Le premier ministre Trudeau a prononcé en septembre 2020 une soi-disant adresse à la nation. Dans un article précédent, nous avons vu que le terme adresse était mal employé et qu’il s’agissait en fait d’un discours aux Canadiens.
Le mot nation peut prêter à confusion, selon qu’il est employé en anglais ou en français. S’il est un terme qui peut avoir une incidence décisive sur la politique, c’est bien le concept de nation.
Pour les anglophones, une nation est le plus souvent perçue comme un pays, comme le précise le Merriam-Webster :
« A politically organized nationality; esp : one having independent existence in a nation state. » Le concept d’État-nation entre en jeu. Les États-nations sont des constructions politiques qui se sont multipliées au fil des siècles pour réunir des peuples de diverses origines sous le chapiteau d’un État.
Les exemples abondent. Le Royaume-Uni rassemble des Anglais, Écossais, Gallois et Irlandais du Nord, des peuples de souches différentes. La France elle-même est un assemblage de nationalités diverses: Bretons, Corses, Alsaciens, Picards, Francs-Comtois, etc.
Pour les anglophones, une nation est un pays, peu importe qu’il soit ethniquement uni ou diversifié. Donc, l’expression address to the nation est un discours au pays, un discours aux Canadiens.
Comme le faisait observer une de mes lectrices, l’expression adresse à la nation est parfaitement incompréhensible pour un francophone hors du Canada.
Une nation est-elle un pays?
En français, pas nécessairement. Reprenons la définition classique d’Ernest Renan. Il parle de « la possession en commun d’un riche legs de souvenirs » qui se traduit par « le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. »
Comme on le voit, Renan ne parle pas d’État-nation ici, donc de pays. Cela signifie-t-il qu’une nation n’est jamais un pays? Pas nécessairement.
La défaite de l’Empire napoléonien, en 1815, a amené les diverses puissances à se réunir au congrès de Vienne, ce que l’on a appelé plus tard le concert des nations. Cette expressions est restée. Pensons aussi aux Nations unies. Il est évident que dans ces deux cas, le terme nation est synonyme de pays.
Un discours à la nation?
Le discours du premier ministre Trudeau aurait pu, à la rigueur, être qualifié de discours à la nation. Toutefois, il faut être bien conscient qu’en français une nation n’est pas nécessairement un pays, ce qui peut créer une ambiguïté.
Des nations non souveraines
Des régions comme la Corse ou le pays de Galles peuvent être considérées comme des nations en français, si l’on se réfère à la définition de Renan et à bien d’autres mises de l’avant par divers auteurs.
Dans ce contexte, le Québec est lui aussi une nation.
C’est ce que le Parlement du Canada a reconnu le 28 novembre 2006. Les députés ont en effet approuvé la motion déposée par le premier ministre Harper qui se lisait comme suit : « Que cette Chambre reconnait que les Québécoises et les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni. »
Cette déclaration peut être interprétée de plusieurs façons, selon que l’on est anglophone ou francophone. Mais il est certain que bien des députés anglophones ont dû voter pour cette motion en se bouchant le nez, car, dans leur esprit, elle équivalait à reconnaître que le Québec était un pays.
Le Merriam-Webster définit nation comme une nationality. Il apporte toutefois la nuance suivante : « A politically organized nationality, esp. one having independent existence in a nation state. »
Voilà, le mot est lancé : État-nation. Le Collins précise : « … an individual country considered together with its social and political structure. »
Conclusion
Le français peut aussi considérer une nation comme un pays, mais c’est moins clair. Il faut donc employer ce terme avec prudence et être très conscient qu’il n’a pas tout à fait la même résonance en anglais.
Autre sujet de chronique potentiel : «C’est calquer l’anglais « reads as follows » que de dire, pour annoncer une citation textuelle, que tel texte [se lit comme suit], ce qui signifierait, notamment, qu’on doit le lire de telle ou telle façon, à voix haute ou à voix basse, et ainsi de suite. On dira mieux, selon les contextes, qu’un texte dispose, prévoit, pose, déclare ou dit, qu’il est ainsi rédigé, libellé qu’il est rédigé comme suit, ainsi qu’il suit ou en ces termes, qu’il est ainsi formulé, qu’il s’exprime en ces termes.» (Source : Juridictionnaire – btb.termiumplus.gc.ca/tpv2guides/guides/juridi/index-fra.html?lang=fra&lettr=indx_catlog_l&page=9XTI2YUAAAAA.html)