L’informatique est un domaine de pointe et, en tant que tel, il est envahi par les anglicismes. Ce qui dans une certaine mesure est compréhensible, mais pas nécessairement acceptable.
Fascinés par l’anglais, nos amis européens ne cherchent plus à traduire, comme je l’ai souvent dénoncé dans mes billets. On peut certes rappeler que le français s’est jadis nourri de centaines de mots italiens, allemands ou néerlandais et qu’il n’en est pas mort. Toutefois, il est troublant de constater que l’immense majorité des termes utilisés en informatique sont anglais. Les efforts de traduction semblent vains et dérisoires.
De nos jours, des mots comme logiciel, ordinateur ne seraient plus créés. On se gargariserait de software et de computer. Logiciel et ordinateur seraient considérés comme des inventions farfelues du Québec, cette contrée bizarre qui s’acharne à tout traduire.
Soyons honnête, cependant, il est peu probable que computer se serait installé dans la langue française… Est-ce qu’une pute compute ou pas ? Grande question.
À présent, petit tour d’horizon.
Anglicismes ayant droit de cité au Québec et au Canada français
Vous diffusez un document électronique sur le Web (anglicisme) ? On parlera plus souvent d’un podcast que d’une baladodiffusion. Cette traduction est pourtant expressive.
Vous postez un tweet et voulez qu’il soit lu ? Bonne idée alors de lui attribuer un hashtag, c’est-à-dire un mot-clé. Vous avez donc affiché un post, vous avez posté quelque chose. Le micro-billet était un tweet, anglicisme impossible à rattraper parce que très spécifique. Il a engendré le verbe tweeter et le très joli twittosphère.
Quand vous naviguez dans Internet, vous accéder à des sites qui plantent des cookies comme des choux. Ces choux aigre doux sont en fait de mouchards. Mais qui utilise ce mot ? Et ces mouchards peuvent se muer en spyware, c’est-à-dire des espiogiciels, des logiciels espions.
Les formulaires en ligne sont une source inépuisable de frustration. Un champ non rempli, une date indiquée de la mauvaise façon et tout est bloqué. On vous demande de créer un mot de passe sans vous donner les paramètres. Autre échec. On vous oblige ensuite à cliquer sur des images contenant des feux de circulation pour prouver que vous n’êtes pas un robot. Certes vous n’en êtes pas un et vous obéissez, mais le système refuse vos réponses exactes… Ce genre de mésaventure n’est pas rare.
Il y a un bogue dans le formulaire. Ce mot est orthographié bug en Europe.
En fin de compte, vous téléchargez (et non downloadez) le formulaire pour le scanner. On pourrait dire numériser et cette traduction se voit parfois, mais force est de constater que scanner a la cote.
Anglicismes traduits au Québec et au Canada français
Si vous créez un site Web, vous en êtes le webmestre, et non le webmaster. Vous pourriez indiquer votre adresse courriel, mot-valise pour courrier électronique. Il est malheureux de voir les Européens s’entêter à parler d’e-mail ; encore plus triste de voir le désolant mailer. Courriel est un si joli mot, mais il a un défaut : il ne sonne pas anglais.
Certains lecteurs hésiteront à donner leur adresse courriel, car ils pourraient ensuite être inondés de spam, un bel américanisme qui rappelle cette pâte de viande qu’on étendait généreusement sur du pain. Ce qu’on appelle au Québec du pourriel.
Le suffixe ciel se voit dans quelques traductions : freeware – gratuiciel, shareware – partagiciel.
Dans votre site web, vous pourrez demander à vos lecteurs de s’abonner à votre bulletin électronique, une newsletter en Europe. Voilà un bel exemple d’anglicisme tout à fait inutile.
Et il y a le clavardage, autre belle création pour rendre l’ineffable chat. L’apparition de cet anglicisme m’agace toujours parce qu’il est inusité ici. J’ai toujours l’impression qu’on parle de l’animal et dois marquer une pause… pour retomber sur mes pattes de francophone acharné.
Smartphone
Un dernier anglicisme que l’on voit rarement chez nous est smartphone. Nous avons la traduction bancale téléphone intelligent qui est en quelque sorte un calque de l’anglais. On parle aussi de téléphone cellulaire. En abrégé : cellulaire, ou encore cell…
En France, on a suggéré ordiphone, qui rend très bien le sens. Ce que nous appelons encore un téléphone n’en est plus vraiment un. À moins de pratiquer certains métiers dans lesquels les coups de fil sont fréquents, force est de reconnaître que le smartphone est d’abord et avant tout un ordinateur de poche. Une sorte de couteau suisse qui nous permet de filmer, photographier, surfer sur le Net, faire des calculs, nous éclairer, etc.
Mais il est évident qu’ordiphone ne passera jamais… Même au Québec on ne l’utilise pas. Pas plus que smartphone d’ailleurs.
On a proposé en Europe terminal mobile, mobile multifonction. Pas très accrocheur. On comprend que les Européens ont raccroché et ne veulent plus décrocher de leur smartphone.
Il faut bien entendu éviter de se laisser contaminer sans broncher.
Mais la tactique de protection contre la submersion par des américanismes devrait être adaptée. L’anglais (agglutinant) et le français (analytique) doivent se concevoir dans leur « génie » propre : inutile donc de torturer le lexique pour afficher un nouveau mot en face de chaque nouveauté anglicisante. On aboutit presque toujours à des créations artificielles qui ne prennent pas. Il faut donc que toutes ces nouveautés soient décrites avec simplicité même s’il faut deux ou trois mots ou une expression. On a voulu forger « mot-dièse » pour hashtag et ça a été un bide mémorable alors que « mot-clé » existait et était parfait (je l’utilise d’ailleurs sans souci au quotidien). Pourquoi fabriquer « pourriel », « gratuiciel » ou « partagiciel » qui sont des logiciels indésirables, gratuits et partagés. Comme pour les pas, « c’est le premier mot qui compte ». La tactique du « mot-pour-mot » est perdante d’avance car elle enferme le locuteur francophone dans la logique commerciale et industrielle de l’adversaire. À chaque occurrence on devrait adapter sa tournure avec le large choix de mots existants et non se forcer à caser aux forceps le gallicisme de service. On n’emploie alors plus tous ces mots frelatés et cela sans même s’en rendre compte. Tactique, tactique : ce qui compte en français c’est la rédaction, pas seulement le lexique…
Merci de vos commentaires, toujours aussi intéressants.
D’abord trois petites remarques lexicographiques. Pour ce qui est de smartphone, je pense qu’il faut mentionner aussi portable ou téléphone portable qui serait l’équivalent de notre téléphone cellulaire, l’ancêtre du téléphone intelligent. Ensuite, je vois beaucoup infolettre comme équivalent de newsletter. Et enfin Radio-Canada utilise systématiquement témoins de navigation pour cookies.
Si on regarde le phénomène de la langue de l’informatique en français en général, force est de constater que cette langue est submergée par une vague déferlante d’innovations technologiques qui se parlent et s’écrivent en anglais américain. Ce n’est pas pour rien qu’on parle des GAFA, Google Amazon Facebook Apple comme exemples de l’hégémonie américaine.
Il n’y a que deux solutions à la question de la langue des nouvelles technologies venant de l’étranger: soit traduire, c’est-à-dire trouver ou inventant des mots équivalents en français, soit assimiler les mots étrangers en français.
Or il est évident que la solution la plus simple et la plus rapide est d’intégrer l’élément étranger, quitte à changer sa forme pour mieux l’assimiler. C’est ça ce qui explique bien entendu le phénomène de ce qu’on appelle curieusement l’emprunt. (Quand est-ce qu’on va remettre l’emprunt?).
J’ai lu d’ailleurs que le japonais est une des langues qui ont le plus emprunté à l’anglais. On ne le dirait pas parce que l’orthographe nous le cache. Et la langue japonaise ne semble pas en avoir trop souffert.
https://en.wikipedia.org/wiki/Gairaigo
Quant à la traduction, l’autre solution, elle est certes nécessaire parce que des textes de tout ordre exigent des versions en français. Et s’il faut, on invente des mots. À cet égard, au Québec nous avons une longue tradition de création terminologique conduite essentiellement par l’Office québécois de la langue française.
Il résulte de tout ça une forme de ce que les linguistes appellent la diglossie. D’une part, il y a un français soutenu, souvent écrit, dont les auteurs, à coups de banques de terminologie, s’efforcent d’utiliser un français exempt de mots aux allures anglo-américaines. Je pense aux documents à caractère administratif et à la langue de Radio-Canada.
Et d’autre part, il y a la langue parlée spontanée des communs des mortels où c’est le far-west. Comment parlent les informaticiens entre eux? Je n’ai pas besoin de vous en faire un dessin. Et c’est la même chose dans la plupart des domaines techniques.
Personnellement, je suis plutôt favorable à l’assimilation, c’est-à-dire l’intégration phonétique et orthographique. Pourquoi pas spamme, podcaste, couquie, fiching, mèle, backope, downlauder, oplauder, etc. à titres de suggestions? Ainsi les apparences seront sauves et tout le monde, sauf les terminologues, sera content.