Les emprunts systématiques à l’anglais irritent beaucoup les francophones du Canada. Les Européens y voient un phénomène passager qui ne menace en rien la survie du français, ce qui est en grande partie exact.
De ce côté-ci de l’Atlantique, par contre, la situation est tout autre, car les francophones représentent seulement deux pour cent de la population. Un ilot de francité qui baigne dans un océan anglo-saxon. Parler français est pour nous un acte de survie, d’où un accent plus marqué sur la traduction.
Les emprunts inutiles à l’anglais, comme email, sniper, discount, master, senior, low cost, etc., suscitent des réactions hostiles au Canada, sans parler de la prononciation épouvantable des noms anglais que l’on entend dans les émissions doublées en France.
L’un des aspects les plus déroutants de cette fascination pour l’anglais est l’invention pure et simple de mots anglais par les francophones européens. On ose à peine imaginer la réaction à la fois amusée et outrée de nos cousins d’outre-mer si les Britanniques inventaient des mots français. Par exemple : Je suis allé faire du piétage dans le parc. C’est pourtant ce que l’on dit quand on parle de footing en français. Ce mot existe bel et bien en anglais, mais il a un sens, disons plus ludique… Et si on allait faire une promenade pour oublier tout cela?
Tournons nos yeux vers le tennis. On dira que Rafael Nadal est un grand tennisman, alors qu’en anglais il sera plutôt question de tennis player. En fait, Nadal est un grand joueur de tennis.
L’une des inventions les plus surprenante est pin’s. Certes, le mot existe en anglais (pin), mais nous avons ici affaire à un possessif symbolisé par l’apostrophe et le S. Pin’s signifie littéralement de l’épinglette. Faux anglicisme et faute de grammaire par-dessus le marché.
Vous arborerez peut-être votre épinglette sur un smoking, tuxedo en anglais états-unien, dinner jacket en anglais britannique. Le smoking est en fait un veston. Le mot vient de smoking jacket. SI vous dites à un anglophone que vous porterez un smoking pour le dîner de ce soir, il ne comprendra pas de quoi vous parlez.
Lorsque vous vous présenterez au ticketing de l’aéroport, vous apprendrez avec consternation que votre transporteur a fait du surbooking, ce qui signifie que votre siège a été vendu à quelqu’un d’autre. Les deux mots sont une pure invention des francophones européens. Il n’y pas si longtemps, on parlait de l’embarquement et de surréservation, mots qui se suffisaient à eux-mêmes.
Assez souvent, les francophones européens emploient des mots anglais peu usités. C’est le cas de pompom girls, terme absent du Merriam Webster et du Oxford English Dictionary en ligne. De fait, c’est plutôt le mot pom-pom que l’on voit en anglais, défini comme suit par le Webster : « a handheld usually brightly colored fluffy ball flourished by cheerleaders ». Un pompon, quoi.
Le terme le plus souvent utilisé est donc cheeleader, traduit par meneuses de claque.
Les emprunts à l’anglais sont souvent passagers, comme je l’ai dit, et il en est de même pour les mots inventés. Ne voyait-on pas Guatemala City et Koweit City dans les dictionnaires francophones, il y a de cela une quinzaine d’années? Ces villes n’ont jamais porté de nom anglais, évidemment, et ces deux termes ridicules ont disparu.
Les anglicismes inventés, tout comme les emprunts inutiles, procèdent bien entendu de la domination de la langue de Shakespeare à l’échelle mondiale. Mais ils peuvent aussi s’expliquer par le peu de volonté de traduire les réalités britanniques et états-uniennes.
Les amateurs de séries cultes britanniques se souviendront d’Amicalement vôtre, habile traduction de Friendly Persuaders ou de Chapeau melon et bottes de cuir pour The Avengers. De nos jours, il est facile d’imaginer que ces émoustillants titres anglais seraient gardés tels quels; on dirait probablement qu’ils sont impossibles à traduire. Pensons à un titre aussi simple que Revenge, qui reste en anglais dans les pays francophones européens, tandis qu’il est traduit au Canada par Vengeance.
Bonjour,
Dans la même veine, il y a pire. Ce sont les œuvres anglo-saxonnes qui sont débaptisées en France pour y substituer un autre titre à consonance anglophone, pas nécessairement juste, mais plus à la portée du public français.
C’est en particulier le cas du dernier ouvrage de Tom Wolfe, que je lis actuellement. Intitulé Back to Blood en version originale, il devient inexplicablement… Bloody Miami dans sa version française… Ça ne s’invente pas!
Au passage, on commet un joli faux-sens, puisque dans le titre original, Blood fait référence au sang en tant que sang de la race, pour évoquer les origines cubaines et les liens du sang des protagonistes… Bloody Miami évoque en revanche quelque chose de plus sanglant, ce qui est a priori surprenant, puisque, habituellement, le grand auteur ne fait pas dans le bain de sang. Cela dit, je ne suis pas encore rendu assez loin dans le roman pour vérifier si ce biais sanguinolent peut se justifier, mais a priori, l’éditeur est passé à côté…
Histoire d’en rire, voici quelques films étrangers sortis en France :
The Conjuring > Conjuring : Les dossiers Warren
Monsters University > Monstres Academy
Kapringen (film danois!) > Hijacking
The Purge > American Nightmare
Ren Shan Ren Hai (film chinois) > People Mountain People Sea
Äta sova dö (film suédois) > Eat Sleep Die
The Look of Love > A very Englishman
Csak a szél (film franco-hongrois) > Just the Wind
Kauwboy (film néerlandais ) > Little Bird
Hummingbird > Crazy Joe
Dans le même ordre d’idées, le titre de la télésérie « Desperate Housewives » reste tel quel dans les pays européens francophones, tandis qu’au Canada, les francophones ont adopté « Beautés désespérées ».
Intéressant, mais vous n’évoquez que le vocabulaire.
Quid des emprunts à la grammaire ou à la syntaxe des langues anglaises ? Il s’agit aussi d’anglicismes, non ?
Je ne suis pas familier du français canadien, mais lorsque je l’entends, il me semble que ses collocations et sa syntaxe sont plus affectées par l’anglais que celles du français de France (pour ne nommer que l’une des nombreuses variétés de français présentes en Europe).
Personnellement, je trouve les anglicismes très pratiques, même ceux qui sont inventés. Utilisés à bon escient, ils font parfois merveille : on peut par exemple les utiliser en tant que synonymes pour éviter des redondances (ou simplement sur une tartine avec des cornichons et du pâté de tête…).
Je crois (non je pense, que dis-je, je subodore !) cependant qu’il y a une grosse différence entre l’usage des journalistes ou des pîpeules et celui des gens qui doivent se les farcir tous les jours dans les média(s) : en France, les gens normaux ne parlent pas ni de « care », ni de « bashing ». Pour moitié ils ne savent pas de quoi il s’agit, et les autres s’en tamponnent le coquillard. Autant les anglicismes très usités (de tous) ont du sens (pour tous), autant les anglicismes qui appartiennent à la langue de bois servent à dissimuler l’indigence cérébrale de ceux qui les utilisent.