Il y a presque deux ans, j’écrivais un article sur l’envahissant partager. Voilà un mot qui se propage dans les médias sociaux et dans tous les outils de communication électroniques. Bref, un véritable raz de marée, comme on ne dit plus aujourd’hui.
On partage un statut Facebook, un tweet…
Il est clair que cette acception vient de l’anglais to share, qui a le sens de diffuser, faire connaître.
Cette définition n’est pas reconnue dans les grands dictionnaires, qui s’en tiennent à la notion de diviser une chose entre plusieurs personnes.
Or, le partage d’un article dans un média électronique ne correspond pas à la définition traditionnelle de ce mot en français. Quand on partage l’article, on ne le divise pas en plusieurs tranches; on en envoie copie à plusieurs personnes.
L’utilisation de partage et partager est tellement commune, que ce n’est qu’une question de temps avant que les grands ouvrages ne reconnaissent le nouveau sens qui leur est attribué. C’est d’ailleurs ce qu’indiquait la terminologue Emmanuelle Samson dans un article paru dans L’Actualité langagière, en 2012.
D’ailleurs, c’est déjà commencé.
Premier « coupable », et non le moindre, la Banque de dépannage de l’Office québécois de la langue français.
Lorsqu’il est question d’un contenu numérique, partager signifie « mettre à la disposition d’autres utilisateurs ». Exemples :
Les adeptes des médias sociaux aiment pouvoir y partager photos et vidéos de même qu’hyperliens et commentaires.
Partager des fichiers par courriel comporte des risques sur le plan de la sécurité.
Deuxième « coupable » : le dictionnaire québécois Usito.
« Mettre à la disposition d’autres utilisateurs, rendre disponible du contenu numérique. »
Exemples :
Partager une vidéo, une photo, un article.
Partager du contenu par courriel, sur les réseaux sociaux.
Partager un lien sur un site, sur une page Web.
Certains y verront une reddition honteuse, d’autres une évolution acceptable. Chose certaine, les solutions de rechange que sont diffuser, faire connaître, transmettre, n’ont pas la cote. François Lavallée, de Magistrad, propose relayer. Excellente idée! Dans le Petit Robert, on signale cet usage pour les émissions de radio ou de télé. On peut certainement en étendre le sens aux communications électroniques.
Quant à savoir si les suggestions ci-dessus détrôneront l’anglicisme partager, eh bien, les paris sont ouverts.
J’adorais Usito à l’époque où il s’appelait encore Franqus (un nom motivé qu’il n’aurait d’ailleurs jamais dû abandonner, soit dit en passant). Ce dictionnaire était rigoureux d’un point de vue linguistique et extrêmement bien fait. J’appréciais avant lui la rigueur du Marie-Èva Devilliers, mais je le jugeais par trop incomplet. Le Franqus, dont j’ai été très tôt un abonné, venait précisément y remédier en nous offrant un ouvrage de référence rigoureux et assez exhaustif sur le français d’ici, sans tomber dans le québécois folklorique ou caricatural des Dulong et autres.
Malheureusement, depuis quelques mois, il semble que l’éditeur d’Usito ait renoncé à la rigueur et se soit fait un devoir de faire de ce dictionnaire une sorte de thésaurus où la quantité prime la qualité et qui aspire tout et n’importe quoi, sans esprit critique ni recul, un peu à la manière de ce grand fourre-tout qu’est le Trésor linguistique. Certaines des nouvelles entrées, dont nous sommes régulièrement informés par une lettre d’information, laissent songeur. L’exemple suivi semble plus être le Larousse que le Petit Robert. Certes, il y a des marques d’usage dans les différents articles, mais on sait tous que le commun des mortels ne s’arrête pas à cela et estime que « si c’est dans le dictionnaire », c’est valable.
C’est dommage.
Personnellement, j’ai cessé de renouveler mon abonnement.
Voilà plusieurs fois depuis deux ou trois semaines que je vois le verbe « relayer » employé dans ce sens dans des magazines français. Le mot avait déjà été proposé l’année dernière dans un tweet par François Lavallée, de Magistrad, mais je n’avais pas réalisé qu’il était vraiment utilisé (je n’ose dire « répandu », ne le sachant pas vraiment) ailleurs dans la francophonie.
C’est une intéressante suggestion de M. Lavallée. Dans les communications, le verbe est employé dans le sens de «retransmettre». Alors, pourquoi pas?
Vu de notre Hexagone, le problème n’a pas la même acuité : je ne vois pas passer de dénonciation de ce sens comme abusif ou comme anglicisme.
Certes l’édition 2017 du Petit Larousse illustré, par exemple, ne le reprend pas. Mais il sonne très naturelle à nos oreilles car le mot partager s’employait déjà de longue date pour des abstractions qui ne sont pas « saucissonnables ». On partage sans problème un sentiment, des opinions, la douleur de quelqu’un. C’est ce sens de « avoir en commun » qui fournit la passerelle avec le sens de mettre à disposition d’autres personnes.
Relayer est souvent adapté mais ne couvre pas les cas où celui qui partage est le premier émetteur. Diffuser est à mon sens le plus proche sémantiquement mais garde un caractère très général alors que partager évoque un objet même immatériel.
Huit ans plus tard,, je crains bien que « partager » soit encore plus répandu., tant dans les réseaux sociaux que les médias. Mais qu’en est-il de la formule « vous (ou nous) partager » qui me semble fautive et que j’entends où je lis pratiquement tous les jours?
Je « vous partage » mon irritation…
Je partage votre irritation…