COVID-19

La grippe provoquée le coronavirus a été baptisée COVID-19. Il s’agit d’une opération inédite à l’échelle mondiale pour éviter de parler de la grippe de Wuhan, comme on aurait dû continuer de l’appeler. Après tout, on a déjà eu la grippe espagnole – mal nommée, car elle n’a jamais commencé en Espagne. Ce pays a été le premier à en parler ouvertement, à l’époque où les nations en guerre censuraient l’information. Nous étions en 1918.

Donc, pour éviter de stigmatiser la Chine, l’OMS a choisi une appellation neutre, COVID-19. Comme on pouvait s’y attendre le sigle retenu est anglais : CO pour « corona », V pour « virus », D pour « disease ».

Pendant quelques temps, on a parlé du COVID-19, alors que cette appellation désigne la maladie liée au virus de Wuhan.

Pour une fois, Radio-Canada a rectifié rapidement et on peut espérer que les autres suivront la parade. Une épidémie linguistique a peut-être été évitée.

Poster

Il fut un temps où le verbe poster désignait l’action de mettre une lettre à la poste. Les temps ont bien changé. Tout d’abord parce qu’on ne met plus grand-chose à la poste et, surtout, parce que les médias sociaux ont radicalement changé la manière dont nous communiquons.

Je me rappelle ces correspondances aujourd’hui surannées avec des amis rencontrés en Europe; ces lettres écrites à la main sur papier fin et expédiées dans des enveloppes ultralégères frappées de l’appellation Par avion.

Avant qu’un jeune impudent ne s’écrie « Ok boomer », je passe au paragraphe suivant.

Poster à l’ère moderne

À l’ère des milléniaux on s’envoie des mails, bizarrement appelés courriels – ah ces Québécois, ce qu’ils sont ridicules; on partage des photos sur Instagram; on poste des commentaires sur Facebook.

Ce n’est qu’un aperçu de l’influence de l’anglais sur le vocabulaire de l’électronique.

Évidemment, le verbe poster vient directement de l’anglais. Il serait facile de le remplacer par publier, faire paraitre, afficher… Mais c’est trop simple et, surtout, on y perd l’incandescence de l’anglais, cette merveilleuse langue de l’Amérique…

Poster, et son substantiel post, sont entrés dans les dictionnaires français.

Le Robert : Introduire un article, une contribution, sur un groupe de discussion.

Larousse : Publier un article, un commentaire, une photo ou une vidéo sur un média Internet.

Un post est un message publié sur un forum ou un blogue… pardon, un blog.

Difficile de revenir en arrière, bien sûr, mais parler d’un billet, d’un article ou d’un commentaire est tout aussi compréhensible.

Michigan State University

Je lisais récemment dans un journal francophone la traduction suivante : l’Université de Michigan State pour Michigan State University. Grave erreur de découpage. Pour faire une traduction correcte, il faut d’abord savoir ce qu’est une State University.

Il s’agit d’une institution financée par un État américain ou encore une université à laquelle est associé cet État. Par conséquent, le mot State qualifie University et non pas l’État. En effet, pourquoi préciserait-on en anglais que le Michigan est un État?

C’est donc d’une université d’État qu’il est question, ce qui change la perspective.

Il ne faut donc pas traduire Michigan State University par l’Université de l’État du Michigan. La bonne traduction : l’Université d’État du Michigan.

Bien des francophones s’imaginent qu’on ne peut pas traduire le nom des universités américaines, comme s’il fallait absolument décliner en anglais le nom de tout organisme venant de nos voisins du sud.

C’est une erreur.

On traduit déjà le nom d’un grand nombre d’institutions politiques des États-Unis sans que personne n’y voie du mal. Pourquoi ferait-on exception pour les universités américaines?

Dans un article précédent, j’indiquais comment il fallait s’y prendre pour traduire le nom des universités étrangères.

Priorité

Le mot priorité est particulièrement galvaudé et malmené dans l’usage populaire et journalistique. Il n’est pas rare que l’on parle de priorité absolue, de première priorité.

C’est bien méconnaitre le sens réel du mot en question. Le Larousse :

Fait pour quelque chose d’être considéré comme plus important que quelque chose d’autre, de passer avant toute autre chose

Les deux expressions précitées sont par conséquent des pléonasmes.

Dans cas, est-il possible d’avoir plusieurs priorités? De prime abord, on serait tenté de dire non, si l’on se réfère à la définition du Larousse qui, d’ailleurs, va dans le sens des autres ouvrages consultés.

Pourtant, le Dictionnaire de l’Académie française donne l’exemple suivant : « La rénovation urbaine se développe et le logement des rapatriés apparaît parmi les priorités. »

Il est donc concevable qu’une organisation, par exemple, ait plusieurs priorités. Je dis bien plusieurs au sens propre, donc quelques-unes. On est donc loin d’un texte ministériel délirant, que j’avais eu à traduire, dressant la liste de 60 priorités, divisées en… sous-priorités!

Donc, un gouvernement pourrait avoir un certain nombre de priorités, mais certainement pas une douzaine. À mon sens, au-delà de trois ou quatre on a des objectifs, pas des priorités.

Commémorer

On ne commémore pas un anniversaire. C’est une faute que l’on voit souvent dans les médias. En français on commémore un évènement, pas une date, pas un anniversaire. En temps normal, on célèbre, on fête un anniversaire.

Lorsqu’il est question d’un évènement malheureux, comme le massacre de Polytechnique, en 1989, on emploiera des verbes plus neutres. On marquera, soulignera cet anniversaire.

Encore une fois, l’anglais est moins restrictif et permet de commémorer un anniversaire, d’où l’erreur en français.

L’accord avec «avoir»

Les règles d’accord avec l’auxiliaire avoir sont inutilement compliquées alors qu’elles pourraient être simples. Ceux qui réclament une réforme de la grammaire française s’en prennent souvent à cet accord.

En général, le mot qui s’accorde reste invariable quand le donneur d’accord n’est exprimé qu’ensuite. Mais la règle d’accord du participe passé conjugué avec avoir est souvent considérée ou ressentie comme artificielle. La langue parlée la respecte très mal, et, même dans l’écrit, on trouve des manquements, bien qu’ils restent minoritaires[1].

L’accord en question comporte de redoutables traquenards, comme si la règle de départ déjà assez biscornue se mutait en hydre à huit têtes.

  • L’accord du participe passé suivi de en

Nous voici au royaume de l’ambivalence. Certains ne font pas l’accord.

Il y a des types comme ça. J’en ai connu.

Tu me dis que les romans te choquent; j’en ai beaucoup lu.

– Georges Bernanos

D’autres le font.

Des connaissances, des conseils, mes trois fils en ont reçus.

– Maurice Duhamel

Une immense muraille telle que les hommes n’en ont jamais construite.

– Julien Green

Observation de Grevisse : « Cette variation ne peut être taxée d’incorrecte[2]. » Soit, mais disons que, dans les derniers exemples, la logique naturelle se superpose à la règle.

QUIZ

Avant de poursuivre, amusons-nous un peu.

S’accorde ou ne s’accorde pas?

1. Les 100 000 hommes que nous a coûté la défaite.

2. Les chaleurs qu’il a fait.

3. Elle songea aux années qu’elle avait vécu ensuite.

4. Les efforts que ce travail m’a coûté.

5. Il m’a donné tous les renseignements que j’ai voulu.

6. Il l’a mis enceinte.

7. Cette innocence que j’ai qualifié de fonctionnelle.

8. Je les ai fait combattre.

9. Je les ai vu partir comme trois hirondelles.

10. Il avait vu les mitrailleuses braquées sur lui, les avait entendu tirer.

Réponses : 1. Oui; 2. Non; 3. Non; 4. Oui; 5. Non; 6. Oui; 7. Oui; 8. Non; 9. Oui; 10. Oui

Honnêtement, qui peut prétendre avoir réalisé un parcours parfait sans faire de recherche? Combien de fautes avez-vous commises (oui, ça s’accorde)?

  • L’accord du participe passé suivi d’un infinitif

Ce genre d’accord est une source infinie de questionnement. On accorde ou pas? Certes, l’Académie a éliminé en 1990 l’accord de laisser lorsqu’il est suivi d’un infinitif, mais cette correction demeure bien timide en regard de tous les autres cas de verbes qui font hésiter. 

La règle de base semble assez simple. Elle se lit comme suit :

Le participe passé avec avoir et suivi d’un infinitif (avec ou sans préposition) s’accorde avec le complément d’objet direct qui précède quand l’être ou l’objet désigné par ce complément font l’action exprimée par l’infinitif[3].

Exemples cités par Grevisse :

Je les ai vus partir comme trois hirondelles (Victor Hugo)

Je les ai entendus crier dans le jardin (Jean-Paul Sartre).

Des hommes que l’on avait envoyés combattre (Jean Dutourd).

Quand l’être ou l’objet désigné par ce complément font l’action exprimée par l’infinitif, le complément ne s’accorde plus.

Les airs que j’ai entendu jouer étaient joyeux.

Les comédies qu’on m’a empêché de jouer.

La matière que j’ai cherché à pétrir.

Cette règle, instaurée au XVIIIe siècle était déjà assez mal respectée à l’époque[4]. On comprend aisément pourquoi. De nos jours, même les personnes les plus ferrées en français hésitent. Suivre la règle implique une analyse serrée pour déterminer les cas où l’être ou l’objet désigné par le complément ne fait PAS l’action exprimée par l’infinitif.

Écoutons encore Grevisse :

1) Si l’infinitif a son propre objet direct, le pronom objet direct ne peut être rapporté à l’infinitif et le participe varie : Ces bûcherons, les ai VUS abattre des chênes; – 2) si l’agent de l’infinitif est ou peut être exprimé avec la préposition par, le pronom ne peut être rapporté au participe, et celui-ci est nécessairement invariable : Ces arbres, je les ai VU abattre (par le bûcheron)[5].

Reprenons notre souffle. Tout ceci est à peu près aussi clair que le boson de Higgs.

Maintenant, une question pour nous tous : est-il normal qu’une règle aussi fondamentale que l’accord du participe passé avec les verbes suivis d’un infinitif soit aussi obscure pour le commun des mortels? Autre question : pensez-vous vraiment que tous les rédacteurs vont plonger dans une grammaire de 1500 pages pour trouver la recette?

Bien sûr que non. On ne sera pas surpris de lire ce qui suit dans Le bon usage : « En tout cas, l’usage est hésitant et plus d’un auteur laisse le participe passé invariable dans tous les cas[6]. »

Exemples venant d’auteurs connus.

Lorsqu’elle eut retrouvé ses esprits, on l’avait entendu murmurer (Michel de Saint Pierre).

Il avait vu les mitrailleuses braquées sur lui, les avait entendu tirer (André Malraux).

Les contradictions qu’ils ont senti se dresser en eux ou devant eux (André Gide).

Cette lugubre place de Grève (…) pourrait être parée des têtes qu’elle a vu tomber (Victor Hugo).

On pourrait continuer longtemps. Qu’il suffise de constater que le participe fait suivi immédiatement d’un infinitif est déjà invariable. Exemple : « La secrétaire que j’ai fait embaucher. »

Bien entendu, on arrive toujours à trouver un mouton noir dans la littérature. Dixit Yves Navarre : « Une autre s’est faite engrosser [7]. »

Un peu de simplicité

L’Académie a proposé en 1990 d’étendre cette invariabilité de régime à laisser.

Elle s’est laissé mourir. Les enfants que nous avons laissé partir.

Le lecteur appréciera la grande simplicité de ces exemples. Finies les réflexions tortueuses pour savoir qui fait l’action. Autrement, il aurait fallu faire l’accord pour la première phrase.

Elle s’est laissée mourir – c’est elle qui accomplit l’action.

Les enfants que nous avons laissé partir – c’est nous qui avons laissé partir les enfants et non pas les enfants qui se sont laissés partir. Donc le complément direct n’est pas celui qui accomplit l’action.

D’ailleurs l’histoire du français a connu certains partisans de la simplicité, dont Claude Favre de Vaugelas, l’un des premiers membres de l’Académie française. Vaugelas, comme on l’appelle, prônait l’invariabilité d’avoir et d’être. Le texte suivant est de sa plume.

La Reyne la plus accomplie que nous eussions jamais veu seoir sur le Throsne des fleurs de lys.

Ma sœur est allé visiter ma mère.

On peut regretter que son opinion n’ait pas prédominé. Le français s’est encombré de complexités qui dépassent l’entendement. Qui voudrait sérieusement défendre la règle actuelle?

Contrairement à ce que l’on peut penser, les Européens ne sont pas tous murés dans un refus total et obstiné quant à une réforme des règles du français. En voici un bel exemple.

  • L’accord du participe passé vu autrement

Le Conseil international de la langue française[8] ainsi que l’Association pour une rationalisation de l’orthographe française[9] veulent réduire l’appareil grammatical au strict minimum.

Pour eux, le participe passé est un receveur de genre et de nombre. Les notions traditionnelles de genre ou de nombre sont abolies. L’optique est passablement différente, comme le résume le tableau suivant[10] :

Le Conseil propose trois règles; les voici avec l’exemple mangé :

    1. Les participes passés employés sans auxiliaire et les participes passés conjugués avec l’auxiliaire être s’accordent avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à la question « Qu’est-ce qui est (ou n’est pas) mangé? »  
  2. Les participes passés des verbes pronominaux pourront s’accorder avec le mot ou la suite de mots que l’on trouve à l’aide de la question « Qu’est-ce qui s’est ou ne s’est pas mangé? » augmentée des éventuels compléments du verbe.  
  3. Les participes passés conjugués avec le verbe avoir pourront s’écrire dans tous les cas au masculin singulier.  

Les exemples suivants permettent d’illustrer l’application de ces nouvelles règles.

1. Avec l’auxiliaire être

La pomme est mangée.

La lumière est éteinte.

2. Avec l’auxiliaire avoir

Ils ont mangé la pomme.

La pomme qu’ils ont mangé.

Les ennuis que ces paroles m’ont valu.

L’histoire qu’ils ont trouvé amusante.

Les musiciens qu’ils ont entendu jouer.

3. Les verbes pronominaux

Ils se sont parlés.

Elles se sont lavées les cheveux.

Les cheveux qu’elle s’est lavée.

Elles se sont ries de son air jovial.

Les spectacles qui se sont succédés.

Elle s’est dite que…

Les pavillons qu’ils se sont faits construire.

Cette approche a l’avantage d’être simple : on accorde avec être mais pas avec avoir, ce qui empêchera bien des interrogations existentielles dont les francophones ont le secret…

Qu’en pensez-vous?


[1]Maurice Grevisse, Le bon usage, p. 1219. C’est moi qui souligne.

[2] Ibid, p. 1221.

[3] Ibid.,p. 1224.

[4] Ibid. 1224.

[5] Ibid., p. 1225.

[6] Idem. C’est moi qui souligne.

[7] Cité par Grevisse, p. 1225.

[8] http://cilf.fr.

[9] http://erofa.free.fr.

[10] Bureau de la traduction, Les nouvelles tendances du français, atelier de formation, p. 45.

Les verbes pronominaux

Nous avons pu mesurer dans le précédent article toute l’absurdité des règles d’accord du participe passé avec avoir. Même l’Académie française avait envisagé au début du siècle dernier de tout simplement l’abolir.

Le simple fait que les Immortels aient envisagé pareille solution laisse croire qu’ils ne considéraient pas indispensable d’accorder le participe passé en question, si le complément d’objet direct est placé après le verbe.

Le français exprime toute sa complexité dans les règles d’accord des participes passés. On a encore l’impression que dans notre langue tout ce qui pourrait être simple finit nécessairement par être compliqué. Comble de malheur, une cohorte d’irréductibles s’opposent farouchement à toute modernisation du français, au fond, parce qu’ils ne peuvent concevoir que les autres souffrent comme ils ont souffert. Donc, tout changement à la langue française doit être combattu jusqu’à la dernière cartouche. Et on ne fait pas de prisonnier.

Simplifier le français serait un nivellement par le bas. Ce qui revient à dire que plus une langue est compliquée, plus elle a de la valeur. Par conséquent, l’espagnol et l’allemand, dont l’orthographe est presque entièrement phonétique seraient de qualité inférieure au français. Le coréen, qui s’écrit de manière entièrement phonétique n’aurait aucune valeur. Par contre, le finnois avec son cortège de déclinaisons, le russe qui en compte six, seraient supérieurs à notre langue. Et ne parlons même pas de l’anglais, ce sabir simplet à la grammaire étriquée.

Par conséquent, réformer les règles absurdes d’accord du participe passé est pure hérésie. Point barre.

Au risque d’en choquer beaucoup, j’inscris ma dissidence.

Aujourd’hui, les verbes pronominaux et l’accord avec être.

L’accord avec l’auxiliaire être

La règle est tellement simple qu’il est difficile de se tromper. On se demande pourquoi le français n’est pas toujours aussi simple.

Le participe passé employé sans auxiliaire ou avec l’auxiliaire être s’accorde comme un adjectif. Il s’accorde en genre et en nombre, soit avec le nom ou le pronom auxquels il sert d’épithète… Soit avec le complément d’objet direct s’il est attribut de ce complément[1]

Certains réformateurs voudraient tout simplement abolir cet accord. Ce serait une grave erreur. Contrairement aux langues germaniques – à commencer par l’anglais – le français donne des informations précieuses sur la personne qui subit l’action : s’agit-il d’un homme ou d’une femme? D’une ou de plusieurs personnes?

Imaginons que vous receviez une lettre de Camille Landry. Vous ignorez qui est cette personne et voudriez lui répondre. Embêtant : s’agit-il d’un homme ou d’une femme?

Heureusement, la dernière phrase de la missive contient un accord : « J’ai été très intéressée par votre conférence sur la simplification du français. »

Ce genre d’information serait indétectable en anglais ou en allemand, du moins pas de cette manière.

L’accord du participe passé avec être est par conséquent à maintenir, non seulement parce qu’il est simple, mais parce qu’il est utile.

Les verbes pronominaux

L’accord gouvernant les verbes pronominaux est l’un des raffinements sadomasochistes dont le français a le secret. Écoutons Pivot :

Le 12 janvier 2014, l’animateur au journal de 20 heures de France 2 Laurent Delahousse lui demande : « Si Dieu existe, qu’aimeriez-vous lui entendre dire quand il vous accueillera? » Et Pivot de répondre : « Bonjour Pivot. Vous allez pouvoir m’expliquer les règles d’accord du participe passé des verbes pronominaux. Je n’y ai jamais rien compris. »

Bernard Pivot est un érudit. Lui-même y perd son latin devant les règles alambiquées régissant l’accord des verbes pronominaux. Il n’est pas le seul. En effet, les règles en question sont l’un des éléments les plus déconcertants, pour ne pas dire aberrants, de la langue française.

  • Les règles en vigueur

Plutôt que de nous enliser dans une grammaire, faisons appel au Multidictionnaire de la langue française, dont les tableaux récapitulatifs font merveille.

L’auteure, Marie-Éva de Villers, divise les verbes pronominaux en cinq catégories[2] :

  1. Les verbes pronominaux réfléchis;
  2. Les verbes pronominaux non réfléchis;
  3. Les verbes essentiellement pronominaux;
  4. Les verbes pronominaux de sens passif;
  5. Les verbes pronominaux dont le participe passé est invariable.

C’est tout simple, comme on le voit.

1. Les verbes pronominaux réfléchis. Ils sont réfléchis quand leur action a pour objet le sujet du verbe.

Elle s’est parfumée

Ces verbes sont dits réciproques « lorsqu’ils marquent une action exercée par plusieurs sujets l’un sur l’autre, les uns sur les autres.

Martin et Jeanne se sont écoutés, ils se sont regardés.  

La règle : le participe passé des verbes pronominaux réfléchis s’accorde avec le complément direct qui précède le verbe.

2. Les verbes pronominaux non réfléchis

Ces verbes s’accompagnent d’un pronom qui n’est pas un complément direct. « Ce pronom est sans fonction logique.[3] » Parmi les verbes pronominaux non réfléchis, mentionnons :

S’apercevoir, se défier, se douter, s’ennuyer, se plaindre de, se prévaloir, se refuser, etc.

La règle : l’accord du participe passé se fait avec le sujet du verbe.

Les enfants se sont moqués du comédien. Ils se sont tus quand le spectacle a commencé.

3. Les verbes essentiellement pronominaux

Ces verbes n’existent qu’à la forme pronominale. Quelques exemples :

S’écrier, s’évanouir, se parjurer, se suicider, etc.

La règle : l’accord du participe passé se fait avec le sujet du verbe.

4. Les verbes pronominaux de sens passif

Ce sont des verbes employés à la voix passive où le sujet subit l’action, mais ne la fait pas.

Les pommes se mangent à la récréation.

Dans le cas qui nous occupe, le pronom se ne constitue pas le sujet, car les pommes elles-mêmes ne se mangent pas.

La règle : l’accord du participe passé se fait avec le sujet du verbe.

5. Les verbes pronominaux dont le participe passé est invariable

Ce sont les verbes les plus embêtants, car on serait tenté de les accorder.

Ils se sont succédé à la tête de l’entreprise.

Elles se sont parlé longuement.

En fait, ce dernier type de verbe constitue une entorse flagrante à la logique naturelle qui nous pousse à faire l’accord. Voyons quelques exemples :

Les deux avocats se sont menti.

Elle s’est rendu compte de son erreur.

Les membres de l’équipe se sont rencontrés hier et se sont parlé.

La règle : le participe passé est invariable.

  •  Des règles déroutantes

Nous avons cinq cas devant nous gouvernés par trois règles distinctes. Dans trois d’entre eux, l’accord se fait avec le sujet du verbe, un autre avec le complément direct et le dernier est invariable.

Le francophone est donc obligé de faire une analyse grammaticale serrée pour décider s’il accorde le participe passé. Il est clair que la plupart des gens sont réticents à se livrer à cet exercice et se fieront à leur logique. Or la logique est souvent absente de la grammaire française.

Malheureusement, tout au long des siècles, les grammairiens se sont ingéniés et obstinés à élaborer des règles absconses[4].

Voyons un peu les conséquences concrètes de ces règles que certains traditionnalistes présentent comme rationnelles.

  • Donner

Comment écririez-vous la phrase suivante?

            Elle s’est donné du mal.

Ou bien :

            Elle s’est donnée du mal.

Dans le cas présent, il faut une bonne dose de réflexion pour déterminer si le verbe s’accorde ou non. Vous n’êtes pas sûr? Et bien sachez que l’accord ne se fait pas ici, parce que c’est le mal qui a été donné.  

Pourtant, le verbe donner peut aussi s’accorder :

            Elle s’est entièrement donnée à son œuvre.

Ici c’est le sujet féminin qui se donne. Avouons que la nuance est assez subtile.

  • Se rencontrer et se plaire

Les verbes pronominaux réfléchis sont ceux qui écorchent le plus la logique parce qu’on s’attend à ce qu’ils soient tous accordés. Or ils ne le sont pas, comme nous l’avons vu. Ce qui donne ceci :

            Que d’hommes se sont craints, déplu, détestés, nui et haïs.

Elles se sont rencontrées et se sont plu.

Notre premier réflexe est de crier à l’erreur. Pourtant il n’y en a pas. Les hommes de la première ligne se sont déplu et succédé à eux. Complément d’objet indirect, donc pas d’accord.

Deuxième phrase : elles ont rencontré qui? Elles. Complément d’objet direct. Mais elles se sont plu à elles. Complément d’objet indirect, donc pas d’accord.

Comme cela arrive assez souvent en français, la logique grammaticale va à l’encontre de la logique naturelle. Ne serait-il pas temps que les deux concordent?

  • Se succéder et autres cas tordus

Le participe passé de certains verbes est invariable, nous en avons parlé. Nous devons donc mémoriser une série de verbes rentrant dans cette catégorie. Là encore, des surprises nous attendent.

            Les ennuis se sont succédés.

Pour le commun des mortels, l’accord fait dans la phrase précédente est non seulement correct, mais il va de soi. Pourtant, il faudrait écrire :

            Les ennuis se sont succédé.

Les ennuis se sont succédé à eux, donc complément d’objet indirect et pas d’accord.

Revenons sur cette fameuse règle, telle qu’expliquée par les grammairiens Berthier et Colignon.

La conjugaison pronominale avec l’auxiliaire être est soumise à la même règle d’accord que la conjugaison ordinaire avec l’auxiliaire avoir : le participe passé du verbe au temps composé s’accorde avec le complément direct s’il en est un qui soit placé avant le verbe, mais reste invariable en toute autre circonstance[5].

Quelques exemples retenus par les deux hommes.

La jeune femme s’est senti (et non sentie) la force…

Elle s’est rendu (et non rendue) compte de son erreur.

Les deux amies se sont tenu (et non tenue) la main.

(Mais) La main qu’elles se sont tenue (et non tenues).

L’excuse qu’elles se sont donnée (et non données).

Ils se sont vu remettre des formulaires.

  • Une ancienne règle écartée

Détail intéressant, le participe passé des verbes pronominaux conjugués avec être s’accordait presque toujours avec le sujet en ancien français; cet accord restait très fréquent au XVIIe siècle[6].

            Nous nous sommes rendus tant de preuves d’amour (Corneille).

            Ils se sont parlés (La Bruyère).

C’était évidemment beaucoup trop simple pour en rester là et les grammairiens des siècles suivants n’ont pas tardé à tout compliquer. Leurs élucubrations nous donnent maintenant des situations suivantes :

Elle s’est blessé le doigt – Où est le complément direct? Après le verbe, donc on n’accorde pas.

Elle s’est blessée au doigt – Le complément direct est avant le verbe. Elle s’est blessée elle. Donc on accorde.

Pour être malicieux, on pourrait ajouter : « Les doigts qu’elle s’est coupés. »

Déjà, il y aurait de quoi se couper la gorge… enfin presque. Mais comme nous l’avons vu dans d’autres cas, bien des auteurs semblent ignorer la règle ou ont tout bonnement décidé de ne pas la respecter. Et pas n’importe lesquels[7].

Toutes les tempêtes possibles se sont succédées très vite (Henri Troyat, membre de l’Académie française).

Les neuf juges s’étaient interdits de vérifier la conformité des lois françaises (Journal Le Monde).

Elle s’est commandée trois robes chez Lipton (André Giraudoux).

Elle s’est lavée les mains (Raymond Queneau).

Elle s’est mise tout le monde à dos (François Mauriac).

Les verbes assurer et persuader viennent ajouter à notre plaisir pervers. « Quand ces verbes ont la forme pronominale, nous dit Grevisse, il faut examiner si le pronom réfléchi est objet direct ou objet indirect [8]. »

Le francophone doit donc jongler avec des phrases comme :

            Nous nous sommes assuré des vivres pour six mois.

            Nous nous sommes assurés de cette nouvelle.

Ces distinctions subtiles finissent par épuiser.

  • Accorder tous les verbes pronominaux!

Comment ne pas être d’accord avec le grammairien Joseph Hanse qui proposait d’accorder tous les pronominaux conjugués avec être? Surtout quand on constate que des académiciens et de grands écrivains s’embrouillent, comme nous l’avons vu.

Bien entendu, on pourrait aussi décider de ne pas les accorder, ce qui donnerait des phrases comme celle qui suit :

            Elles se sont rencontré et se sont plu.

Ces accords javellisés mettent mal à l’aise. Personne ne s’étonnera de faire l’accord alors que son absence surprend.

Alors que diriez-vous si, pour notre santé mentale à tous, nous accordions tous les verbes pronominaux? Plus d’exception. Fini.

            Elles se sont rencontrées et se sont plues.

            Elle s’est donnée beaucoup de mal.

            Les ennuis se sont succédés.

            Elle s’est arrogée le droit de tout décider.

Ils se sont vus remettre un trophée.

            Ils se sont nuis.

            Ils se sont suffis à eux-mêmes.

            Elles s’en seraient voulues de négliger ce détail.

            Elles se sont ries de tous ces projets.

            Ils se sont complus dans le ridicule.  

Ce qui concorderait avec tous les autres cas où l’accord se fait.

            Ils se sont voulus rassurants

            Elles se sont dites satisfaites des réformes.

            Les membres du parti se sont réunis à huis clos.

Vous ne trouvez pas qu’on respire mieux?

Certains vont ruer dans les brancards. Qu’ils le fassent. La seule solution qu’ils offrent, c’est le statu quo, c’est-à-dire des règles compliquées que nous peinons tous à respecter. Y compris, je le répète, des érudits.

Prochain article : l’accord avec l’auxiliaire avoir


[1] Grevisse, Le bon usage, p. 1217

[2] Marie-Éva de Villers, Multidictionnaire de la langue française, pp. 1190-1191. Les exemples cités sont d’elle.

[3] Idem, p. 1190.

[4] Tout le monde a compris que les deux verbes sont accordés parce qu’ils sont essentiellement pronominaux. Quant à absconse, il s’agit bel et bien du féminin d’abscons.

[5] Cité par Nina Catach, Les délires de l’orthographe, p. 289.

[6] Grevisse, op. cit., p. 1227.

[7] Exemples cités par ibid., p. 1228.

[8] Ibid., p. 1229.