Délivrer

Traductrices et traducteurs, soyons délivrés de… délivrer.

Non qu’il s’agisse d’un mal absolu, mais ce dangereux faux ami continue de faire des ravages.

Observons deux anglicismes populaires : délivrer un discours, délivrer un message.

Toute personne maîtrisant un tant soit peu le français a le réflexe de chercher les bonnes cooccurrences. Que fait-on avec un discours? On le prononce, on l’adresse; à tout le moins, on le fait.

Peut-on livrer un discours? Il semble bien que non. Cette expression ne figure pas dans le Dictionnaire des cooccurrences de Beauchemin pas plus d’ailleurs que dans le Trésor de la langue française.

Quant au message, on le communique, on le transmet ou on le lit, etc.

Le sens anglais de deliver offre de belles possibilités de calques, à commencer par une épicerie qui délivre… La ressemblance entre délivrer et livrer nous joue de mauvais tours.

Une brève consultation du Guide anglais français de la traduction, de René Meertens, est éclairante. Le premier sens donné à deliver est libérer, délivrer, ce qui correspond au sens français de tirer de sa captivité. Mais très vite, on s’écarte du français. Pour des marchandises, on dit livrer; le courrier et les journaux sont distribués; un message est acheminé; des services sont offerts, fournis.

L’expression anglaise deliver the goods est un bel appât pour tous les francophones anglicisants. Combien de fois entend-on un peu partout livrer la marchandise? Calque grossier, énorme qui traduit aussi bien un asservissement à l’anglais qu’une certaine ignorance du français.

Certains malicieux objecteront que l’auguste Paul Claudel a bel et bien utilisé l’expression : « Les circonstances m’ayant introduit dans le métier diplomatique, j’ai considéré que l’honnêteté m’obligeait, comme disent les Américains, à « délivrer la marchandise », à donner le principal de mes forces au patron. »

Le futur Immortel a tout simplement commis une bourde de traduction qu’il a eu la sagesse de mettre entre guillemets. D’ailleurs, il se corrige tout de suite, flairant l’anglicisme.

Une personne tiendra ses promesses, respectera sa parole. Bref, comme le signale Luc Labelle dans son merveilleux ouvrage Les mots pour le traduire, elle a été à la hauteur des attentes.

 

 

4 réflexions sur « Délivrer »

  1. Cela dit, employer livrer au lieu de délivrer ne suffit pas si on continue de penser en anglais : 🙂
    « Nos ministres sont en train de livrer sur la plateforme ce sur quoi les Canadiens nous ont demandé de livrer » — Justin Trudeau, le 16 janvier 2018

  2. Bonjour,
    Dans le paragraphe ci-dessous, ne vouliez-vous pas écrire « délivrer la marchandise » ? (« Livrer la marchandise » est correct.)

    « L’expression anglaise deliver the goods est un bel appât pour tous les francophones anglicisants. Combien de fois entend-on un peu partout livrer la marchandise? Calque grossier, énorme qui traduit aussi bien un asservissement à l’anglais qu’une certaine ignorance du français. »

    Cordialement.

    1. Livrer la marchandise est un calque de l’anglais, condamné dans le Multidictionnaire et le Colpron, ainsi que dans les Clefs du français pratique. Remplir ses engagements est une traduction possible de « deliver the goods ».

      1. Bonjour

        Herlin a raison : comme vous l’écrivez cinq lignes plus haut, « Pour des marchandises, on dit livrer »

        C’est DElivrer, avec le -dé- en plus, qui est l’affreux calque, comme dans l’usage coupable de Claudel : « …comme disent les Américains, à « délivrer la marchandise » »

        Ou alors, c’est que à la fois délivrer et livrer sont proscrits pour des marchandises, mais alors il faudra nous expliquer ce qu’il reste comme usage au verbe livrer : qu’a-t-on le droit de livrer, au juste ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *