujet… 🙂
Merci pour ce billet! C’est tellement vrai.
Enfin un professionnel qui ose affirmer que tout n’est pas noir ou blanc.
J’ai même déjà vu une correction du terme « éligible », alors qu’il était approprié.
Quand on prend des mauvais plis…
Surveillez mon article de demain sur collecte et collecter.