Le journal le plus vendu au monde est le Yomiuri Shimbun de Tokyo, dont le tirage atteint les dix millions d’exemplaires. Ou peut-être eût-il fallu dire copies?
On entend souvent ce mot, pour parler du nombre d’exemplaires auquel un roman a été imprimé. Par exemple, le premier roman de la journaliste Rima Elkouri a été imprimé à 5000 exemplaires.
Pour un magazine, on parlera d’un numéro vendu dans les kiosques. S’il est vendu, on dira qu’il n’en reste plus d’exemplaire et non de copie.
La confusion entre exemplaire et copie s’explique facilement, la copie étant la reproduction d’une œuvre ou d’un écrit.
Copie de la lettre a été envoyée au siège social.
La copie du film est maintenant aux Archives nationales.
La copie de ce Van Gogh a été vendue la semaine dernière.
Dans le cas des tableaux, une copie est un faux dans la mesure où l’on essaie de la faire passer pour l’original. Bien des amateurs d’art achètent des copies des grandes œuvres, n’ayant pas les moyens d’acquérir les originaux.
Pourtant, on parle bel et bien d’exemplaires lorsqu’il est question d’un journal, d’un magazine ou d’un livre. Le Petit Robert est formel à ce sujet. Un exemplaire est un objet reproduit en série, précise la Banque de dépannage linguistique.
Exemplaire d’un journal, d’une revue. Achetez deux exemplaires de ce numéro. Exemplaire unique. Exemplaire numéroté.
Au Canada, les sources s’entendent pour dénoncer copie. Le Multidictionnaire, Le dictionnaire des anglicismes aussi bien que la Banque de dépannage linguistique le condamnent pour un journal ou un magazine.
Il est clair que pris dans le sens d’exemplaire, copie est un anglicisme.
Je suis tout à fait d’accord. S’agissant de livres, de journaux, de revues et de disques, la tradition veut qu’on parle du nombre d’exemplaires vendus et non de copies. Très bien, mais qu’en est-il de l’usage contemporain?
À cet égard, il n’est pas inintéressant de rappeler que Gérard Dagenais avait abordé le sujet dans son chef d’œuvre, Dictionnaire des difficultés de la langue française au Canada, publié en 1967. Ne voilà-t-il pas que plus de cinquante ans plus tard, on fait exactement les mêmes constatations : il y a des gens y compris nos meilleurs journalistes et médias de communications qui utilisent copie au lieu d’exemplaire.
Dans un texte particulièrement limpide dont je recommande la lecture, Dagenais a mis le doigt sur le problème. Je le cite :
«On pouvait naguère indiquer de la façon suivante la différence entre copie et exemplaire afin de désigner correctement une reproduction d’un écrit : une copie est une reproduction par l’écriture à la main ou à la machine à écrire ou obtenue par un procédé de polycopie et un exemplaire est une reproduction obtenue par l’imprimerie. C’était simple et cela ne ne prêtait à aucune confusion…»
Dagenais explique ensuite que la distinction est devenue plus difficile à faire avec le développement des nouvelles technologies de reproduction mais qu’il fallait toujours parler d’exemplaires de journaux, de livres, etc.
Ça c’était en 1967 ! La nouvelle technologie était la photocopie ! Aujourd’hui, à l’ère du tout numérique, si le terme exemplaire garde son sens originel, on voit se multiplier des œuvres ou produits dématérialisés sous forme de copies numériques. Il n’y a pas à s’étonner de voir se généraliser l’usage du mot copie en parlant de jeux vidéos, musique téléchargée – la musique vendue par streaming est tout un thème en soi – livres numériques, etc.
Le journal québécois La presse ne s’imprime plus ; il n’existe que sur Internet. Il n’y a plus d’exemplaires. Il n’y a peut-être pas de copies non plus. Tout au plus il y a des abonnés et des lecteurs.
Toute cette évolution me fait croire que l’usage du mot copie en français est en train d’évoluer vers un rapprochement avec son homologue anglais. La preuve en est que 52 ans après Gérard Dagenais, on en parle dans les mêmes termes. C’est probablement le signe que le combat contre l’anglicisme est perdu.