Une fois mais n’est pas coutume. Mais comment résister à l’envie de publier dans ce blogue cette lettre adressée au Devoir, le 29 janvier, par une lectrice, Éliane Cantin? Une lettre où il est question de l’apprentissage des langues, de la fierté des Espagnols et du délabrement du français au Québec. La voici :
En 2019, je suis partie vivre en Espagne pendant un an. J’avais la ferme intention d’améliorer mon espagnol et d’atteindre un niveau avancé. J’ai économisé, demandé une année sabbatique, fait mes valises, et ai réservé un vol sans retour Montréal-Madrid. J’ai saisi toutes les occasions pour m’améliorer ; j’ai vécu dans une colocation où l’on ne parlait qu’espagnol, suivi 20 heures de cours par semaine et évité de parler anglais ou français autant que possible.
J’étais fascinée par l’aisance avec laquelle parlaient les Espagnols. Jalouse même. Ils n’avaient pas à réfléchir aux règles de grammaire que je révisais tous les soirs, ils les avaient intégrées inconsciemment dès leur enfance. Ils avaient le génie de leur langue.
Ce qui m’a fait réfléchir au génie de ma propre langue, le français. Quelle chance j’avais d’être née dans un environnement francophone. Le français est une langue incroyablement riche, belle et subtile et je n’ai pas à réfléchir à ses règles ; elles vivent en moi, font partie de moi.
À mon retour au Québec un an plus tard, j’ai été happée par le mauvais traitement qu’on réservait à notre langue, et par extension à notre capacité à formuler des idées claires et structurées. Il faut croire que j’avais oublié les « Le gars que je suis allé avec », « Ça l’a rien donné », « La chose que je te parlais ». Oublié aussi le sort que réservaient au français trop de gens de ma génération qui ne semblent plus être en mesure de formuler une phrase sans emprunter à l’anglais sa syntaxe et son vocabulaire et qui en ont l’air, qui plus est, fiers.
Notre accent est beau et nous devons le célébrer. Mais un accent ne fait pas une langue. Si nous voulons bâtir une société intellectuellement prête à affronter les défis de demain, nous avons la responsabilité d’entretenir ce système de communication qui nous a été offert et grâce auquel nous voyons et exprimons le monde qui nous entoure de façon riche et distincte.
Je suis du même avis que cette dame. J’ai vécu moi aussi la même expérience. Deux séjours de plusieurs mois en Espagne, dont un dans une famille unilingue. J’ai eu la même impression. Les Espagnols s’expriment avec aisance.
La facilité d’apprendre le castillan à l’écrit n’explique pas tout. Je crois que, contrairement au français au Canada, leur langue ne subit pas autant de pressions de la part d’une langue étrangère.
Bref, le français de mon enfance que nous parlions nous aussi avec aisance, a fait place au franglais. J’en veux à preuve des propos récents d’une cousine unilingue francophone : « Oh my God, je regarde pour une job ». Stupéfaction totale. Avec le recul, je crois qu’il s’agit de l’influence de la télévision. La seule explication.
On entend aussi des propos insensés comme « Fermont, la plus grande mine à l’est du Canada ». Cette mine serait située dans l’océan Atlantique ou en Islande? « Preuve de paiement requis sur l’autobus »?? Quelle tristesse. Nostalgie.