Le système politique français peut être assez déroutant pour un observateur du Québec et du Canada français. Un petit tour guidé s’impose.
Le système politique français est à la fois semblable et très différent de celui du Canada. Voici ses principales caractéristiques :
Élection du président au suffrage universel pour un mandat de cinq ans.
Élection de l’Assemblée nationale en même temps que celle du président, également pour cinq ans.
Élections à deux tours. Le président, tout comme les députés, doit recueillir cinquante pour cent des suffrages pour être élu.
Accèdent au deuxième tour les deux candidats de tête, si la majorité absolue n’est pas atteinte. Ainsi, tout président ou député est élu avec plus de la moitié des voix.
Le président est élu directement par la population – contrairement à ce qui se passe aux États-Unis. On peut donc soutenir que la Cinquième République, mise en place par le général de Gaulle en 1958, est un régime présidentiel. C’est du moins ce que soutiennent les politicologues, dont je suis.
Une nuance importante s’impose toutefois. Le gouvernement demeure responsable devant la Chambre, une des caractéristiques d’un régime… parlementaire.
Alors, présidentiel ou parlementaire?
En fait, les deux. La France vit sous un régime semi-présidentiel. Pour comprendre, petit retour en arrière.
La Quatrième République
La France libérée du joug nazi instaure une nouvelle république, qui laissera un souvenir amer aux Français, et ce pour plusieurs raisons. Tout d’abord l’instabilité endémique qui fera chuter les gouvernements les uns après les autres. La France ressemblait un peu à l’Italie d’aujourd’hui.
L’Assemblée nationale, le Parlement, fait la pluie et le beau temps. Les élus se considèrent comme la voix du peuple et en mènent large. Peut-être un peu trop.
Survient la crise algérienne vers la fin des années cinquante. On est en pleine décolonisation. Les colonies françaises et britanniques sont sur le point de s’émanciper. L’Inde et le Pakistan quitteront le giron britannique. L’Algérie voudrait partir aussi, mais une bonne partie de la classe politique française ne peut s’y résoudre; la crise paraît insoluble. On parle même d’un coup d’État militaire pour garder l’Algérie française.
Devant l’impasse, on fait appel au général de Gaulle, en 1958.
Le chef des Forces françaises libres, grand héros de la Libération, honnit les manigances des partis politiques. Il caresse le rêve utopique d’une France unie, affranchie des partis.
Il veut mettre fin à la tyrannie des partis, qui a gangréné la Quatrième République. De Gaulle fait donc adopter une nouvelle Constitution qui renforce les pouvoirs du gouvernement. C’est une rupture spectaculaire avec l’ancien régime.
Auparavant, le président de la République était élu par l’Assemblée nationale et le Sénat. Ses pouvoirs étaient plutôt limités. Et son élection n’allait pas de soi, à cause des divisions entre les partis. Ainsi, le président René Coty est élu en 1954, après treize tours de scrutin!
Une présidence renforcée
De Gaulle veut en finir avec le régime de la Quatrième République. Il organise un référendum en 1962 pour que le président français soit élu au suffrage universel. La population approuve et le premier scrutin du genre a lieu en 1965. Il oppose de Gaulle à François Mitterrand, qui le met en ballotage. N’ayant pas obtenu la majorité absolue des votes, De Gaulle doit se soumettre à un deuxième tour de scrutin, qu’il remportera.
Tout système politique équilibré repose sur le principe de l’équilibre des pouvoirs. L’instauration d’une présidence forte ne doit pas conduire à une forme larvée de dictature. (Par forme larvée de dictature, j’entends des régimes présidentiels « forts » comme la Russie de Poutine et la Turquie d’Erdogan.)
Il importe donc de calibrer la répartition des pouvoirs entre l’exécutif (le président et le gouvernement) et le législatif (le Parlement).
Sous la Cinquième République, le président est élu par le peuple, ce qui lui confère d’emblée une légitimité bétonnée. La présidence est la clé de voûte de tout le système gaullien. Le président choisit le premier ministre, qui est chargé de former un cabinet. Le chef du gouvernement est en quelque sorte une émanation du président de la République. Ce dernier peut demander sa démission quand il le souhaite. En outre, le président dirige le Conseil des ministres.
Le président possède un autre pouvoir important : il peut dissoudre l’Assemblée nationale et provoquer des élections anticipées.
L’Assemblée nationale
Voilà un Parlement singulièrement diminué. Il sert pourtant de contrepoids au pouvoir impérial du président. L’Assemblée nationale continue de contrôler l’action du gouvernement; elle peut même le renverser.
Le gouvernement est donc responsable devant le Parlement, comme cela se voit dans toutes les démocraties parlementaires.
Cette constatation amène la question des rapports de l’Assemblée avec la présidence. Contrairement à ce que souhaitait de Gaulle, les partis politiques ne se sont pas évanouis. Ils imprègnent toute la vie politique française. Cela n’a rien d’exceptionnel. Tous les pays démocratiques ont des partis politiques, on n’y échappe pas.
Pour que le régime politique de la Cinquième République fonctionne, il faut que le président et l’Assemblée nationale marchent dans la même direction. Cela ne va pas toujours de soi.
La cohabitation
L’antagonisme gauche-droite que l’on observe un peu partout en Occident était un peu le caillou dans la chaussure du régime gaullien. Tôt ou tard, le président et le Parlement ne seraient pas de même allégeance.
À l’origine, le président était élu pour sept ans, l’Assemblée nationale pour cinq. Les élections législatives n’avaient pas lieu la même année que le scrutin présidentiel. C’est donc avec anxiété que les observateurs attendaient les élections législatives de 1986. Les Français ont élu un Parlement de droite, alors que le président Mitterrand, porté au pouvoir en 1981, était socialiste.
Certains prédisaient la chute de la Cinquième République, un blocage entre la présidence et le Parlement étant prévisible.
Or, le président Mitterrand était un fin politicien. Il a pris acte du choix des Français et a nommé un premier ministre de droite, Jacques Chirac. Celui-ci a formé un cabinet, approuvé par le chef d’État, et le gouvernement a pu fonctionner normalement. Deux ans plus tard, Mitterrand battait le même Chirac au scrutin présidentiel. Immédiatement après, Mitterrand dissout l’Assemblée nationale et les Français, en toute logique, élisent un Parlement de gauche. Fin de la cohabitation.
Pas de crise, pas de changement de régime, pas de coup d’État, pas de guerre civile.
La France a connu deux autres périodes de ce que l’on a appelé la cohabitation, soit en 1993-1995 et en 1997-2002.
Le quinquennat
L’élection du président de la République pour sept ans avait pour but de bien ancrer le pouvoir du chef d’État. De Gaulle voulait le voir au-dessus de la mêlée. À la longue, les pouvoirs importants dont il jouit ont paru suffisants aux Français. Le septennat est donc devenu quinquennat. Depuis 2002, le président gouverne pour cinq ans.
C’est donc dire que les élections législatives ont maintenant lieu quelques semaines après le scrutin présidentiel.
Ce qui amène deux questions : Marine Le Pen peut-elle être élue présidente de la République? Comment Macron pourra-t-il gouverner, puisqu’il n’appartient pas à un des grands partis traditionnels de la France?
Réponses dans le prochain article.
Je rebondis sur cet excellent article pour apporter une précision terminologique.
Les journalistes québécois parlent systématiquement et à mauvais escient du « président de la France ». Contrairement à l’appellation du chef de l’État américain, l’appellation « président de la France » est erronée. D’abord, parce que la fonction n’existe pas officiellement sous ce nom. Ensuite parce que personne en France ne le nomme ainsi. Enfin, et surtout, pour des raisons historiques : les rois de France sont devenus rois des Français à partir, sauf erreur de ma part, du XIXe siècle. La nuance sémantique est d’importance : la France ne leur appartenait plus, et ils ne régnaient plus sur la France, mais sur les Français. Et cela vaut pour le président.
On pourrait donc à la limite parler sans se tromper du président des Français, mais c’est à mon sens assez inusité.
Tout cette introduction pour préciser que le chef de l’État français est le « président de la République », et non le président de la France. On peut aussi de façon informelle parler du président français, comme on parlerait du président italien ou russe, mais il ne s’agit aucunement de son titre officiel.