Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. L’ONU est le seul forum pour discuter de l’ensemble des questions qui préoccupent la communauté internationale. C’est même sa vocation.
Le nom officiel de l’ONU (prononcé o-é-nu par les Européens) est l’Organisation des Nations Unies. Trois majuscules, dont une à l’adjectif, ce qui est plutôt inhabituel.
Pour les noms d’organismes, unanimité dans les manuels de typographie, qui prescrivent la majuscule initiale au premier substantif; l’adjectif s’écrit toujours en minuscule, à moins qu’il ne commence l’expression.
C’est ainsi qu’on écrit le Comité international olympique; le Fonds monétaire international; l’Union européenne. Comme on le voit, la graphie officielle de l’ONU (que les Européens écrivent Onu) s’écarte des normes habituelles.
Ce n’est pas un cas unique.
- L’Organisation mondiale de la Santé: le deuxième substantif reçoit lui aussi la majuscule.
- L’Organisation Internationale du Travail: majuscule à tous les substantifs et même à l’adjectif.
Ces graphies sont arbitraires. Les autorités qui les ont adoptées ont choisi de ne pas tenir compte des règles typographiques conventionnelles, en supposant qu’elles les connaissaient.
Le rédacteur est confronté à un dilemme. Ou bien il respecte scrupuleusement les appellations officielles, mais court le risque d’entacher l’uniformité de son texte, si les noms d’autres organisations internationales y figurent. Ou encore il rectifie les graphies apparemment fautives, mais ne respecte plus la terminologie consacrée.
La presse du Canada et de la France retient la graphie conventionnelle Nations unies; c’est également celle que l’on trouve dans le Larousse et le Robert des noms propres. L’usage penche donc massivement pour le conformisme aux règles de typographie.
Certains feront valoir, à bon droit, qu’Organisation des Nations Unies est le nom officiel de cet organisme. Qui sommes-nous pour en décider autrement? Il importe de respecter la décision de l’ONU, car, autrement, ce serait un manque de respect.
Cette position n’est pas dénuée de valeur. Mais le rédacteur devra alors se plier à toutes les graphies proposées par des organisations internationales ou autres, quitte à oublier l’uniformité dans ses textes. Bref, une belle cacophonie.
Il est vrai qu’imposer Organisation des Nations unies écorchera la sensibilité des dirigeants de l’ONU. Mais tout dépend dans quelles circonstances on emploie cette graphie révisée. N’oublions pas que c’est celle qu’ont adoptée non seulement Le Devoir et La Presse au Canada, mais aussi le prestigieux journal Le Monde, et d’autres avec lui : Le Figaro, L’Express, le Nouvel Observateur, etc. Nous sommes donc en bonne compagnie.
On pourrait réserver la graphie officielle aux correspondances destinées à l’organisation sise à New York. Ce serait commettre un impair de ne pas orthographier son nom comme elle le souhaite. Un peu comme si quelqu’un vous écrivait en faisant une faute d’orthographe à votre nom de famille.
Ces trois exemples mettent en lumière l’incohérence qui règne quant à l’utilisation des majuscules, non seulement dans les noms d’organismes, mais aussi pour les graphies de périodes historiques, de noms d’entreprises, etc. Un peu d’uniformité ne nuirait pas.
NATIONS UNIES/ORGANISATION DES NATIONS UNIES
Je me permets, en qualité d’ancien membre du Secrétariat de l’ONU , d’apporter les précisions suivantes à l’intéressant commentaire d’André Racicot :
1) Tout d’abord, le nom le plus officiel de l’Organisation des Nations Unies est « Nations Unies » – voyez le premier paragraphe dispositif de la Charte (qui fait curieusement partie du préambule) : « Nos gouvernements respectifs […] établissent par les présentes […] une organisation internationale qui prendra le nom de Nations Unies ».
Toutefois, la Charte utilise aussi en français les appellations « Organisation des Nations Unies » et « Organisation » en concurrence avec « Nations Unies ».
Pourquoi l’appellation collective « Nations Unies » pour désigner une organisation, contrairement à la logique habituelle du français ? Parce que les négociateurs et traducteurs francophones qui ont établi le texte authentique français de la Charte ont voulu coller à l’anglais (« do hereby establish an international organization to be known as the United Nations »), du moins dans la première et principale disposition de la Charte qui fondait l’Organisation. (L’anglais, comme chacun sait, est accro des noms collectifs pluriels… qu’il accorde sans états d’âme au singulier.) Dans la suite du texte, la logique du français s’accordant souvent mal avec ce nom collectif pluriel, l’expression « Organisation des Nations Unies » s’est imposée naturellement et facilement chaque fois que le contexte l’exigeait.
2) « Nations Unies » ou « Nations unies » ? Le nom de l’Organisation est un nom propre, et la seule graphie officielle est « Nations Unies », avec majuscule aux deux mots. Voilà qui règle la question.
En effet, que certaines organisations choisissent d’écrire une partie de leur nom avec ou sans majuscules peut présenter des difficultés d’usage (il faut se rappeler chaque cas et ce n’est pas évident) mais aucune difficulté de norme linguistique. « Organisation internationale du Travail » n’est pas plus critiquable sur le plan de la langue que « Organisation mondiale de la santé », une fois admis que, répétons-le, ce sont là des noms propres. Il n’y a pas plus de risque de chaos ici que dans le cas des noms propres ordinaires.
Je reconnais toutefois que si j’avais été le créateur de l’ « Organisation internationale du Travail », je l’aurais plutôt appelé « Organisation internationale du travail ».
3) « Organisation des Nations Unies », avec majuscule aux trois mots, est, on l’a dit, l’autre nom officiel (nom propre) de cette organisation d’après la Charte : « Nations Unies » n’est donc (à mon avis) acceptable en aucun cas.
4) Si l’on veut parler des membres de l' »Organisation des Nations Unies » (ou « Nations Unies »), on écrira « nations unies », sans majuscules et peut-être avec guillemets, pour bien faire la différence avec l’Organisation en tant que telle. Mais en pratique on ne parle plus de nos jours que des « États membres » ;
5) On notera qu’en français l’expression « Nations Unies » est de plus en plus souvent employée pour désigner le Système des Nations Unies (c’est-à-dire l’Organisation elle-même et les institutions spécialisées – Organisation internationale du Travail, Organisation mondiale de la santé, & –, plus l’Agence internationale de l »énergie atomique, dotée d’un statut particulier par rapport à l’Organisation) : autre complication – mais la vie n’est pas simple ;
6) Cela dit, on ne jettera pas la pierre si tel usage rédactionnel ou officiel particulier accrédite « Nations unies » (avec minuscule sur le second mot), pourvu qu’on se rende bien compte que c’est là un usage particulier ;
7) En conclusion, « Nations Unies » est polysémique. Cette expression peut désigner selon le contexte :
– l’Organisation des Nations Unies ;
– les États membres de l’Organisation des Nations Unies ;
– les organisations du Système des Nations Unies, dont la principale est l’Organisation des Nations Unies. JR
Organisation mondiale de la santé/Organisation mondiale de la Santé ?
Sans donc parler de chaos, je suis bien d’accord avec André Racicot que la fantaisie est de règle dans le domaine qui nous occupe.
Le nom officiel de l’OMS est bien « Organisation mondiale de la santé » (sans majuscule sur « santé » – ce que j »ai vérifié sur une copie certifiée conforme de la constitution de l’OMS) et pourtant le site Web de cette organisation et je crois même une majorité de ses documents récents écrivent « Organisation mondiale de la Santé ».
Une modification de l’appellation française serait-elle intervenue depuis 1946 ? Ou bien aurait-on affaire à une évolution coutumière ?
C’est ce que je viens de demander à l’OMS, et je ne manquerai pas de faire connaître ici sa réponse éventuelle. JR
M. Racicot,
J’ai fait une partie de ma carrière à l’ONU comme traducteur juridique et réviseur (et aussi comme avocat, mais c’est une autre histoire). J’ai été le premier Canadien fonctionnaire aux services linguistiques de l’ONU. J’ai aussi été rédacteur et réviseur de lois et de règlements, notamment pour le gouvernement du Canada.
Dans le domaine des noms d’organismes officiels et de tribunaux, la règle appliquée de façon absolue, pour des raisons juridiques autant que lexicographiques, est de se conformer strictement au nom officiel adopté dans la loi ou la résolution créant l’organisme. On doit toujours faire l’effort de remonter à la source.
Il arrive souvent que le rédacteur législatif ou réglementaire ait été contraint d’adopter une formulation plutôt qu’une autre pour un ensemble de facteurs historiques ou juridiques. Il arrive aussi qu’il fasse erreur ou bien qu’au contraire d’autres intervenants fassent erreur et parviennent à imposer un usage erroné. (Cela est justement le cas pour Organisation des Nations Unies, où le mot «Nations» a été utilisé dans son sens anglais et non dans son sens français, au grand dam des traducteurs français de l’époque).
Deux exemples: la Cour pénale internationale qui s’appelait originellement Cour criminelle internationale, seule appellation vraiment correcte vu qu’elle ne traite que de crimes et n’a pas d’autres compétences pénales. (Pour la distinction entre criminel et pénal, voir la fiche d’UNITERM de l’ONU et le rapport de la Commission de réforme du droit du Canada à ce sujet.) Au moment de la création de la Cour, après des années d’appellation correcte dans les textes préparatoires, un traducteur français, sans aucune formation en traduction ou en droit, a pris sur lui de changer le nom et d’en faire la Cour pénale internationale (pour la seule raison qu’il n’aimait pas le qualificatif «criminel» pour un tribunal et même si la France a eu de nombreux tribunaux «criminels» dans son histoire). Par ailleurs, le Tribunal international pour le Rwanda – c’est son nom officiel et c’est le seul en français – est d’abord devenu dans les textes de l’ONU le Tribunal criminel international pour le Rwanda, ce qui n’était pas le nom officiel mais était correct vu que ce tribunal ne jugeait que des crimes. Mais par la suite les juges du Tribunal, dont un seul francophone, ont décidé d’imposer le nom de Tribunal pénal international pour le Rwanda, malgré l’opposition du Greffier du tribunal, des services linguistiques du Tribunal, dont j’étais responsable, et des autorités de l’ONU. À ma connaissance, il n’y a aucun autre cas dans l’histoire où ce sont les juges du tribunal, et non l’autorité constituante, qui ont décidé du nom d’un tribunal. Le nom officiel reste donc Tribunal international pour le Rwanda, ce qui est repris dans la majorité des textes officiels importants de l’ONU; mais pour le reste l’usage fautif l’emporte largement dans la vie courante.
Donc, il faut toujours faire l’effort de remonter à la source, au texte constitutif de l’organisme ou du tribunal.
André Sirois
avocat
Je partage totalement l’avis d’André Sirois au sujet des usages erronés introduits en matière d’appellations officielles par des intervenants non autorisés : il faut bien sûr s’en tenir à l’appellation officielle retenue par l’autorité constituante.
Deux remarques cependant :
1) Il est intéressant que l’appellation « Cour criminelle internationale » retenue initialement dans le projet de la Commission du droit international et dans le projet de la Conférence de Rome sur la Cour criminelle internationale ait été abandonnée par l’Assemblée générale des Nations Unies.
L’Assemblée générale est l’organe législatif supérieur chargé d’approuver ou de rejeter les projets tant de la CDI que des conférences internationales qu’elle convoque (celle de Rome en l’occurrence) : cela règle donc formellement la question. Le projet a d’ailleurs été discuté en détail par la Sixième Commission (juridique) de l’Assemblée, et je suppose (je n’ai pas les documents sous la main : il faudrait vérifier) que les membres francophones de la Commission, où le français joue un rôle important, n’ont pas manqué de proposer et d’expliquer ce changement.
Il s’agit donc là très probablement ici d’une initiative rédactionnelle plutôt que
« traductionnelle » : je doute fort qu’un seul traducteur, aussi obstiné soit-il, ait pu faire passer comme muscade une modification aussi importante que celle du nom de l’organisme à créer.
L’auteur de la proposition de changement en Sixième Commission de l’Assemblée générale aura sans doute fait valoir :
– que « pénal » en français est le terme générique qui correspond au générique anglais « criminal ». Il y longtemps que dans le système de droit français on n’utilise plus « criminel » au sens de pénal, sauf dans la langue familière, et que le “Code d’instruction criminelle » napoléonien” a cédé la place à un “Code de procédure pénale” ;
– que « criminel » en français renvoie aux infractions pénales les plus graves (passibles de la Cour d’assises).
En anglais, la terminologie est floue : « crime » y a le sens générique d’ « infraction » et c’est pourquoi, si je me rappelle bien, la Cour pénale est chargée dans son statut de punir les “most serious crimes” – ce qui confirme que « criminal » est pris en anglais dans un sens générique, exactement comme « pénal » en français.
Autre considération, lointaine il est vrai : il n’est pas inconcevable que la compétence de la Cour puisse un jour être étendue pour des raisons de commodité à des infractions qui, bien que non « criminelles », pourraient intéresser l’ordre public international alors que certains États n’auraient pas individuellement les moyens de les punir : en disant “Cour pénale” en français, l’extension pourra se faire plus facilement, sans avoir à ouvrir un débat sur la modification du nom même de la Cour.
Je vois d’après la base de donnée UNTERM que les hispanophones ont retenu la même solution (« penal ») que les francophones : pourtant ils ont aussi « criminal » et auraient pu se contenter de « Tribunal criminal ».
2) En ce qui concerne l’usage officieux « Tribunal pénal international du Rwanda» au lieu de l’appellation « Tribunal criminel international du Rwanda », pour les mêmes raisons que sous 1) la substitution me paraît justifiée, et c’est sans doute ce qui explique que l’obstination d’un seul juge ait suffi à faire admettre le nouvel usage.
Tout cela sous réserve d’éclaircissements supplémentaires éventuels de la part d’André Sirois.
Pardon pour ces commentaires juridiques un peu longuets, mais le droit est pour une bonne part affaire de langue : nous restons donc dans le sujet. JR
Ma remarque 1) du précédent message appelle des corrections d’ordre juridique :
C’est effectivement au niveau de la Conférence de plénipotentiaires de Rome que l’appellation « Cour criminelle internationale » a été remplacée par celle de « Cour pénale internationale », et André Sirois a donc parfaitement raison sur ce point : voir l’Acte final de la Conférence sous http://daccess-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N98/241/86/PDF/N9824186.pdf?OpenElement.
Je n’ai pas réussi à retrouver sur l’Internet l’origine de cette modification, qui a dû être discutée et approuvée par le comité de rédaction de la Conférence.
D’autre part, la Conférence a adopté non pas un projet de convention qu’il aurait fallu soumettre pour approbation à l’Assemblée générale des Nations Unies, mais le texte définitif de la convention elle-même, ensuite ouverte à la signature des États : mes souvenirs sur ce point étaient très imprécis et j’espère qu’on voudra bien m’en excuser.
Cela dit, sur le plan linguistique, je continue de penser qu’en l’occurrence « pénal » est préférable à « criminel » parce que – ici du moins – il couvre exactement le champ sémantique du mot anglais « criminal » et réserve la possibilité d’une extension future des compétences de la Cour à des infractions (notamment des infractions associées à des crimes) qui ne seraient pas elles-mêmes des « crimes » en droit national. Cela ne signifie pas que « Cour criminelle » aurait été inacceptable.
Des anciennes habitudes terminologiques il nous reste en France la « Chambre criminelle » de la Cour de cassation, chargée de statuer sur les pourvois en matière pénale (pas seulement en matière criminelle à proprement parler) : justement, elle devrait s’appeler « Chambre pénale ». JR
Puisque nous en sommes aux corrections, je relève dans mon message du 17 mars 21:13 le passage suivant :
« 3) « Organisation des Nations Unies », avec majuscule aux trois mots, est, on l’a dit, l’autre nom officiel (nom propre) de cette organisation d’après la Charte : « Nations Unies » n’est donc (à mon avis) acceptable en aucun cas. »
Il fallait lire bien sûr :
« Nations unies » [avec « u » minuscule] n’est donc (à mon avis) acceptable en aucun cas. JR
Cour « pénale » internationale (encore !)
Il convient aussi de noter que la convention ONU fait exactement écho à la « Convention pour la création d’une cour pénale internationale » (« Convention for the Creation of an International Criminal Court ») adoptée dans le cadre de la Société des Nations et ouverte à la signature à Genève le 16 novembre 1937 – mais non entrée en vigueurpar manque de ratifications.
La Convention SDN de 1937, comme la Convention de l’ONU, traite d’infractions pénales graves (essentiellement liées au terrorisme) – ce qu’on appellerait des « crimes » dans le système de droit français. Pourtant, c’est bien « pénal » qui avait alors été proposé.
On peut donc se demander si ce n’est pas la terminologie « Cour criminelle » qui aurait représenté une nouveauté discutable. (En anglais, la question ne se pose pas : « criminal » dans les deux cas.) JR