Près de l’endroit où je travaille, on peut lire sur un panneau devant le terrain de stationnement : « Réservé aux détenteurs de permis seulement ». Comme c’est souvent le cas dans la région de la capitale fédérale, il s’agit d’une traduction servile de l’anglais : « Reserved for permits holders only ». Dans les deux cas, il s’agit d’un pléonasme, c’est-à-dire d’une répétition qui aboutit à une évidence.
Les pléonasmes sont plus nombreux qu’on le croit, mais on ne les détecte pas toujours facilement. En voici quelques-uns :
Réserver à l’avance une place au restaurant. Réserver tout court évite de répéter deux fois.
Nos politiciens ne sont pas à court d’inspiration dans ce domaine.
Leur première priorité, c’est l’économie, quand ce n’est pas une priorité absolue. Cela me rappelle un texte d’un organisme fédéral dans lequel le brillant rédacteur énumérait une soixantaine de priorités, divisées en sous-priorités. Je parie qu’il ne connaissait pas le mot « dictionnaire ». Une priorité est, par définition, ce qui passe en premier, alors inutile d’en rajouter (encore!).
Les politiciens n’ont pas de panacée universelle à tous les problèmes, qu’ils appellent d’ailleurs défis. Fait cocasse, Balzac lui-même a déjà commis le pléonasme : « Les savants prétendaient qu’il avait trouvé la panacée universelle. » Il faut dire que Balzac était payé au mot…
Lorsqu’ils ont un peu de courage, les politiciens peuvent opposer leur veto. Ils devraient plutôt « mettre leur veto », car ce mot d’origine latine signifie déjà « je m’oppose ». Assez curieusement, le Robert propose pourtant cette formulation, probablement parce que tout le monde ignore le sens véritable de ce mot.
Les politiciens n’aiment pas tellement divulguer publiquement des documents secrets, surtout s’ils révèlent qu’ils ont menti. Certains croient en effet qu’ils possèdent une sorte de monopole exclusif de la vérité, alors qu’en réalité bien des gens s’arrogent de ce privilège.
J’espère que ce billet plus ou moins sérieux allumera la lumière dans votre esprit, fera sonner une cloche, comme diront les anglicisants, ou, mieux, vous sonnera les cloches (bien gentiment).
N’oubliez pas d’éteindre en sortant.
Pour d’autres exemples : http://oreilletendue.com/2011/09/08/neuvieme-article-d%E2%80%99un-dictionnaire-personnel-de-rhetorique/
Bonjour André,
Je suis on ne peut plus d’accord avec vous, mais j’ai toujours eu une certaine réticence à condamner systématiquement, je dis bien systématiquement, l’expression « première priorité ».
S’il est vrai que l’expression est souvent galvaudée, alors même qu’il n’y a qu’une priorité en cause, je ne suis pas certain qu’il y ait lieu de toujours la condamner. Ainsi, lorsqu’il existe une liste de priorités, comment qualifier autrement celle qui arrive en tête de liste ou qui doit être traitée avant les autres? On peut certes parler, par exemple, de sa grande priorité, puis des autres priorités, ou de la priorité des priorités (comme on parle parfois de minimum minimorum), mais dès lors qu’il existe une hiérarchie de ces dernières, pourquoi exclure par principe l’adjectif première?
Je suis d’accord avec vous, mais à la condition qu’il n’y ait pas une dizaine de priorités. Par définition, il ne peut y avoir un grand nombre de priorités, sans qu’on remette en question l’emploi de ce mot. Est-ce qu’une priorité peut être inscrite en tête d’une courte liste? Peut-être.