Dégenrer le français?

Le président Macron a profité de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts pour dénoncer l’écriture inclusive. Il appelle les francophones à ne pas céder « aux airs du temps » et à « garder aussi les fondements, les socles de sa grammaire, la force de sa syntaxe. »

Il s’élève contre des fioritures, comme l’ajout de points dans le milieu des mots. Le président est aussi d’avis qu’en français le masculin sert de genre neutre. Au fond, le président de la République pose une question fondamentale : faut-il dégenrer le français?

Dégenrer

C’est une question complexe. Le français est une langue genrée et on ne peut y échapper. Les choses seraient plus simples si on avait retenu une autre dénomination que « masculin » et « féminin ». Par exemple le genre neutre ou non-neutre; le genre A ou le genre B.

D’aucuns font valoir que genre et sexe ne correspondent pas. Il y a en effet des gazelles de sexe masculin, tout comme des hyènes et des tortues masculines. Cependant il s’agit à mon sens d’un sophisme, puisque certains grammairiens ont affirmé, par le passé, que le genre masculin l’emportait tout simplement parce que les hommes sont supérieurs aux femmes…

Maintenant, comment enlever le genre en français? « Vaste programme » aurait dit de Gaulle. Je ne suis pas nécessairement en désaccord avec l’adoption d’un pronom comme iel. Mais les choses se gâtent rapidement quand on triture les accords de verbes et d’adjectifs avec des parenthèses, des tirets et des points médians. Il y a un problème de lisibilité.

Que faire?

J’avoue que je n’ai pas de solution miracle à proposer.

Pendant ma carrière en enseignement, j’ai vu un bon nombre de jeunes traductrices me dire que, finalement, la solution traditionnelle de faire prédominer le masculin sur le féminin était la moins mauvaise. Cette affirmation m’a un peu surpris. Elle comporte pourtant bien des avantages : notamment éviter les doublons pénibles comme « les Canadiennes et les Canadiens », mais surtout l’introduction de graphies tronquées qui sont loin de faire l’unanimité. 

Réforme et usage

Comme disent les Arabes « Les chiens aboient et la caravane passe. » C’est souvent l’usage qui tranche, pour le meilleur et pour le pire. Par exemple, l’Académie a été obligée d’accepter la féminisation des titres parce qu’elle s’est largement répandue dans la francophonie, sous l’impulsion du Québec, soit dit en passant. La même Académie disait naguère que la féminisation constituait un péril pour la langue française…

Par ailleurs, les rectifications orthographiques proposées en 1990 ne se sont pas glissées dans l’usage des grands médias, ni dans celui des écrivains.

La sortie de Macron s’inscrit dans un courant conservateur bien implanté en France pour des raisons historiques précises. Naviguer dans les méandres du français est un signe de réussite sociale, ce qui explique en bonne partie la réaction du président de la République.

Alors, dégenrer le français? Même réponse que pour une réforme de la grammaire et de l’orthographe : seulement quand tout le monde le fera.

7 réflexions sur « Dégenrer le français? »

  1. Beau résumé de la situation. Cependant, personnellement et humblement, je suis tout à fait contre l’ajout d’un pronom personnel supplémentaire en français, qui ne peut générer que des irrégularités toxiques lorsqu’il s’agit, par exemple, d’accorder un adjectif, en genre et en nombre, avec le nom commun ou même avec le nom propre, selon. Je veux bien être inclusif, mais il est hors de question qu’une infime minorité de la population régisse la langue, d’abord un instrument de convention. Suis-je trop «à droite» ?

  2. La langue française n’a-t-elle pas, depuis sa codification, été régie par une infime minorité de la population? Il me semble que les ennuis viennent en partie de là…

    À mon humble avis, les problèmes de lisibilité des doublets abrégés sont surfaits. Un cas d’homophonie, comme « les ingénieur·es », se lit parfaitement bien. « Les avocat·es » est à peine plus difficile, on peut subvocaliser l’expression de la même manière que « les avocates », quitte à prendre une courte pause (bien méritée) avant le dernier phonème. Une utilisation parcimonieuse de ces doublets me semble raisonnable.

    Qui plus est, le masculin générique porte à confusion. Si je vous parle de mes amies, elles sont des femmes, mais pour ce qui est de mes amis, nul ne sait. Si j’utilise « mes ami·es » pour un groupe mixte, on gagne une distinction par rapport au masculin générique. Plutôt que de dégenrer, peut-être tient-on davantage compte du genre…

    La recherche de formes inclusives ou neutres naît d’un besoin d’expression. Mes collègues (assez jeunes, pour la plupart) et moi, nous utilisons ces formes chaque jour. Si la grammaire ne nous permet pas de le faire d’une façon correcte, c’est la grammaire, le problème.

    1. Merci de votre commentaire intéressant. Je suis d’accord avec vous pour dire que le masculin générique entraîne de la confusion. Lorsque j’enseignais à l’université, j’annonçais à mes étudiantes que je pratiquerais l’alternance des genres : les traductrices englobaient les hommes et les femmes, tout comme les traducteurs. Le jeune auditoire n’a jamais protesté.

      Vous avez raison aussi de dire qu’une brève pause à l’oral nous permet de glisser un « directeur-trice » assez facilement. Toutefois, la lecture est un peu plus laborieuse, surtout si ce genre de forme se multiplie tout au long d’un texte.

  3. En 2021, j’ai suivi trois webinaires sur la rédaction inclusive : le premier avec une approche traditionnelle, le second avec une approche modérée, le troisième avec une approche avant-gardiste.
    La « mode » de l’écriture inclusive semble plus populaire dans certains milieux (culturel, artistique, communautaire, social), moins en rédaction scientifique ou corporative.
    L’organisme culturel (mon client à la pige) qui m’avait payé ma première formation souhaitait une approche très avant-gardiste… Puis, après environ 1 an, il a complètement changé d’idée, trouvant la répétition des doublons trop lourde.
    En soi, si on veut rédiger « non genré » et qu’on offre le masculin ou le féminin comme choix (donc choix binaire), il n’y a pas d’option non genrée.
    Pour les pigistes de ce monde comme moi, c’est un vrai casse-tête que de s’adapter aux exigences de chaque client en la matière. Surtout, les clients sont habituellement peu conscients de l’impact de la rédaction inclusive dans un texte.
    Lors d’un webinaire sur le sujet, les participants devaient effectuer des exercices de rédaction inclusive. J’ai pu constater à quel point les professionnels de la rédaction/révision avaient une plus grande facilité à reformuler le texte pour éviter les répétitions, comparativement au personnel non spécialisé. Ce n’est pas tout le monde qui est bien outillé pour retravailler un texte pour le rendre non genré. Cela demande une gymnastique pratiquée pendant des années.
    Pour conclure, eh bien, on se casse le bécycle pour 0,05 % de la population non genrée québécoise…

    1. Merci de nous avoir fait connaître votre expérience. Dégenrer le français n’est pas une tâche facile.

  4. Bonjour André,
    On a beau dire, on a beau faire, mais c’est l’usage qui va l’emporter au bout du compte. J’écris comme on me l’a enseigné il y a de nombreuses années parce que je ne connais pas les règles réinventées.
    Bonne journée.
    Carmelle Simard

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *