L’accord du participe passé

Abolir ou modifier les règles d’accord du participe passé? Vous n’y pensez pas! Hérésie!

Le saviez-vous, l’Académie française a bel et bien envisagé en 1900 d’abolir l’accord du participe passé. L’immobilisme l’a emporté, encore une fois, un immobilisme qui allait donner le ton à toutes les résistances farouches qui ne manqueraient pas de se manifester devant toute proposition de modernisation du français.

Un article paru le 2 septembre 2018 dans Libération vient alimenter le débat. Dans cet article, « Les crêpes que j’ai mangé » : un nouvel accord pour le participe passé, les auteurs font état de la proposition de la Fédération Wallonie-Bruxelles d’abolir l’accord du participe passé avec le verbe avoir. Les auteurs de l’article n’y vont pas avec le dos de la cuiller :

Osons l’affirmer : les règles d’accord du participe passé actuelles sont obsolètes et compliquées jusqu’à l’absurde.

Les 14 pages que lui consacre Grevisse dans Le bon usage le confirment, sans oublier tous ces écrivains reconnus qui ont fait des fautes d’accord dans des livres publiés par de grands éditeurs comme Gallimard…

D’ailleurs, la Fédération Wallonie-Bruxelles n’est pas la seule à prôner une réforme. En effet, les groupes suivants embouchent la trompette d’une révision salutaire des règles tordues actuelles.

  • Le Conseil international de la langue française;
  • André Goose (qui a succédé à Maurice Grevisse, auteur du Bon usage);
  • Le groupe de recherche Erofa, Étude pour une rationalisation de l’orthographe française d’aujourd’hui;
  • La Fédération internationale des professeurs de français et de sa branche belge;
  • Certains membres de l’Académie royale de Belgique et de l’Académie de langue et de littérature françaises de Belgique;
  • Des responsables des départements de langue, de littérature et de didactique du français de la plupart des universités francophones.

Il y a de quoi s’insurger devant une règle qui prescrit l’accord du participe passé lorsque le complément d’objet direct est placé avant le verbe, mais l’invariabilité s’il est placé après.

A l’école les enfants se demandent : pourquoi avant et pas après ? Souvent, les enseignants savent expliquer comment on accorde, mais pas pourquoi. L’incohérence des règles traditionnelles les empêche de donner du sens à leur enseignement. Le temps moyen consacré aux règles actuelles est de 80 heures, pour atteindre un niveau dont tout le monde se plaint.

La Fédération fait valoir que les enfants consacrent énormément de temps à apprendre une règle absurde, alors que :

Il serait tellement plus riche de le consacrer à développer du vocabulaire, apprendre la syntaxe, goûter la littérature, comprendre la morphologie ou explorer l’étymologie, bref, à apprendre à nos enfants tout ce qui permet de maîtriser la langue plutôt qu’à faire retenir les parties les plus arbitraires de son code graphique

Quand l’absurdité conduit à des fautes

Plus encore, on peut constater que cet accord est souvent omis dans la langue parlée – et parfois même dans la langue écrite.

Cet accord avec avoir est non seulement nébuleux, mais capricieux. Voilà peut-être pourquoi certains auteurs connus ont fait des fautes.

Et pourtant c’était cette pensée même qu’il avait développé ce matin dans son devoir. – André Gide, dans les Faux-monnayeurs.

C’est celle que nous ont transmis nos ancêtres. André Gide

Ces erreurs ont été rattrapées dans l’édition en livre de poche.

D’autres encore :

C’est une des rares paroles raisonnables que j’aurai entendu de ce côté-là.

– François Mauriac, dans Le Figaro littéraire

Toutes les injures que l’on s’est dit. – Gustave Flaubert, dans L’éducation sentimentale

Une simplicité perdue

Ce sont évidemment des exemples rares. Mais notons quand même qu’en ancien français l’accord pouvait se faire avec l’objet ou non …

La règle actuelle date du XVIIe siècle. Cependant, on tendait à garder le participe passé invariable lorsque les mots qui le suivaient le soutenaient suffisamment. C’est ainsi que des auteurs comme Corneille, Racine ou Molière ont fait des « fautes » au sens moderne.

Disons-le, cet accord avec avoir est parsemé d’embûches inutiles. Confrontés à lui, les francophones doutent sans arrêt et doivent se résoudre à ouvrir leur grammaire pour décider s’il faut écrire un e ou un s, qui, de toute façon, seront inaudibles.

Abolir l’accord?

C’est la question qu’on en vient inévitablement à se poser. Avec raison. La tentation de faire maison nette nous hante à cause des règles byzantines actuelles. Mais il existe peut-être une autre voie à suivre : réformer l’accord du participe passé.

C’est ce que nous verrons dans le prochain article, qui portera sur le verbe être et les verbes pronominaux.


Une réflexion sur « L’accord du participe passé »

  1. Bravo de prendre le taureau par les cornes !
    La liste de références est très parlante et montre la solidité de la démarche. Il y a eu des prises de position en Suisse, dans le même sens, et je suis sûr que des dizaines de millions de francophones dans le reste du monde emboîteraient le pas sans hésiter. C’est là qu’il faut porter le fer en marginalisant la position rétrograde de l’Hexagone. Pour la suite, il serait possible de préconiser que les pays majeurs de la Francophonie que sont la Belgique et le Québec adoptent dès demain un enseignement débarrassé de ce boulet. EROFA a déjà mûri les modalités détaillées de mise en oeuvre. L’exemple donné pèse toujours plus que les meilleures théories. En cinq ans, tout le monde s’y mettrait…

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