Dans ce délire collectif qu’on appelle « usage », le verbe partager a pris son envol dans un tourbillon stratosphérique qui défie tout entendement. La contamination par l’anglais n’est plus un simple symptôme, mais une pandémie.
Dans le Devoir d’aujourd’hui, on rapporte le commentaire de la ministre Julie Boulet à propos de la procureure Sonia Le Bel qui défendra les couleurs de la CAQ aux prochaines élections. La ministre soutient que Mme Le Bel n’a pas l’air sympathique et elle ajoute : « Tout le monde le partage. »
Obnubilée par l’omniprésent partager, la ministre a oublié le verbe penser. « Tout le monde le pense. » Une phrase toute simple, pourtant.
Autre exemple. L’amusant film De père en flic. L’inénarrable Louis-Josée Houde qui s’exclame : « Il me le partage! » après que son père lui eut confié un secret. Les scénaristes ont-il oublié l’existence du verbe dire? « Il me le dit, par dessus le marché! » Une belle phrase, bien appuyée, avec le bon verbe.
Mais c’était peut-être trop recherché, au fond. Le bon public n’y a probablement vu que du feu, abreuvé qu’il est par la prose médiatique dans laquelle ne semble plus exister le moindre filtre. Animateurs et rédacteurs nous bombardent de partager à tous les jours et à toutes les sauces.
On partage des récits, des commentaires, des images, etc. Pire encore, on se les partage.
Car l’usage a fini par adopter la forme réflexive qui, sans doute pour bien des gens, renforce le propos. Elle devient, en quelque sorte, partager sur les stéroïdes.
Entre amis, on partage une bouteille vin; est-ce que se la partager la rendrait plus gouleyante, plus tannique?
Les plus curieux voudront peut-être relire mon article initial sur ce mot, dont le sens véritable en français, on l’oublie de plus en plus, est de diviser en plusieurs parties.
Mais, au fond, ce rappel semble de nos jours complètement dépassé.
Une réflexion sur « Partager le délire »