- Aspect linguistique
Pour la quatrième fois de leur histoire, les États-Unis viennent d’enclencher la procédure de destitution contre un de leurs présidents, couramment appelée impeachment. On voit tout de suite que le mot dérive du français empêchement.
L’impeachment fait partie du vocabulaire consacré aux États-Unis, mais le terme vient de la Grande-Bretagne. Il désignait la procédure par laquelle la Chambre des communes pouvait assigner un ministre à un procès. Cette procédure n’a pas été utilisée depuis 1805.
Au sud du Canada, l’impeachment désigne la procédure de mise en accusation du président, du vice-président ou d’un haut-fonctionnaire, et rien d’autre. Elle a été utilisée treize fois depuis 1787.
L’ennui, c’est que le terme est malmené dans l’usage populaire, tant en anglais qu’en français. Cette procédure peut déboucher sur la destitution de l’accusé, mais cela n’est pas garanti.
D’ailleurs, aucun président n’a été destitué, mais les présidents Andrew Johnson, Richard Nixon, Bill Clinton et maintenant Donald Trump ont fait l’objet d’un impeachment. En anglais, il est donc exact de dire, par exemple : «Bill Clinton was impeached, but not removed from office.»
En français, on dirait «Bill Clinton a été visé par une procédure de mise en accusation, mais n’a pas été destitué.»
En clair, l’impeachment n’est PAS la destitution : c’est un processus qui peut y conduire. Comment? Si la Chambre des représentants vote un bill of impeachment, soit un projet de loi visant la destitution. Ledit projet comporte des chefs d’accusation précis que le Sénat sera appelé à juger, comme le ferait un tribunal.
Le mot impeachment est-il essentiel en français? Certains diront oui, car il désigne une réalité typiquement américaine; d’autres plaideront en faveur de l’expression procédure de mise en accusation, certes plus longue, mais néanmoins très claire.
- 2. Aspect politique
Tout le processus de l’impeachment est d’abord et avant tout politique.
N’oublions pas que ce sont les membres de la Chambre des représentants qui ont la capacité de mettre en accusation le président. Toutefois, les représentants sont des politiciens et non des observateurs indépendants et impartiaux.
Les constituants américains, qui ont révisé la Constitution, en 1787, ont cru que les élus sauraient mettre de côté leurs intérêts partisans, mais ils se sont trompés. Il faut dire qu’à l’époque les partis politiques, tels qu’on les connait aujourd’hui n’existaient pas. Le contexte était très différent.
Une fois adopté, le projet de loi visant la destitution est transmis à d’autres politiciens, les sénateurs. Ces derniers se transforment en juristes et instruisent le procès du président. Les mêmes réflexes partisans risquent de jouer.
La majorité des deux tiers est requise pour l’un ou l’autre des chefs d’accusation pour que le président soit destitué.
Autrement dit, il faudrait que des sénateurs républicains se rallient aux démocrates pour qu’un bill of impeachement aboutisse à la destitution. Là encore, il y a loin de la coupe aux lèvres pour qu’un tel revirement survienne, à moins de s’imaginer que les politiciens actuels, à couteaux tirés, s’émancipent soudain de toute considération partisane et ne voient que l’intérêt supérieur de la République. On peut rêver.
D’ailleurs, les trois cas précédents de mise en accusation d’un président démontrent amplement que la procédure de destitution est avant tout politique.
1. Après la Guerre de Sécession, le président Andrew Johnson s’oppose entre autres à la reconnaissance des Afro-Américains comme citoyens des États-Unis. Il fait obstacle à la réconciliation entre le Nord et le Sud. Il est visé par une mesure de destitution qui échoue par un vote.
2. Le président Clinton est accusé par les représentants d’avoir menti et entravé la justice dans une affaire de mœurs. Le fait d’avoir succombé aux avances de Monica Lewinsky est-il un motif sérieux de destitution ? Ou bien est-ce la haine féroce que les conservateurs américains vouent à Clinton, un libéral et un libertin?
3. Le président Nixon est embourbé dans l’affaire du Watergate. Il est clair que la Maison-Blanche était à l’origine du cambriolage commis dans le célèbre immeuble. Bref, Nixon n’avait aucune chance et il allait vers la destitution. Quand il a vu que la Chambre des représentants allait le mettre en accusation, il a préféré démissionner. Surtout qu’il ne pouvait plus rien attendre de ses alliés politiques.
Tout cela pour dire que la procédure de destitution a toujours été une arme politique et non pas une manière objective de déterminer si un président doit continuer de gouverner.
Il ne fait aucun doute que l’impeachment de Donald Trump se fera à l’aune des intérêts partisans, et non du respect de l’esprit et de la lettre de la Constitution.
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En fait on dit en anglais « impeached but not removed from office » et non pas « impeached but not destituted »
Merci de cette précision.
En vue d’une éventuelle destitution (removal from office), la Chambre des représentants se transforme en jury d’accusation (grand jury) pour adopter des accusations formelles (articles of impeachment). Si adoptée, ces accusations sont transmis au Sénat, qui, sous la présidence du juge en chef de la Cour suprême, se transformé en haute cour de justice sans appel qui a le pouvoir absolue de destituer le président. Le document qui contient les accusations (articles of impeachment) voté par la Chambre des représentants n’est pas un projet de loi (bill) (qui serait sujet également l’approbation du Sénat et au veto du président). Ce document extraordinaire oblige le Sénat à juger le président. Il faut un vote à la majorité des deux tiers des sénateurs présents pour destituer le président.
Dans cette discussion de la traduction de impeachment, il me paraît fort intéressant le fait que, comme souligne l’auteur, ce mot vient du français empêchement. L’anglais l ‘aurait emprunté, comme on dit, au français. Et bien, l’heure est peut-être venue de nous le rendre, l’emprunt. Pourquoi pas utiliser le mot impeachment qu’utilisent beaucoup de médias européens ? Est-ce que c’est vraiment un anglicisme ?
Je suis en partie d’accord. Il y a certes de bonnes raisons d’employer impeachment, une procédure britanno-américaine distincte. Toutefois, il ne faut pas oublier qu’environ les deux tiers du vocabulaire anglais vient du français, à cause de la Conquête normande. L’anglais est la langue germanique la plus francisée, du hollandais brodé de français, comme je l’ai lu quelque part. Il y a donc pas mal de mots anglais qui viennent de notre langue et ce n’est pas une raison pour les employer en français, d’autant plus que très souvent le sens s’est infléchi au fil des siècles.
Juste un petit mot pour faire remarquer qu’à mon avis les sénateurs ne se transforment pas en juristes pour juger le président. Tant s’en faut! Ils se transforment plutôt en jury pour écouter les avocats avant de prendre une décision. Les membres d’un jury ne sont pas des juristes.
Cette question de la traduction ou non-traduction de impeachment est intéressante parce qu’elle soulève un plus vaste problème de la description de réalités politiques, sociales et culturelles états-uniennes en français. Par exemple, il faut se rappeler que le président Nixon n’a jamais été mis en accusation (impeached). Il y a eu une enquête de la part d’un comité (Judiciary committee) qui a recommandé trois chefs d’accusation (articles of impeachment) à la fin de juillet 1974. Face à ces ménaces et avant que la Chambre des représentants ne vote les chefs d’accusation, Nixon a préféré démissionner le 9 août 1974.
La traduction de impeachment par processus de destitution est imprécise, comme ç’a déjà été dit maintes fois. L’impeachment n’est pas la destitution. Il y a trois phases distinctes qu’il ne faut pas confondre. Primo, l’enquête ou l’impeachment inquiry que nous voyons se dérouler en ce moment sous la direction de trois comités. Deuzio, l’adoption des chefs d’accusation ou articles of impeachment. Et tertio, le procès d’impeachment proprement dit au sénat, qui pourrait conduire à la destitution (removal from office) du président s’il y a lieu.