Dans un article paru dans Le Devoir en 2020, le journaliste Jean-François Nadeau décrivait la prolifération du tréma dans les raisons sociales au Québec et à l’étranger. Cette tendance vient, quant à moi, d’un mimétisme maladroit par rapport à certaines langues scandinaves, comme le suédois et le finnois. (Le danois et le norvégien n’utilisent pas le tréma.)
Le suédois et le finnois utilisent régulièrement le tréma pour infléchir la prononciation de certaines voyelles, bien que le finnois ne soit pas une langue germanique comme le suédois.
Toujours est-il que la Scandinavie est associée, à tort ou à raison, à un certain art de vivre, moderne, dépouillé et tout ce que vous voudrez, qui fait tendance, comme on dit. Insuffler un certain exotisme à des noms de marques est irrésistible. Voici quelques exemples que relevait Nadeau :
- NüBerri
- Le projet domiciliaire Fridöm
- Kabïnn
- Les appartements Blü
- Förena, une « cité thermale »
- La crème glacée Häagen-Dazs, un autre de ces faux noms danois, celui-ci patenté de toutes pièces par un Polonais du Bronx, et qui ne veut strictement rien dire, lui non plus, dans aucune langue.
- Iögo, votre yougourt.
- Motörhead
- Humör, votre slip à bas prix bien québécois de la maison Simons.
Le tréma dans les autres langues
Le tréma n’est pas l’apanage des langues scandinaves. On le voit en allemand comme en turc, aussi en hongrois, entre autres. Dans la langue de Goethe, par exemple, placer un tréma sur le o a une incidence : il se prononce eu et non plus o.
Le tréma n’est donc pas un accessoire décoratif sans effet, comme semblent le croire les agents de publicité. D’ailleurs la question de la prononciation se pose dans les marques précitées. Quelqu’un peut m’expliquer comment le tréma dans Häagen-Dazs doit être prononcé? Et le zs final? Doit-on dire Frideum quand on lit Fridöm? Et que peut bien signifier le ï dans Kabïnn? Vacuité? Insignifiance?
Le tréma en français
En français le tréma indique que la voyelle qui précède doit être prononcée séparément. Par exemple ambiguë.
Or l’Académie française a changé son fusil d’épaule et précise que le tréma doit être placé sur la voyelle qui doit être prononcée avec son timbre propre : aigüe, ambigüe, ambigüité, cigüe, exigüe, etc.
En outre, signale Joseph Hanse, « Elle a (…) décidé de mettre un tréma sur u dans certains mots pour lutter contre une prononciation défectueuse: argüer, gageüre, mangeüre, rougeüre, vergeüre. » Fort bien, mais bilinguisme a été laissé de côté. On devrait écrire bilingüisme.
Ai-je besoin de préciser que ces changements, pourtant très logiques, n’ont pas pénétré l’usage?
Qu’on le mette sur une voyelle ou sur une autre, le tréma a son utilité la plupart du temps. Dans certains cas, toutefois, son inutilité est flagrante, comme dans Noël. On pourrait lui emprunter son tréma et le transférer à arguer, que beaucoup d’érudits prononcent (logiquement) ar-gué, et non ar-gu-é. Le saviez-vous?
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André Racicot vient de faire paraître un ouvrage Plaidoyer pour une réforme du français. Ce livre accessible à tous est la somme de ses réflexions sur l’histoire et l’évolution de la langue française. L’auteur y met en lumière les trop nombreuses complexités inutiles du français, qui gagnerait à se simplifier sans pour autant devenir simplet. Un ouvrage stimulant et instructif qui vous surprendra.
On peut le commander sur le site LesLibraires.ca ou encore aux éditions Crescendo.
Bonjour
C’est très étrange, pour un germanophone, Noël :
en effet, la réforme de l’orthographe allemande avait, entre autres bannissements tel le eszett ß, remplacé les Umlaute ä, ö, ü par l’ajout, isophonétique, d’un e : ainsi für>fuer, hören>hoeren… c’est au moins resté pour former les URL, qui ne tolèrent rien qui n’existe pas en ricain dont évidemment le tréma (ex. https://www.initiative-hoeren.de)
Ainsi notre Noël ressemble-t-il à un mot teuton mal réformé, Nöl>Noël.
Tout cela est de peu d’importance face à la Cövid : espérons sa disparition pour Noël !
Merci de votre commentaire éclairant, comme d’habitude. Je ne savais pas que les Allemands voulaient abolir les Umlaute sur les voyelles. Was für eine Überaschung!
Le français a déjà fait une partie du travail puisque les ä, ö et ü ne sont pas répertoriés dans notre alphabet officiel : Göthe s’écrit généralement Goethe, mais Zürich a été francisé en… Zurich. Vu de France, c’est un peu le bazar…