Grammaire oublier
AVERTISSEMENT : Le titre de ce billet comporte une faute volontaire illustrant le propos du texte.
Mon père avait étudié jusqu’en onzième année. Il possédait peu de culture générale, pourtant quand il m’écrivait, lorsque j’étudiais en Europe, ses lettres ne comportaient aucune faute de grammaire. Je me souviens qu’un jour, il m’avait interrogé sur la conjugaison du verbe acquérir : il acquiert ou il acquière?
Ma mère avait étudié jusqu’en huitième année. Elle était une artiste et connaissait bien la musique classique, mais, comme c’était trop souvent le cas dans les années 1940, elle n’avait pas pu continuer ses études. Comme mon père, elle lisait peu et elle aussi, malgré tout, écrivait sans faute.
Combien de gens issus des milieux populaires en 2021 peuvent en dire autant? La réponse serait gênante.
La grammaire à la dure
Je soupçonne mes parents d’avoir appris le français à peu près de la même manière que moi, c’est-à-dire à la dure. Pour maîtriser le français, il faut bûcher, pas moyen d’y arriver autrement. À mon tour, je suis passé par les travaux forcés que sont les dictées. Mais avant, on s’était donné la peine de nous enseigner un art qui semble disparu : l’analyse de phrase. Patiemment, j’ai appris ce que sont un complément d’objet direct, un complément circonstanciel, un adverbe, une préposition, etc.
Bien entendu, tout cela était ardu et jamais les professeurs n’ont essayé par quelque tour de passe-passe de nous faire croire qu’on pouvait assimiler la grammaire française sans effort.
En réunissant tous ces éléments, il devenait relativement facile d’accorder ou de ne pas accorder un participe passé et d’écrire à peu près sans faute.
L’imparfait du subjonctif
Je ne sais pas si les étudiants et diplômés d’aujourd’hui ont la moindre idée de ce qu’est un imparfait du subjonctif. Le croiriez-vous, je l’ai appris en quatrième année du secondaire. La clé était de comprendre qu’il était formé à partir du passé simple.
Le passé simple? Vous dites? En Europe, on se demande si ce temps n’est pas appelé à disparaître pour être remplacé par le passé composé.
On voit bien que quelque chose s’est perdu en chemin. Déjà que mes parents trouvaient dommage qu’on n’enseigne plus le grec et le latin, comme jadis dans le cours classique. Néanmoins, rendu au collège et à l’université, j’écrivais le français sans faute.
Le français d’aujourd’hui
Des collèges au Québec offrent des cours de rattrapage en français parce que les étudiants sont incapables d’écrire correctement. Pire encore, leurs textes sont confus, voire incompréhensibles, parce qu’ils n’ont pas appris à organiser leurs idées. Bien des étudiants universitaires font encore des fautes. Ce sont pourtant des privilégiés possédant une éducation supérieure à la moyenne.
La question se pose : comment en sommes-nous arrivés là, après avoir dépensé autant d’argent pour instruire ces étudiants alors que le niveau d’instruction général de la population est supérieur à celui des années 1940?
Depuis plusieurs décennies, les élèves des écoles secondaires au Québec servent de cobayes à toutes sortes de réformes et d’expériences pédagogiques dont nous mesurons bien les résultats catastrophiques quant à la maîtrise du français. Le système d’éducation québécois a formé des cohortes d’incompétents transversaux qui écrivent au son.
On n’a qu’à lire la prose infecte des médias sociaux. Dans cette maison de fou, la déraison s’exprime dans une langue en haillons. Grammaire et orthographe massacrées qui témoignent d’un autre problème : l’indifférence à l’égard de la qualité du français.
Pourtant, le problème n’est pas nouveau. Il existait dans les années 1980 quand Claude Ryan était ministre de l’Éducation. Ses successeurs Pauline Marois et François Legault, aujourd’hui premier ministre, n’ont rien fait et l’amnésie collective se poursuit encore et encore.
Le déclin dramatique du français au Québec ainsi que l’indifférence des jeunes et des moins jeunes devant l’effritement de notre langue ne me rendent guère optimiste. Aurons-nous un jour un ministre qui aura le courage de tirer la ligne sur les élucubrations pédagogiques des technocrates et de restaurer des méthodes, certes moins séduisantes que les compétences transversales, mais qui, au moins, ont largement prouvé leur efficacité.
Des méthodes qui font passer mes parents peu instruits pour de grands érudits.
***
André Racicot vient de faire paraître un ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français. Ce livre accessible à tous est la somme de ses réflexions sur l’histoire et l’évolution de la langue française. L’auteur y met en lumière les trop nombreuses complexités inutiles du français, qui gagnerait à se simplifier sans pour autant devenir simplet. Un ouvrage stimulant et instructif qui vous surprendra.
On peut le commander sur le site LesLibraires.ca ou encore aux éditions Crescendo.
C’est malheureusement la même chose en France, il n’y a qu’à lire les commentaires des lecteurs du journal Le Monde, en dessous des articles. Des gens qui font des fautes d’orthographe toutes les lignes et ne savent pas accorder leurs verbes, et qui s’expriment souvent très mal. En France, l’éducation est aussi passée par de multiples réformes qui n’ont pas aidé les élèves à devenir plus cultivés ou à mieux s’exprimer. Le règne de l’audiovisuel versus celui de l’écrit (en France on dit maintenant versus) ainsi que la rapidité de diffusion des idées sur les smartphones et les réseaux sociaux contribuent à mon avis à cette situation, assez choquante pour quelqu’un de mon âge qui a connu un enseignement à l’ancienne. Et beaucoup de gens des jeunes générations ne lisent pas de littérature. Je suis donc d’accord avec votre article et déplore la situation des deux côtés de l’Atlantique.
Je suis d’accord avec votre analyse. Il y a d’autres facteurs qui expliquent cette déliquescence.
Bonjour André,
Selon Bruno Dewaele, champion du monde d’orthographe, il faut écrire : « sans fautes » .
Votre avis ?
https://www.projet-voltaire.fr/regles-orthographe/sans-parole-ou-sans-paroles/
Selon le Larousse, on écrit «sans faute».
Le nombre du nom suivant la préposition « sans » varie en fonction d’une série de nuances qu’il vaut la peine d’examiner (sens, logique, réalité abstraite, renvoi à des éléments nécessairement pluriels), encore plus particulièrement dans l’expression « sans faute » qui peut également s’écrire « sans fautes » (selon le contexte).
https://vitrinelinguistique.oqlf.gouv.qc.ca/21575/la-grammaire/le-nom/nombre-des-noms-dans-certains-emplois/nom-dans-certains-groupes-prepositionnels/nombre-du-nom-suivant-la-preposition-sans
Dictées, analyses logique et grammaticale, voilà les clés de l’apprentissage et de la maîtrise de la langue française, à l’écrit comme à l’oral. Que de beaux souvenirs vous évoquez ! Oui, tout cela se passait jadis en 4e année du primaire. Au cours des ans, les nombreuses refontes du programme de Français ont malheureusement permis d’abandonner ces méthodes pourtant éprouvées. C’est qu’en haut lieu, les mandarins du Ministère de l’éducation n’en mesuraient pas les mérites.