Texte ironique sur l’informatique. Vous reconnaissez-vous dans la description suivante?
De plus en plus, vous avez l’impression d’être un béotien, un chameau qu’on force à passer par le chas d’une aiguille. Les procédures pour faire les choses les plus simples deviennent de plus en plus tordues. Vous êtes enseveli par des mots de passe de plus en plus complexes. Une souris blanche perdue dans le labyrinthe informatique.
Les foutus mots de passe
Comme la neige en hiver, ils sont incontournables. Vous voulez acheter des billets de théâtre? Il faut ouvrir un compte. Même chose pour un tournoi de tennis ou un voyage en train, car les billets papiers sont maintenant bannis. Gare à vous si votre téléphone ne fonctionne pas le jour de l’évènement ou si vous ne trouvez plus le courriel contenant ce sésame qu’est le code QR de vos billets. Vous l’avez effacé par erreur? Zut!
Chaque nouveau compte requiert un mot de passe. Quand le logiciel est gentil, il vous précise que vous devez inscrire au moins un caractère en majuscule, un autre en majuscule, un chiffre, au moins un symbole, un hiéroglyphe, et aussi un caractère runique, et, tant qu’à y être, un idéogramme japonais ou chinois… Maintenant, il faut au moins 12 caractères pour sécuriser votre compte. Comment mémoriser votre mot de passe, qui aurait fait reculer Champollion? Parce qu’attention! Il ne faut l’écrire nulle part (sans blague!)? Le truc, c’est de s’arranger pour que le mot de passe corresponde à la mélodie d’un chant tibétain du VIIIe siècle.
Les applications
En passant, avez-vous téléchargé l’application? C’est tellement plus simple… Mais attention, il est fort possible qu’elle refuse mystérieusement votre mot de passe tout neuf, créé dans Internet. Vous voilà enfermé dans une boucle informatique. Ça arrive. Débrouillez-vous maintenant.
Pugnace vous avez tenté d’entrer dans votre compte à plus de trois reprises, en vous disant que vous avez mal transcrit votre mot de passe. Grave erreur. Vous compte est maintenant verrouillé.
Vous êtes décidément très naïf. Vous voulez appeler le service à la clientèle de votre application. Le problème est que vous aurez beau chercher partout dans le site, vous ne verrez jamais de foutu numéro de téléphone. Une rubrique d’aide tentaculaire s’assurera de ne pas répondre à la question simple que vous posez. Sans rire, on vous demande ensuite si le menu d’aide a été utile. Parfois, on arrive à débusquer le fameux numéro en cherchant dans Internet. Parfois.
Un agrégateur de mots de passe
Au fond, la solution serait d’avoir un mot de passe universel au lieu de 65, dont 43 sont considérés comme peu sécuritaires. Les gourous du Web vous incitent à choisir un agrégateur de mots de passe : tout sera désormais beaucoup plus facile. Facilité et informatique sont deux plaques tectoniques qui s’éloignent l’une de l’autre.
Méfiez-vous de ces gourous. Pour eux, tout est simple. C’est un peu comme Einstein qui essaie de vous convaincre que la mécanique quantique, ce n’est finalement pas compliqué quand on la prend par le bon bout…
Alors votre gourou vous dira que l’application OneFuckingPassword est géniale et facile à utiliser. Grâce à elle, vous pouvez stocker tous vos mots de passe, les numéros de vos cartes de crédit, tous les renseignements personnels que vous souhaitez.
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais le doute me saisit. Vais-je confier tout ce matériel radioactif à une application inconnue? Si, si, si, insiste votre gourou, tout est crypté, pas de danger.
Quel bonheur! Mes comptes vidéo-étron.ca, Hostidemail.com, Goofymail.com, Yahoulala.fr, Instagratte, Nerd, PowderGroin, Excel-lent et autres applications Windoors seront enfin accessibles, grâce à un seul mot de passe.
Bon OK.
OneFuckingPassword
Les portes de l’enfer s’ouvrent.
Je comprends assez vite que c’est tellement simple que je ne suis pas toujours sûr de comprendre. J’ai choisi le seul mot de passe dont je vais me servir, quelque chose de convivial comme HELP&cx2*me##ifYOU%-can%@! Mais pas le choix, OneFuckingPassword ne veut rien savoir de Jenpeupu. Mon mot de passe doit être tellement sécuritaire qu’il devient impossible de le mémoriser, à moins de souffrir de schizophrénie catatonique.
OneFuckingPassword est très facile à utiliser. La preuve c’est qu’il y a un tas de vidéos YouPuke qui cherchent à vous convaincre que c’est simple. Par exemple intégrer l’application à votre navigateur GoofyCrook, FirefoxNews, Safarire, PuckPuckGo ou MicroGates Edgy. Un jeu d’enfant, qu’ils disent.
C’est peut-être simple, mais pas nécessairement convivial, voilà le problème. Sinon comment expliquer cette pléthore de tutoriels?
Vous désirez inclure le mot de passe de votre application de recettes? Fafa bébé, des dizaines de tutoriels vous indiquent comment. J’en essaie un et les affichages de la vidéo ne correspondent pas à ce que je vois sur mon ordi. J’en essaie un autre, mais là encore, cela ne correspond pas. Je constate que les vidéos datent de deux ans… Et j’ai un Mac en plus… J’essaie à plusieurs reprises, mais ça ne fonctionne pas.
Me voilà transporté dans la quatrième dimension…
Alors pourquoi ne pas télécharger l’application et passer par elle, au lieu d’intégrer OneFuckingPassword dans mon navigateur? Je télécharge l’application en me disant que je suis bien bête de ne pas y avoir pensé. Tout est de ma faute.
Je déchante vite. Je tape mon fucking mot de passe caractère par caractère, tel un apothicaire qui prépare une concoction miraculeuse. OneFuckingPassword refuse platement mon mot de passe. C’est encore moi qui ne comprends pas. Sûrement.
Respirons par le nez. Je clique sur Mot de passe oublié… L’application me demande l’identifiant qui est mon adresse courriel. Je tape l’identifiant et OneFuckingPassword se rebiffe. Buté comme un âne, il me dit d’un air hautain qu’il n’y a pas de compte à ce nom…
Bref, j’ai passé des heures à écouter des vidéos, à tenter des expériences, en vain. Excédé, j’ai réalisé que l’agrégateur me rendait la vie impossible, car j’avais maintenant du mal à entrer dans mes applications courantes, qui, souvent, refusaient de s’ouvrir, parce que mon fucking mot de passe ne fonctionnait pas.
Une boucle informatique infernale. J’ai décidé de me débarrasser de OneFuckingPassword. Pas si simple que cela quand l’application dit que tu n’as pas de compte…
Excédé
À présent, je n’ose plus toucher à rien. Renforcer mes mots de passe me parait être la moins pire des solutions. Mais là encore, cette mesure élémentaire peut virer au cauchemar, comme cela s’est produit avec ma banque.
Les gourous nous vantent maintenant l’identification à deux facteurs. Par exemple, Facedebouc vous envoie un code numérique par texto pour déverrouiller votre compte. Cela empêchera votre compte d’être piraté si votre mot de passe a été diffusé.
Le croiriez-vous, mais je suis sceptique. Qui dit que le code par texto ne sera jamais intercepté? Et supposons qu’un bogue empêche l’envoi du fameux code? On fait quoi?
Eh bien on lâche ses appareils électroniques et on va faire une marche.
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J’invite tous ceux qui ne veulent pas perdre l’esprit à lire mes Chroniques informatiques.
Mon Glossaire de l’informatique vous amusera sûrement.
Comment j’ai failli perdre mon blogue.
J’ai adoré votre article!
Merci
Merci!
Vous êtes hilarant ! Nous avons bien ri mon conjoint et moi : j’ai lu tout haut votre billet.
Dois-je vous conforter dans votre désarroi en vous confirmant la véracité et l’acuité de tout ce que vous y exprimez ?
Voici ma solution personnelle : une application unique stockant tous les mots de passe par ordre alphabétique (j’en ai plus de 70 !), sans connection au Cloud bien sûr, donc PRIVÉE.
Le seul problème restant : on ne doit pas perdre ou égarer le support informatique (cellulaire, tablette ou ordi)…
On n’a pas le choix de vivre avec son temps. Vous avez toute ma sympathie cher monsieur !
Merci de vos commentaires. Ça réchauffe le cœur!
Vraiment très inspiré ce compte rendu désopilant et hélas tristement véridique !!!
Merci! Content de voir que d’autres personnes partagent mon avis.
Haha! En voulant partager votre très inspiré billet, Facedebouc m’a évidemment demandé mon mot de passe. Et malheur! Je lui ai donné un ancien mot de passe! J’avais oublié que je l’avais changé parce que Facedebouc m’avait demandé de le changer je ne sais plus quand. Allez, bonne promenade, Monsieur Racicot!
Merci de votre gentil commentaire.
J’ai moi aussi passé un très bon moment à lire (à rire) votre article. Qu’ils nous rendent fous, ces mots de passe!
Votre réaction à mon glossaire de l’informatique m’a incité à parler de mon expérience avec les mots de passe. Continuez de me lire!
J’en suis heureuse. Je vous lis un peu chaque jour depuis que j’ai découvert votre blogue! Vous êtes en quelque sorte ma »formation continue ». 🙂
Ça fait du bien! Merci.
Moi aussi je me sens mieux!
Bonjour André, personnellement, je n’aime pas du tout donner accès à mes mots de passe à une application ou à un logiciel. J’ai un antivirus qui a la fonction de gestion de mots de passe et je ne me sers pas du tout de cette fonction.
Cela me parait très sage. Car le jour où il y aura une fuite d’info… Je n’aime mieux pas y penser.
Une fois que vous avez maitrisé la bête et créé des mots de passe valables, sûrs et dûment mémorisés, consultez le site haveibeenpwned.com, entrez-y votre adresse courriel et appuyez sur Entrée. Vous apprendrez alors que vos mots de passe si chèrement conquis pour accéder à Adobe, Dropbox, Kickstarter, Hotmail, Dailymotion et autres Twitter ont été subtilisés et offerts sur le vaste marché du vol d’identité. Et on vous recommandera de revisiter tous ces sites et de modifier votre #&?$ de MotDePasse@marde.
Merci du conseil!
Merci pour cette chronique, où je me suis moi aussi retrouvée…
À une nuance près : au risque de vous surprendre, un jour où je m’étais bien énervée parce pour la n ième fois on m’avait demandé de changer de mot de passe sur un site, j’ai choisi : « Jenaimarre » (pas si loin du « Jenpeupu »), et bizarrement, ça marche depuis ! Sauf qu’il faut quand même à chaque connexion une double identification, par tél ou mail, qui vous envoie donc un SMS avec un code unique que vous devez entrer chaque fois…
Comme l’écrivait ou le dessinait Sempé : « Rien n’est simple, tout se complique ».