Tueries aux États-Unis : quand vont-elles cesser?

La tuerie d’Orlando n’est que la dernière d’une longue litanie. Chaque fois, une vallée de larmes, des veillées aux chandelles sont suivies d’appels au contrôle des armes à feu.

Et survient une autre tuerie, dans la rue, sur un campus universitaire, quand ce n’est pas un jeune enfant qui abat sa mère par mégarde en saisissant un pistolet qui traînait quelque part…

Les chiffres sont aussi étourdissants que l’aveuglement des Américains. Chaque jour, en moyenne, est ponctué par une tuerie. Il y en a tellement qu’on n’en parle même plus.

Cette année, environ 5000 personnes ont été tuées par des armes à feu chez nos voisins du Sud. On peut donc prévoir qu’un nombre égal de personnes périront jusqu’à Noël. Durant les dix prochaines années, plus de 100 000 Américains seront tués par des pistolets, des carabines, des fusils d’assaut et autres engins du genre.

Pourtant rien ne change. On entend encore et toujours les mêmes sophismes : ce ne sont pas les armes qui tuent, ce sont les gens. Ou encore : si tout le monde était armé, ce genre d’incident n’arriverait plus.

On reste pantois que des adultes vaccinés puissent avancer de telles âneries.

Quant à y être, devrait-on fournir un arsenal aux bambins dans les garderies pour qu’ils puissent se défendre contre un éventuel forcené???

L’impuissance du président Obama devant cette hécatombe est pathétique. Pourquoi en est-on rendu là?

Pour arriver à comprendre il faut considérer deux éléments : la mentalité américaine et l’histoire des États-Unis.

La violence banalisée

Les États-Unis sont un pays malade de violence.

C’est un lieu commun de dire que la violence est aussi américaine que la tarte aux pommes. Pourtant, ce pays a été fondé dans la violence.

L’emploi de la force n’est donc pas nécessairement condamnable. En fait, la violence imprègne beaucoup de comportements. Par exemple, la manière brutale dont le système socio-économique américain écarte tous ceux qui n’arrivent pas à s’enrichir.

Il y a dans ce pays une sorte de darwinisme social impitoyable. Si vous ne réussissez pas, c’est votre faute, alors n’attendez pas d’aide de l’État. Fondez une entreprise, gérez-la bien, et le succès viendra.

D’où l’hérésie ressentie devant l’avènement d’un régime d’assurance-maladie étatisé mis de l’avant pas le président Obama, comme on en voit partout en Occident. Bien des parlementaires américains en ont juré la perte; ils en font une question de principe.

Violence aussi dans les rapports avec des pays amis : pensons à cette interminable épreuve de force avec le Canada sur le bois d’œuvre. Le Canada est pourtant un pays ami.

Regardons aussi le traitement honteux que les policiers américains réservent aux Noirs américains.

La violence éclabousse les productions américaines et personne ne semble s’en inquiéter outre mesure. Quand j’étais plus jeune, je regardais le Bugs Bunny and Roadrunner Hour. Devenu adulte, j’ai été sidéré de constater qu’on se tire dessus à qui mieux mieux. Mais personne ne meurt! Non Daffy Duck a le visage roussi quelques secondes, puis il se porte très bien.

C’est ce qu’on montrait aux enfants. Tirer sur quelqu’un, c’est pas grave.

Alors, comment se surprendre que certains individus en viennent à vouloir régler les problèmes à coups de fusil?

Je me se souviens de ces paroles d’un membre du Congrès américain au sujet du Parti québécois, à l’époque où René Lévesque était premier ministre : « Ici, on les passerait tous par les armes, après on s’expliquerait. » Imagine-t-on pareils propos au Canada?

Le Second Amendement

Les Américains sont donc un peuple violent. (Quatre présidents tombés sous les balles pourraient en témoigner.)

Ils sont aussi un peuple obsédé par les armes à feu. En fait, ils les adorent et ils les vénèrent. On reste consterné de voir partout des foires d’armes à feu auxquelles des parents invitent leurs enfants. Au Canada, on les amène à l’aréna.

Pourquoi cette fascination?

Les Américains se sont libérés de l’emprise britannique par le fer et le sang; ils ont spolié les Amérindiens à coups de carabine, les chassant comme des bisons de leurs terres ancestrales.

Le pistolet, le fusil sont instruments d’avancement, de libération. Ils symbolisent le droit fondamental qu’a l’individu de se défendre.

Le culte des armes est donc un des mythes fondateurs de la Révolution américaine, à un point tel qu’un des premiers amendements votés à leur Constitution était justement de garantir le droit d’en posséder.

En fait, le texte n’est pas aussi clair. Il se lit comme suit : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un État libre, il ne pourra être porté atteinte au droit du peuple de détenir et de porter des armes. »

Une milice ? Ce texte doit être compris dans un contexte où l’on repoussait sans cesse la frontière occidentale des USA. Les nouveaux territoires conquis devaient être défendus par des milices armées de citoyens américains. À la longue, on a fini par interpréter très librement le Second Amendement, compris comme le droit inaliénable de tout Américain de posséder des armes à feu.

Ce droit est devenu un véritable dogme politique. La puissante National Rifle Association, en est le héraut et défend farouchement le maintien du Second Amendement. Toute tentative de réglementer le commerce des armes est perçue comme une attaque visant un des droits fondamentaux des Américains. Être contre les armes, c’est être contre les États-Unis, contre la liberté individuelle, et on ne badine pas avec ça. Essayez de discuter du Second Amendement avec un Américain, et il s’emporte très vite.

Même la tuerie de Sandy Hook, au Connecticut, en 2012, lors de laquelle 20 enfants d’une école primaire ont été massacrés, n’a rien changé. Le Congrès n’a pas bougé.

La méfiance envers l’État

Un autre mythe fondateur des États-Unis est la méfiance envers le pouvoir d’État, que l’on perçoit facilement comme abusif. Le président Reagan illustrait très bien cet état d’esprit lorsqu’il disait : « Le problème, c’est le gouvernement. »

On oublie trop vite l’attentat d’extrême droite commis à Oklahoma City, en avril 1995. Un forcené a fait exploser un camion piégé devant un édifice fédéral pour protester contre le gouvernement tyrannique des États-Unis.

La Révolution américaine est le résultat d’une révolte contre le pouvoir jugé abusif par les colons américains du roi britannique George III. Les pères de la démocratie américaine se sont efforcés de mettre sur pied un gouvernement étroitement encadré par le Congrès et la Cour suprême. Le but étant d’empêcher un pouvoir dictatorial de s’imposer. C’est d’ailleurs pour cela que les Américains confient au Collège électoral le rôle d’élire officiellement le président des États-Unis. La population pourrait finir par élire un despote… Ce n’est pas une blague.

Le résultat, c’est que le président n’est pas le monarque tout-puissant que l’on imagine. Ses pouvoirs sont bien plus limités qu’on le croit et il doit continuellement négocier avec le Congrès pour faire avancer ses projets. Voilà pourquoi Obama ne peut intervenir. Toute initiative de sa part sera bloquée par le Congrès.

Mais que pensent donc les parlementaires américains ? Ne voient-ils pas ce qui se passe ?

Bien sûr. Mais l’influence des lobbies, dont la National Rifle Association, et la peur de violer le Second Amendement sont autant d’éléments paralysants.

Dans ce dossier, les Américains se démarquent clairement de toutes les autres nations occidentales.

Ce qui va de soi au Danemark, en Australie ou au Canada n’est pas compris aux États-Unis. En fait, les Américains n’ont aucune idée de la manière dont ces pays se gouvernent et ils ne s’en soucient pas.

C’est justement là le problème. L’ignorance généralisée des réalités étrangères les empêche de faire des comparaisons. Les Américains sont incapables de prendre du recul et de réfléchir à leurs politiques, parce qu’ils n’en connaissent pas d’autres. Ils deviennent alors prisonniers de leurs traditions, de dogmes politiques présentés comme des vérités éternelles, surtout quand ils sont coulés dans le béton de leur Constitution

C’est l’impasse.

Quand les tueries vont-elles cesser ?

À mon avis, ce n’est pas demain la veille.

L’idée commence à faire son chemin de restreindre l’achat d’armes à feu pour des personnes soupçonnées de terrorisme. On croit rêver. Cette restriction, considérée comme une percée prometteuse chez nos voisins du Sud, relève de l’évidence pour toute personne normalement constituée.

Mais le champ reste libre pour tous les autres individus. Récemment, une journaliste américaine est parvenue à acheter EN SEPT MINUTES un fusil d’assaut semblable à celui utilisé à Orlando.

Alors, si vous n’êtes pas l’une des quelques centaines de personnes soupçonnées de terrorisme, vous pouvez encore vous procurer sans problème une arme semi-automatique tirant des dizaines de balles à la minute.

Vos antécédents, le genre de personne que vous êtes importent peu. Votre droit inaliénable d’acheter une arme à feu ne doit pas être entravé et l’emporte sur toute autre considération. Vous souffrez de problèmes mentaux ? Vous êtes un caractériel violent ? Vous voulez régler son compte à votre voisin bruyant ou vous amuser à tirer sur la foule ? Pas de problème. On ne veut pas le savoir.

Il est possible, toutefois qu’on vous retire le droit de voyager en avion ou de conduire un véhicule. Mais pas celui d’acheter un pistolet.

Alors quand tout cela va-t-il cesser ?

Ma réponse en étonnera beaucoup.

Le jour où vous pourrez aller dans un cinéma américain et visionner un film français, suédois ou tchèque qui n’aura pas été refait au complet avec des acteurs américains. Je blague? Pas du tout. Parce que ce jour-là, cela voudra dire que les Américains se seront enfin ouverts au monde et auront commencé à s’intéresser à ce qui se passe ailleurs.

Et qu’ils auront peut-être remis certaines choses en question.

Car c’est justement l’ignorance dont je parlais tantôt qui est à la source de tous les maux.

Pour l’instant, des millions d’Américains s’apprêtent à voter pour Donald Trump à la présidence des États-Unis. Il est trop simple de le dépeindre comme un matamore hors norme. Justement pas. Des dizaines de membres du Congrès pensent exactement la même chose que lui, sauf qu’ils ne sont pas fantasques comme le milliardaire républicain.

Ce sont eux qui veulent garder intact le Second Amendement. Ce sont eux qui défendent mordicus la vente libre d’armes à feu.

Et qui vote pour ces parlementaires? Qui soutient les extrémistes du Tea Party? Les électeurs américains.

 

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