Les tics langagiers au Québec

Les tics langagiers sont un phénomène normal; certains mots à la mode traversent le firmament langagier, telles des étoiles filantes et disparaissent dans l’espace intersidéral.

D’autres s’incrustent et relèvent de la faute de langue, faute amplifiée par les médias, les responsables des relations publiques et les divers rédacteurs, qui s’en font l’écho et lui donnent ses lettres de noblesse.

Voici quelques tics parmi les plus en vogue depuis quelques mois, sinon quelques années. Certains viennent de l’anglais.

De nos jours, il y a des communautés partout. L’Isle-Verte vit un drame et la communauté est en deuil. À Toronto, les frasques du maire Ford indisposent la communauté, tandis que la communauté médicale s’inquiète de l’apparition d’une nouvelle souche de virus de la grippe.

Ce sont plutôt les rédacteurs de tout acabit qui ont attrapé un virus. Le terme communauté est tellement galvaudé qu’on ne sait plus exactement quelle est la taille du regroupement qu’il désigne. Est-ce un village, comme L’Isle-Verte, ou bien une métropole, comme Toronto? Et même si les médecins peuvent être considérés comme une communauté, n’est-il pas plus simple de faire abstraction de ce mot?

De nos jours encore, bien des joueurs sont incontournables. Pour être clair, parlons tout d’abord des acteurs, transposition correcte du players anglais. Il s’agit de personnes dont on ne peut se passer, parce qu’elles sont indispensables. Et une personne est incontournable si elle a de l’impact.

Si vous trouvez les nouvelles déprimantes, amusez-vous à compter le nombre d’impacts mentionnés dans un bulletin de nouvelles, surtout s’il y a des entrevues en direct. Tout élément qui a des répercussions, des effets d’entraînement, des retombées, des conséquences… a un impact. Du moins dans la langue des médias, et aussi, de plus en plus, dans la langue populaire, hélas. Certains journalistes ne connaissent plus que ce mot…

Il serait bon de retourner à nos bons vieux dictionnaires pour constater qu’un impact est un choc violent; il ne peut être question d’une simple conséquence. Le mot est donc très souvent utilisé de manière abusive. Et tout mot galvaudé perd son effet.

Au chapitre du remplissage, quel terme plus efficace qu’actuellement? Chaque fois que vous êtes tenté de l’employer, demandez-vous si le sens de votre phrase serait altéré si vous le biffiez. La plupart du temps, ce ne serait pas le cas. Le service de police mène actuellement une enquête? Il mène une enquête, tout simplement. Ne brouillez pas inutilement les pistes. Vous n’êtes pas à la Commission Charbonneau.

Un des tics les plus agaçants est questionner. Vous questionnez quand vous posez des questions; si vous n’êtes pas d’accord avec la position de quelqu’un, vous la remettez en question. C’est souvent parce qu’on ne se pose pas assez de questions que l’on finit par tout questionner.

Un petit dernier, législation, qui n’en finit plus de faire des petits, de proliférer dans les chroniques, les reportages, le tout dans une confusion monstre. Un projet de loi est la traduction de l’anglais bill. Il est déposé au Parlement et, après trois votes à la Chambre, étude en comité et débat, il est adopté, pour obtenir la sanction royale. À partir de ce moment, il s’agit d’une loi, pas d’une législation.

Un ensemble de lois dans un domaine précis constitue une législation. Par exemple la législation du travail. Un projet de loi n’est pas une législation, une loi non plus. Le projet de charte des valeurs québécoises n’est pas une législation et n’en sera jamais une. S’il est adopté par l’Assemblée nationale, il deviendra une loi.

Étonnant de voir qu’autant de spécialistes au fait de l’actualité politique soient incapables de faire cette nuance.

3 réflexions sur « Les tics langagiers au Québec »

  1. Eh oui! Des attitudes autrefois discutables sont hélas devenues questionnables.

    À noter, par ailleurs, qu’en pratique, les termes législation et réglementation sont rarement employés stricto sensu. Le terme législation emporte généralement non seulement les lois, dans leur ensemble ou dans un domaine donné, mais aussi les règlements pris en application de ces lois. Il en va de même quand on parle de réglementation : ce terme intègre indirectement les lois en vertu desquelles sont pris les textes réglementaires (règlements, arrêtés, décrets). Ainsi, la législation sur le contrôle des armes à feu inclut les règlements pris en la matière, et inversement.
    Il est donc généralement redondant ou inutile d’écrire la législation et la réglementation.

  2. « Législation »

    En France du moins ce terme couvre les lois au sens large, c’est-à-dire aussi les règlements (ordonnances, décrets, arrêtés, circulaires, etc.) qui s’y rapportent. JR

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