On s’entend pour considérer les conflits de 1914-1918 et 1939-1945 comme étant des conflits mondiaux. Certains historiens considèrent la Guerre de Sept Ans (j’assume les majuscules) comme une sorte de guerre mondiale, ce qui me paraît quelque peu contestable. C’est à la suite de cette guerre, qui a mis aux prises plusieurs grands empires européens, que la France a cédé le Canada à la Grande-Bretagne.
La plupart des ouvrages et rédacteurs s’entendent pour écrire le nom des deux guerres mondiales avec majuscule. Il y a bien, ici et là, quelques esprits minimalistes qui veulent supprimer la majuscule de tous les noms propres, des gens qui, par exemple, écrivent le parti communiste. Ces personnes écriront la première guerre mondiale comme s’il s’agissait de la trompette du musicien. Je m’élève contre ce réductionnisme absurde, qu’on ne voit pas dans les langues sœurs comme le portugais, l’espagnol ou l’italien.
J’ai déjà dénoncé ce réductionnisme dans un précédent article sur les noms des périodes historiques.
Bien entendu, la Première Guerre mondiale ne s’est pas appelée ainsi d’emblée. À l’époque, on croyait et on espérait que l’humanité ne serait pas encore assez folle pour se lancer dans une autre boucherie du genre. C’est pourquoi ce nouveau conflit a été baptisé la Grande Guerre, avec deux majuscules. Les règles tatillonnes sur l’emploi des majuscules étaient respectées.
Normalement, le mot guerre s’écrit en minuscule et l’élément déterminatif qui suit doit prendre la majuscule initiale, s’il s’agit d’un substantif. On dira la guerre du Péloponnèse, la guerre d’Indépendance américaine. Mais si le mot guerre est suivi d’un simple adjectif, alors aucune majuscule nulle part. Sidérant. Ainsi : la guerre froide.
Alors pourquoi la double majuscule dans la Grande Guerre? Tout simplement parce que l’adjectif précède le substantif et qu’il fait partie intégrante du nom. On ne pourrait, par exemple, écrire l‘énorme guerre. Le mot Grande n’est pas fortuit, il fait partie du nom.
Je vous laisse mesurer toute l’ineptie de ce genre de distinction.
Il y eut malheureusement un second conflit mondial. On abandonna l’appellation Grande Guerre pour parler de la Première Guerre mondiale. Quant à la suivante, elle fut qualifiée de Deuxième Guerre mondiale. Pendant longtemps, cette appellation a été décriée, certains argüant que le mot deuxième laissait entendre qu’il y en aurait une troisième. Ils préféraient donc le terme Seconde Guerre mondiale.
Certains rédacteurs, traducteurs et grammairiens débattent encore de la question. Voici ce qu’en dit Le Petit Robert : La règle selon laquelle deuxième s’emploierait lorsque le nombre des objets dépasse deux, et second lorsqu’il n’y en aurait que deux, est selon Littré « tout arbitraire », mais observée cependant par certains puristes.
Assez drôle de voir un dictionnaire en citer un autre…
Joseph Hanse, dans son Nouveau Dictionnaire des difficultés du français moderne, tranche la question : Jamais la langue n’a fait couramment entre les deux (deuxième et second) la distinction que des théoriciens ont voulu établir.
Par conséquent, les deux appellations Seconde Guerre mondiale et Deuxième Guerre mondiale sont aussi valides l’une que l’autre.
On remarquera, toutefois, qu’une désignation générique, qui s’écarte des termes consacrés, ne prendra pas de majuscule. Ainsi : Les deux conflits mondiaux ont fait des dizaines de millions de morts.
Pour répondre au commentaire «Assez drôle de voir un dictionnaire en citer un autre…», je précise que le Robert se voulait au départ un «nouveau Littré». À sa fondation en 1951, l’éditeur s’appelait d’ailleurs «la société du Nouveau Littré Dictionnaires Le Robert» (voir http://www.lerobert.com/qui-sommes-nous.html).
Il n’est donc par surprenant de voir le Robert citer régulièrement le Littré.
Au fait, voici une petite page d’introduction intéressante à propos du Littré : http://www.littre.org/
Et on peut y ajouter ce que dit mon fidèle Grévisse :
[599 b) 2°] – « Second, surtout usité aujourd’hui dans la langue soignée. Deuxième est la forme ordinaire […] Les rapports de second avec deuxième ont fait l’objet de prescriptions arbitraires : tant que second a été la forme la plus courante, les grammairiens réservaient l’emploi de deuxième au cas où la série comprenait plus de deux termes (l’emploi de second étant considéré comme libre); quand second est devenu plus rare, ils ont voulu réduire celui-ci au cas où la série ne compte que deux termes (l’emploi de deuxième étant libre). L’usage a toujours ignoré ces raffinements (que Littré contestait déjà). »
[599 H2] – « C’est depuis qu’ils existent que second et deuxième s’emploient sans nuance distinctive. »
Il existe aussi des expressions ancestrales, comme « les seconds de personne » (non au sens hiérarchique (seconder qq’un), mais au sens de « jamais deuxième »), d’où il ressort clairement que second s’accommoderait très bien d’un éventuel troisième.
Personnellement, je ne fais la distinction entre second et deuxième quand je traduis que parce que je sens l’ombre du réviseur au-dessus de mon épaule. Sans cela, je considère depuis longtemps que la distinction n’existe pas.
J’espère maintenant que les rédacteurs vont arrêter de s’en faire avec cette question.
Tout à fait d’accord que la différence entre « deuxième » et « second » est arbitraire et qu’on devrait pouvoir aussi bien dire « Deuxième Guerre mondiale » que « Seconde Guerre mondiale ».
Le Petit Larousse explique : « On emploie « second » plutôt que « deuxième » quand il n’y a que deux éléments », mais au mieux (à mon avis) il s’agit là d’un usage extrême relevant d’un pinaillage sans utilité avérée et qui peut donc être considéré comme tyrannique – arbitraire en tout cas comme l’affirme Grévisse.
Quant à l’argument d’après lequel on devrait écrire « Grande Guerre » parce que l’antéposition inhabituelle de l’adjectif ferait (automatiquement) un nom propre de cette expression, il semble en effet ne pas tenir : on pourrait très bien dire « sanglante guerre de Sécession sans choquer et sansfaire pour autant de toute l’expression un nom propre. Si « énorme guerre » ne paraît pas possible, c’est par raison de style plutôt que par raison de grammaire : « énorme » sonne exagéré, et l’impression d’exagération est redoublée quand on emploie le mot dans une construction inhabituelle (ici antéposition de l’adjectif) ; or, comme on sait, l’exagération est censée particulièrement incompatible avec la langue française.
À noter que le Petit Larousse écrit « guerre de Sécession », sans majuscule à « guerre » : mais alors pourquoi écrit-il « Seconde « Guerre » mondiale » (avec majuscule) ? Cela confirme que l’usage est toujours sujet à caution et que sa légitimité devrait s’arrêter avec son utilité. La langue française est une langue de raison plutôt que d’usage. JR