L’écriture inclusive

La France est déchirée par le débat sur l’écriture inclusive. Au Québec, on a l’impression de revoir un vieux film avec Jean Gabin. En effet, le Québec et le Canada français ont souvent été à l’avant-garde de la modernisation du français, qui passe notamment par la féminisation.

Le Québec a fait figure de précurseur en proposant des titres de professions féminisés, comme ingénieure. Ces propositions ont été conspuées en Europe. Pourtant, quelques années plus tard, tant la France que la Belgique ou la Suisse ont dressé des listes de noms de profession déclinés au féminin. Aujourd’hui, la liste de l’Office québécois de la langue française fait autorité. En voici l’adresse électronique : http://bdl.oqlf.gouv.qc.ca/bdl/gabarit_bdl.asp?Th=1&th_id=359

L’écriture inclusive

Le modèle proposé tourne autour des propositions faites dans le Manuel d’écriture inclusive, paru chez Hatier, qui reposent sur l’utilisation du point médian, disparu depuis des siècles, pour féminiser l’écriture. Ainsi, nous aurions des étudiant . e. s

On y propose trois conventions :

  • Accorder en genre les noms de fonctions, grades, métiers et titres.

  • User du féminin et du masculin, que ce soit par l’énumération par ordre alphabétique, l’usage d’un point milieu, ou le recours aux termes épicènes.

  • Ne plus employer les antonomases du nom commun « Femme » et « Homme ».

Les auteurs proposent des graphies telles que présidente, directrice, chroniqueuse, professeure, intervenante

Je suis surpris que ces termes choquent en Europe; ils sont pourtant d’usage courant au Québec depuis un bon bout de temps tout comme d’autres formes féminines, d’ailleurs. On peut songer à auteure, députée etc.

Il faut dire qu’il n’y a pas si longtemps dans l’Hexagone, l’ambassadrice, la mairesse ou la sénatrice étaient respectivement la femme de l’ambassadeur, du maire ou du sénateur.

L’Académie française

La Vieille Dame du Quai Conti a, comme bien d’autres voix européennes, dénoncé l’écriture inclusive.

« La démultiplication des marques orthographiques et syntaxiques qu’elle induit aboutit à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité. »

Les académiciens estiment que la langue française est « en péril mortel ». Cette ruée n’a rien de surprenant. Les philippiques visant les rectifications orthographiques de 1990 ont déjà donné le ton, jadis. Entachées de faussetés, parfois délirantes, elles sont encore reprises aujourd’hui.

Les quatre femmes membres de l’Académie sont d’avis que l’égalité des sexes ne passe pas par « le massacre de la langue française ».

Deux éléments ressortent ici.

  1. En Europe, la simple idée de moderniser le français– ne serait-ce que de la façon la plus modérée – est pure hérésie.
  2. Les arguments avancés relèvent le plus souvent d’une émotivité qui empêche toute discussion rationnelle.

En filigrane, on décèle cette idée que le français n’a pas à évoluer. Non, la langue française n’est pas en péril, mesdames et messieurs de l’Académie. Elle évolue, comme elle le fait depuis des siècles. C’est tout.

Le masculin, genre neutre. Vraiment?

On me permettra ce petit rappel.

Le grammairien Beauzée, au XVIIe siècle, proclame que « le genre masculin est réputé plus noble que le féminin à cause de la supériorité du mâle sur la femelle. »

Se fondant sur des principes semblables, l’Académie a veillé à l’éradication de formes féminines comme médecine, autrice.

De nos jours, certains font valoir que le genre grammatical n’a rien à voir avec le genre tout court. Cet argument est fallacieux. Si c’était le cas, pourquoi a-t-on utilisé les termes « masculin » et « féminin »? Pourquoi pas le genre A et le genre B? 

L’Office québécois de la langue française

Au lieu de déchirer leur chemise, nos cousins d’outre-mer auraient intérêt à lire les articles éclairants publiés au Québec sur cette question. Le site de l’OQLF présente une synthèse précise des difficultés que pose la volonté de mettre fin à l’effacement des femmes dans les nomenclatures et les règles de grammaire.

Le lien suivant renferme 24 articles (oui 24!) sur la formation de noms féminins.

La rédaction épicène est régulièrement pratiquée au Canada. Elle vise à donner une visibilité égale aux hommes et aux femmes.

Dans le texte suivant, l’Office déconseille l’utilisation des formes tronquées ainsi que « les innovations orthographiques et typographiques » comme les étudiant(e)s, étudiant-e-s, étudiant/e/s. Il va sans dire que le point médian relève de la même catégorie.

L’Office rejette donc « les innovations orthographiques et typographiques ».

L’emploi d’une note en début de texte pour indiquer que le masculin englobe le féminin est également déconseillé, puisqu’il rend les femmes invisibles… comme c’est le cas depuis des siècles.

L’Office précise : « Elle n’est plus de mise de nos jours puisque la féminisation linguistique est devenue une réalité culturelle. »

Rédiger au féminin et au masculin

Rédiger en tenant compte des deux genres n’est pas simple. Au Québec et au Canada français, l’écriture inclusive a entraîné une prolifération de doublets (les travailleurs et les travailleuses, les Canadiens et les Canadiennes) que d’aucuns jugeront irritante.

Les épicènes, une utilisation judicieuse des pronoms, une reformulation pour respecter les deux genres, voilà des pistes intéressantes à suivre.

Il est clair que la féminisation du français suivra son cours, malgré toutes les oppositions. La réflexion se poursuit, car en 2017 on ne parle plus comme Voltaire ou Racine et on n’écrit plus comme ces deux grands auteurs.

18 réflexions sur « L’écriture inclusive »

  1. En fait, la question de l’écriture inclusive comporte plusieurs volets, puisqu’elle englobe non seulement la question de l’égalité des sexes dans la rédaction, mais aussi la façon de nommer de façon non offensante les noirs, les aveugles, les sourds, etc. Bref, elle englobe tout ce que l’on appelle également le politiquement correct. Il semble d’ailleurs que la nouvelle version (à venir, sûrement, car cela n’apparaît pas encore dans la mienne) de Word intégrera une option d’écriture inclusive (http://www.fredzone.org/word-passe-a-lecriture-inclusive-003, entre autres).
    La façon de nommer les personnes de couleur, les mal-voyants, les malentendants ou les personnes de petite taille, puisque c’est ainsi qu’il faut maintenant dire, ne fait plus vraiment débat,
    Le volet qui enflamme les foules en ce moment concerne le féminin et le masculin dans la rédaction, et là encore, il y a deux dimensions : la féminisation des titres et la graphie inclusive.
    Comme vous le dites, André, la question de la féminisation des titres ne pose plus de problème ici au Québec, et on se demande vraiment au nom de quel conservatisme suranné et injustifiable on se refuse à y venir en France. Il y a à l’évidence là-dessous encore quelques relents machistes.
    L’autre dimension, celle à laquelle je suis personnellement hostile, concerne la graphie : les étudiant.e.s,, les délégué.e.s syndica,ux.les, etc.
    Outre le fait que c’est imprononçable et contrevient à l’idée selon laquelle l’écriture a été inventée pour refléter autant que possible l’oral et le représenter graphiquement afin que les paroles ne s’envolent plus, outre le fait également que cela rend les textes illisibles, cela ajoute un niveau de complexité inutile à l’écriture. Ce qui n’est pas sans ironie, à une époque où on peine depuis 27 ans à imposer une réforme visant à simplifier l’orthographe et où certains se mettent en tête de supprimer l’accord du participe passé. Et voilà qu’on va introduire une obligation d’écrire les déclinaisons de genre dans une langue française qui n’avait pas besoin de cette complication supplémentaire. Veut-on accroître le nombre des décrocheurs et des analphabètes? Dernier point, c’est graphiquement laid!
    En ce qui concerne le choix de titres épicène, pour en revenir à cela, c’est une option à laquelle je souscris, à condition de ne pas prétendre comme en France que procureur est une forme épicène! Il reste cependant la question des déterminants : on peut bien dire ministre, mais dira-t-on le ou la ministre? Et pourquoi pas la ou le ministre? Que doit-on mettre en premier : le masculin ou le féminin? Celles et ceux, ou ceux et celles? Et si on parle d’égalitarisme, au nom de quoi le féminin passerait-il avant?
    Bref, ce débat est inépuisable et ridicule.
    Comme je l’ai dit sur twitter, si le choix des mots ou la question de la féminisation des titres ont une portée politique, je doute que la grammaire ait été intentionnellement sexuée au profit du mâle dominant. Je crois fondamentalement que le propre de l’humain est de toujours vouloir énoncer les choses de la façon la plus brève possible, comme le montre l’usage des abréviations, apocopes ou élisions, entre autres, et qu’il était tout aussi naturel d’opter pour la forme graphiquement la plus simple à l’écrit, qui est habituellement la même forme que la forme du masculin. Il n’y a selon moi nul grand complot historique des mâles dominateurs dans la formation de la grammaire. Même l’énoncé voulant que le « le masculin l’emporte » n’est à mon sens rien d’autre qu’un moyen mnémotechnique, peut-être discutable à une époque où tout est devenu suspect, et non un fondement masculiniste de la grammaire.

    1. Je suis bien d’accord avec vos arguments, M. Riondel! On vit quand même à une drôle d’époque, où tout doit être explicité… Au point où bien des gens maintenant ne voient plus le sarcasme s’il n’est pas signalé par un émoticone!

  2. Pour un habitant de l’Hexagone, il est intéressant d’avoir un vent d’air frais venant de l’ouest. L’atmosphère sur le sujet — pour quelqu’un directement concerné comme moi en tant que correcteur — est en effet suffocante.
    Les solutions simples ont effectivement été mal étudiées et le le sujet est lancé tel un brûlot dans la foule encore médusée par les rectifications orthographiques de 1990.
    Il est pourtant facile de régler certaines demandes :
    1. Accepter l’accord de proximité au lieu de l’alignement sur le masculin. Rien de plus facile.
    2. Rendre massivement épicènes des noms qui ne le sont pas : « une » auteur serait plus consensuel que tous les vocables disparates qui circulent.
    3. Plus délicate, mais ô combien utile, serait la rationalisation de l’accord du participe passé, à la fois principale cause de fautes d’orthographe et de complications retorses, mais aussi de la fréquence des modifications proposées. La massification du neutre serait une bénédiction !
    4. Substituer grammaticalement les noms de genres de « neutre » au masculin et de « marqué » (différencié) au féminin pour tout ce qui n’est pas sexué. Cela supprimerait mille causes de discorde stériles pour les objets ou les concepts.
    Ce simple jeu de quatre modifications permettrait rapidement des avancées significatives sur le terrain de l’égalité sans estropier la langue et en limitant fortement les redondances éprouvantes.
    Mais l’imagination et le pragmatisme semblent manquer à tout le monde. La France semble oublier qu’elle est l’inspiratrice de la Francophonie et qu’au-delà de ses frontières, sa langue a vocation à inspirer des populations en forte croissance qui risquent fort de ne plus nous suivre sur des chemins tortueux. L’anglais s’est abâtardi en maintes versions sur la planète, évitons cela au français !

    1. Bonjour,
      Je n’ai pas trop d’objection en ce qui concerne le point 1.
      Je suis en revanche plus dubitatif à l’égard du point 2: d’abord, comment peut-on considérer que les mots auteur ou, comme je le citais plus haut, procureur sont de réels épicènes? Pourquoi ne pas décréter la même chose pour écrivain, alors? Mais cela reviendrait à choisir le statu quo. La formation du féminin, conformément au fameux génie de la langue française, appelle généralement un suffixe en -teure, -teuse ou -trice, selon l’étymologie du mot. Sont ainsi proposés, pour auteur, auteure et autrice, et il semble que ces formes concurrentes soient toutes deux admissibles et, dans une certaine mesure, établies. Cela dit, au nom de quoi devrait-on décréter que la forme masculine auteur est épicène?
      Ensuite, si des langues comme l’allemand possèdent un genre neutre, le neutre n’existe tout simplement pas en français. Je ne suis pas contre l’introduire, mais ce serait alors une véritable révolution grammaticale et éloignerait le français écrit du français oral (le grec oral et le grec écrit étaient naguère distincts, et ça n’allait pas sans difficultés). Cela laisserait cependant entière la question de la graphie des noms appelés à devenir neutres. Faudrait-il s’aligner sur la forme masculine, sur la forme féminine ou en inventer une nouvelle (et, par pitié, évitons les graphies disgracieuses insérant des points ou des changement de casse au milieu des mots – p. ex., les agent.e.s ou les agentEs). On pourrait naturellement y ranger les quelques rares épicènes véritables, comme ministre, mais cela nous ramènerait vite à la question précédente pour la plupart des autres titres. Dernier point, faudra-t-il aussi créer une nouvelle déclinaison neutre des déterminants, notamment les articles?
      En ce qui concerne la suppression de l’accord du participe passé, je n’en vois pas vraiment l’intérêt, puisqu’on perdrait nécessairement de l’information dans certains cas : « J’ai mangé tous les gâteaux et les pommes que j’ai achetés la semaine dernière » veut-il dire la même chose que « J’ai mangé tous les gâteaux et les pommes que j’ai achetées la semaine dernière »? En outre, je pense sincèrement que toutes les simplifications que l’on pourra introduire n’empêcheront jamais les gens qui ne s’intéressent pas assez à la langue pour la soigner de faire des fautes.

    2. Bonjour,
      Je n’ai pas trop d’objections en ce qui concerne le point 1.
      Je suis en revanche plus dubitatif à l’égard du point 2: d’abord, comment peut-on considérer que les mots auteur ou, comme je le citais plus haut, procureur sont de réels épicènes? Pourquoi ne pas décréter la même chose pour écrivain, alors? Mais cela reviendrait à choisir le statu quo. La formation du féminin, conformément au fameux génie de la langue française, appelle généralement un suffixe en -teure, -teuse ou -trice, selon l’étymologie du mot. Sont ainsi proposés, pour auteur, auteure et autrice, et il semble que ces formes concurrentes soient toutes deux admissibles et, dans une certaine mesure, établies. Cela dit, au nom de quoi devrait-on décréter que la forme masculine auteur est épicène?
      Ensuite, si des langues comme l’allemand possèdent un genre neutre, le neutre n’existe tout simplement pas en français. Je ne suis pas contre l’introduire, mais ce serait alors une véritable révolution grammaticale et éloignerait le français écrit du français oral (le grec oral et le grec écrit étaient naguère distincts, et ça n’allait pas sans difficultés). Cela laisserait cependant entière la question de la graphie des noms appelés à devenir neutres. Faudrait-il s’aligner sur la forme masculine, sur la forme féminine ou en inventer une nouvelle (et, par pitié, évitons les graphies disgracieuses insérant des points ou des changement de casse au milieu des mots – p. ex., les agent.e.s ou les agentEs). On pourrait naturellement y ranger les quelques rares épicènes véritables, comme ministre, mais cela nous ramènerait vite à la question précédente pour la plupart des autres titres. Dernier point, faudra-t-il aussi créer une nouvelle déclinaison neutre des déterminants, notamment les articles?
      En ce qui concerne la suppression de l’accord du participe passé, je n’en vois pas vraiment l’intérêt, puisqu’on perdrait nécessairement de l’information dans certains cas : « J’ai mangé tous les gâteaux et les pommes que j’ai achetés la semaine dernière » veut-il dire la même chose que « J’ai mangé tous les gâteaux et les pommes que j’ai achetées la semaine dernière »? En outre, je pense sincèrement que toutes les simplifications que l’on pourra introduire n’empêcheront jamais les gens qui ne s’intéressent pas assez à la langue pour la soigner de faire des fautes.

      1. Merci pour votre attention à mes suggestions.
        – Le sujet est assez long à traiter sur le plan théorique et ce n’est pas vraiment le lieu. Vos objections sont bien sûr justifiées mais ne doivent pas amener à censurer des pistes qui, pour un peu surprenantes qu’elles apparaissent, peuvent se révéler finalement simples ou élégantes.
        – La rationalisation de l’accord du participe passé est un de mes thèmes de prédilection, même en dehors de cette querelle féministe. On trouve des arguments circonstanciés sur le site de l’association Erofa (http://erofa.free.fr/). L’idée directrice est qu’il y a une disproportion énorme entre la difficulté de la règle et l’apport d’information censé la justifier. Cela vaut aussi pour quelques autres sujets.
        D’une manière générale, depuis Jules Ferry. on a voulu enseigner et faire pratiquer par toute la population une langue de lettrés. Ce n’était pas le meilleur placement et d’autres langues se sont montrées plus pragmatiques sans se renier. Les francophones, présents ou futurs, aiment dans le français ses oeuvres, ses auteurs, ses nuances ou les valeurs qu’il véhicule, pas les anomalies qu’on nous sert comme attrayantes.
        De toute façon, ce n’est pas nous qui décidons, n’est-ce-pas ?…

    3. J’avoue que les règles du participe passé sont parfois d’une complexité étonnante. Cette complexité est en fait supérieure à celle des règles d’accord en latin, où rien ne change quelque soit l’ordre des mots dans une phrase. //

      Il m’a fallu certains efforts pour maîtriser les règles d’accord du participe passé quand j’étais au primaire. Je crois me souvenir que c’était ce qui me donnait le plus de fil à retordre quand j’étais en quatrième et cinquième années. À force de lire des romans comme les Bob Morane, je suis arrivé à complètement intégrer ces règles en sixième année. //

      Sauf que mon cas est celui d’une personne naturellement douée pour les langues qui en fait une profession pour gagner sa vie. Je ne suis pas certain que cette complexité soit vraiment nécessaire pour l’efficacité du français comme langue de communication. J’hésiterais toutefois à toucher à des usages établis depuis aussi longtemps. //

      Pour les autres points soulevés, je suis d’accord avec vous pour dire qu’il existe des solutions pragmatiques et plus simples que ce que d’aucuns proclament du haut de leur minaret. Il reste que je ne suis pas sorti de l’auberge dans mon travail, car le traducteur est à la merci de sa clientèle — a fortiori de la clientèle de son employeur. Le client est roi et impose ses préférences. L’excellent traducteur est soudainement devenu un traducteur qui maîtrise la rédaction inclusive, et non plus un virtuose des mots en tous genres comme c’était le cas jusqu’à tout récemment.

    1. Je n’ai malheureusement pas accès à la totalité de l’article. Je n’Ignore pas que la règle qui veut que le masculin l’emporte n’a pas toujours été de mise. Mais je réfute l’idée qu’elle ait été instituée par machisme. Elle est pour moi plus pragmatique que « politique ».

  3. Un sujet très intéressant certes, mais maintenant, l’écriture inclusive comporte maintenant un autre aspect (peut-être n’est-il pas nouveau, seulement plus connu et accepté) celui de la rédaction genrée qui a fait couler beaucoup d’encre (et continuera sans doute de le faire). D’ailleurs le Bureau de la traduction vient de publier une recommandation à ce sujet ainsi qu’un lexique. Il sera intéressant de voir comment les rédacteurs et les traducteurs réagiront. Je vais suivre cela un peu de l’extérieur, étant à la retraite. Je crois que la rédaction épicène deviendra de plus en plus importante. Il faudra ajouter cette corde à son arc si ce n’est pas déjà fait.

    1. Je pense que tout traducteur ou rédacteur consciencieux essaie déjà – et à mon avis, il ou elle n’a pas attendu la résurgence récente du débat – d’écrire de façon épicène ou d’inclure les deux genres dans ses écrits, dans la mesure où cela n’alourdit pas le texte ou ne donne pas un caractère artificiel au discours. Il y a longtemps que j’écris « celles et ceux » (ou « ceux et celles », car rien ne justifie, si on veut défendre l’égalitarisme, de donner la priorité à un sexe ou à l’autre), et je pense être loin d’être le seul à le faire. Instinctivement, nombre de gens de plume (ou de clavier) sont aujourd’hui imprégnés de la problématique de la parité et favorables à laisser au sexe féminin une place comparable à celle du sexe masculin. Mais cela n’exclut pas pour autant d’agir avec jugement et de refuser certains abus que les militants les plus extrêmes de l’inclusif, plus motivés par leur idéologie que par une approche littéraire ou langagière, voudraient imposer. Pour eux, peu importe que la langue devienne laide, pourvu que leurs aspirations soient satisfaites. Quand j’applique la règle voulant que le masculin l’emporte, cette expression restant pour moi un moyen mnémotechnique d’apprentissage, et non une affirmation politique, je n’ai aucunement le sentiment de consacrer une quelconque suprématie de l’homme. Il y a 1000 autres façon de donner à la femme la place qu’elle mérite dans le discours. Ce n’est pas parce que certains voudraient nous faire croire que la grammaire est machiste que c’est nécessairement le cas. C’est juste un point de vue, auquel nous ne sommes pas obligés de souscrire. J’ai toujours considéré que la langue écrite est un outil qui reflète et sert à transcrire la langue orale, et il n’y a pas de raison de faire à l’écrit des distinctions qu’on ne fait pas à l’oral.

      1. Le traducteur est à la merci des préférences du client. Si le client a adopté l’écriture avec point médian, il va l’exiger du cabinet de traduction avec lequel il fait affaire. Et quand mon employeur m’assigne la tâche, je n’ai pas vraiment le choix. La confiance qu’a mon employeur en moi risque d’être ébranlée si je commence à refuser de traiter les demandes de tel ou tel client, et ça compliquerait drôlement le travail de notre service des assignations, un point névralgique du cabinet.

        Au bout du compte, de plus en plus des clients dont je traite les traductions exigent — autrement dit, imposent — l’écriture inclusive sous différentes formes, avec point médian, avec formes téléscopées, etc., etc., et c’est sans parler des clients qui exigent la nouvelle orthographe par opposition à ceux qui conservent l’orthographe traditionnelle (une chance que j’ai Antidote comme aide-mémoire pour la nouvelle orthographe).

        Quand j’ai fait mes débuts en traduction dans les années 2000, tout était plus simple. Certains clients, peu nombreux, tenaient mordicus aux doublons et à la rédaction épicène, mais la majorité des clients n’avaient pas de problème avec l’emploi du générique pour simplifier les énoncés. Ce n’est que vers 2020 que les zélotes du politiquement correct ont commencé à vraiment se faire sentir dans mon travail. Ils sont arrivés avec le coronavirus ; c’est en tout cas le drôle d’effet que me fait cette coïncidence.

        Chaque fois que je me vois assigner une longue traduction pour un client resté traditionnel, je me sens soulagé parce que je sais que mon travail sera plus agréable et plus sain pour ma santé mentale. C’est devenu pour moi un réel facteur de motivation, et un réel problème quand je vois grossir la part de marché des clients inclusivistes. Certains jours, je songe à me faire anglophone et à tout simplement changer de langue d’arrivée (je fais partie de la minorité de traducteurs qui peuvent faire ce choix).

        Je commence à sérieusement préférer l’anglais au français quand j’ai le choix, et je crois que c’est un peu ça que l’Académie veut dire quand elle parle de péril mortel. En alambiquant la langue dans une confusion aussi inutile qu’improductive, le courant inclusiviste donne une raison supplémentaire d’opter pour l’anglais quand c’est possible.

        Oui, on doit désormais écrire « firefighter » et non plus « fireman », « businessperson » au lieu de « businessman ». On recommande « humankind » au lieu de « mankind », devenu soudainement offensant aux yeux de certains, bien qu’il soit pourtant plus naturel à l’oral, étant plus court. Il reste qu’en anglais, on n’a pas besoin d’user de doublons ou de points médians à tout bout de champ ; les règles de grammaire anglaise restent intactes, tandis qu’en français, le « méchant conservateur » que je suis se fait hachurer la plume à grands coups de points médians.

        Si jamais j’écris une comédie dantesque, c’est absolument garanti qu’il va y avoir des inclusivistes dans mon enfer.

        Le français n’avait pas besoin de ces complications. Ce courant va à l’encontre de l’évolution naturelle d’une langue, qui tend à simplifier.

        1. D’accord en tout point avec votre réponse pleine d’humour, Dominique.
          Nous sommes effectivement soumis à la volonté des clients et n’avons guère d’autre choix que de plier si nous voulons manger. Reste à savoir quelle écriture dite inclusive les clients exigeront. Car si une chose est sûre, à voir de nombreuses communications ou publicités, c’est que les règles de la graphie avec point médian ne sont absolument pas comprises par ceux qui les exigent (p. ex., les employé·es, au lieu des employé·e·s). Devrons-nous nous plier à leur compréhension boiteuse de ces nouvelles règles?

  4. « La réflexion se poursuit, car en 2017 on ne parle plus comme Voltaire ou Racine et on n’écrit plus comme ces deux grands auteurs ».

    Je doute qu’il y ait réflexion sur le sujet. On assiste plutôt à l’imposition de normes par des groupes idéologiques intéressés d’abord et avant tout par l’avancement de leur cause, selon le bon vieux principe de celui qui parle le plus fort, puis leur diffusion plus ou moins rapide parmi les moutons qui suivent le courant.

  5. Allons jusqu’au bout de cette logique : il existe des « personnes » qui ne veulent être ni « mâle » ni « femelle » mais être « neutre ». Il faudrait donc bientôt dire
    bonjour « à tou.te.n.s » mais ici le féminin arrive en premier c’est donc un skandâle ! )
    ou bien « à tous.tes.ns » mais ici le masculin arrive en premier c’est aussi un skandâle ! )
    ou « à tou.n.te.s.s » ou encore … etc. … 🙂 🙂 🙂
    Je suis volontaire engagé dans l’alphabétisation et la lutte contre la « fracture numérique »
    et nous avons entre autres « élèves », des immigrés, qui ont du cran et qui n’ont pas beaucoup de temps pour étudier car ils ont parfois 2 ou 3 « petits boulots » pour s’en sortir, des analphabètes, des illettrés, et qui vont « ramer » avec la numérisation totale des administrations françaises prévue en 2022. Cela n’est déjà pas évident pour eux d’apprendre le français, et nous les y aidons, alors si on rajoute « tout.e.s, les salarié-e-s » ? … et aussi QUID des dyslexiques ? é donk ou alon nou avek saite logik ?
    Je trouve que la règle actuelle « le masculin l’emporte sur le féminin »
    doit être vue et enseignée comme un simple moyen mnémotechnique, afin que nos chères têtes « blondes » ou « de couleurs » s’y retrouvent : tout dépend de la façon de l’enseigner, par exemple elle pourrait être reformulée en
    « il faut de toutes façons des conventions et des normes dans ce bas monde manifesté »
    et « pour ne pas se fatiguer, on fait l’économie de lettres que demande l’accord du féminin ? » .
    Il vaudrait mieux enseigner aux élèves des rudiments d’étymologie et d’histoire pour savoir d’où nous venons, mais cela ne cadre pas avec la « Cancel Culture US ».
    Et il faut relire (entre autres) George ORWELL « 1984 » pour savoir ce qui nous attend si nous continuons à laisser déboulonner les statues (ex : à propos de l’ esclavagisme) plutôt que de leur apposer un cartouche qui explique clairement les faits, afin que les horreurs ne recommencent pas (cf. en Allemagne autodafés de 1933 et extrême droite actuelle ) sans prendre la peine de comprendre l’histoire, ni même s’y intéresser objectivement.
    Étapes suivantes, allons parfaire cette logique encore incomplète par 2 propositions :
    -1-) il est absolument « skandâleu » qu’une notion aussi importante que « droit » soit du masculin ==> il faut donc absolument mettre une majuscule et mettre aux mixte et neutre ==> « Déclaration des Droit.e.n.s humain.e.n.s et du·de.la.dn citoyen.ne.n ». 🙂 🙂 🙂
    -2-) il faudra supprimer toutes les œuvres d’art que l’on pourrait trouver être éventuellement susceptibles de pouvoir insidieusement, subrepticement, par les plus grands détours, froisser légèrement, en effleurant sur les bords, la sensibilité exacerbée et maladive, mais « riche de diversités et de potentiels actuellement étouffés » d’un.e.n.es éventuel.le.n.s névrosé.e.n.s.
    Ceci dit, je suis de tout cœur contre la prédominance des « grands mâles blancs » quand elle existe, mais il y a d’autres moyens de lutter contre que de « masacré leu fransai »; un peu d’ OUVERTURE de CONSCIENCE fera beaucoup de bien à la vie en société !

  6. « D’où parles tu camarade » pour argumenter contre l’écriture inclusive ?
    « Tu es donc un dangereux réactionnaire !  »

    Et une citation en substance, sinon littérale :
    « On ne saurait croire combien un mot bien choisi peut économiser de pensée »
    ( Henri POINCARE 1854-1911)
    NB : attention, cela fonctionne de façon effective pour clarifier et stimuler,
    mais aussi pour fausser les pistes, voiler, et éteindre !

    Et aussi : cf. George ORWELL 1984
    « Le but du novlangue était, non seulement de fournir un mode d’expression aux idées générales et aux habitudes mentales des dévots de l’angsoc mais de rendre impossible tout autre mode de pensée. Il était entendu que lorsque le novlangue serait une fois pour toutes adopté et que l’ancilangue serait oublié une idée hérétique – c’est-à-dire une idée s’écartant des principes de l’angsoc – serait littéralement impensable, du moins dans la mesure où la pensée dépend des mots. »
    ( George ORWELL 1984 – dans l’Appendice – « Les Principes du Novlangue »)

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