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Faut-il réformer la grammaire française?

Soyons clair d’entrée de jeu : il faut réformer la grammaire française. Le français possède une l’une des grammaires les plus arbitraires qui rebute les francophones et décourage les étrangers. Cette constatation n’est pas nouvelle.

Du côté des étrangers, on dénonce souvent la pléthore de conjugaisons irrégulières, pire à mon avis que celles de l’italien et de l’espagnol. Le subjonctif, absent de l’anglais et de l’allemand, est une autre source de difficulté. Mais, soyons réalistes, il est bien difficile d’envisager une réforme de ces deux éléments, car la façon de parler serait radicalement changée.

Le subjonctif permet de nuancer le discours français en soulignant des éléments qui relèvent de l’hypothèse, du doute, de la crainte. Le supprimer serait une perte.

De plus, toutes les langues ont leurs îlots de difficulté. À moins de vouloir transformer le français en copie de l’espéranto, il faut se limiter à des domaines où il est possible d’intervenir.

L’accord du participe passé

La palme (académique…) de complexité des règles revient à celle de l’accord du participe passé.

Il suffit, pour s’en convaincre, de consulter grammaires et ouvrages de difficulté de la langue, dans lesquels abondent les règles, leurs exceptions, les exemples et contre-exemples, les tableaux récapitulatifs, etc. Le simple mortel y perd son latin. Dès qu’il prend la plume, un doute le saisit.

Ces règles sont passablement complexes et même ceux qui maîtrisent le français finissent un jour ou l’autre par s’empêtrer. Pourtant, le simple fait d’évoquer une réforme possible de la grammaire française suscite une opposition farouche. Le journaliste et grammairien André Thérive (1891-1967) a bien résumé le problème :

Hélas! Quand on touche au vieil accord des participes passés, on se fait aussitôt accuser de sacrilège grammatical… Ainsi donc on pourrait soutenir que l’accord du participe ne sert à rien, ne plaît à personne et gêne tout le monde.

L’hostilité devant une simplification possible des règles étonne. Il y a du côté européen une soif d’anglais qui entraîne un saccage de plus en plus marqué du vocabulaire. Par contre, les mêmes personnes qui insistent pour utiliser le hideux email au lieu de courriel, un mot français, s’opposent farouchement à toute velléité de modernisation grammaticale et orthographique du français. Cet illogisme ne cesse d’étonner les francophones du Canada.

Peu de gens le savent, mais l’Académie française a proposé, il y a un siècle, d’abolir l’accord du participe passé. Comme on le voit, cette suggestion n’a pas été suivie. Certains font valoir que tout le génie analytique du français réside justement dans les règles d’accord, et que les abolir amoindrirait considérablement le français. Ce raisonnement se défend, certes, mais à quel prix pour les rédacteurs et locuteurs?

L’abolir nuirait-il tant que cela à la logique du français? On pourrait en discuter longtemps, mais il convient de noter que de telles règles n’existent tout simplement pas dans l’immense majorité des langues de la planète. Je suis convaincu que les locuteurs de l’hindi ou du chinois n’en souffrent pas…

Réformer les règles d’accord du participe passé ne changerait pas beaucoup le discours, contrairement à ce qui se produirait avec le subjonctif ou la conjugaison des verbes. En effet, la grande majorité des accords ne s’entendent pas à l’oral; et la façon de parler ne serait pas altérée. À cela on pourrait ajouter que ces accords n’ont pas vraiment une grande utilité. Omettre un accord n’entraîne à peu près jamais de problème de compréhension.

Mais pour beaucoup, la simple idée de réformer l’accord du participe passé — sans nécessairement l’abolir — est une hérésie. Pourtant, l’accord du participe est facultatif en italien et rarement appliqué dans la langue parlée. L’italien est-il devenu pour autant une langue dégénérée?

D’ailleurs, les règles à ce sujet ont déjà évolué… un tout petit peu. En effet, l’accord du participe passé de laisser suivi d’un infinitif est maintenant invariable. La réforme de 1990 comportait un timide volet grammatical qui a échappé à la majorité des gens, trop préoccupés par la graphie de nénufar…

Les verbes pronominaux

Les règles byzantines régissant l’accord (ou non) des verbes pronominaux découragent les inconditionnels de la grammaire française. Beaucoup de ceux qui s’opposent à toute réforme grammaticale seraient sûrement disposés à changer leur fusil d’épaule pour les verbes pronominaux.

Le Multidictionnaire de la langue française classe ces verbes de la manière suivante : 1) Les verbes pronominaux réfléchis; 2) Les verbes pronominaux non réfléchis; 3) Les verbes essentiellement pronominaux; 4) Les verbes pronominaux de sens passif; 5) Les verbes pronominaux dont le participe passé est invariable. Il va sans dire que les verbes de chacune de ces catégories comportent des règles d’accord précises.

Le rédacteur doit donc prendre une pause pour réfléchir et se livrer à une petite analyse grammaticale pour classer son verbe; ensuite, il doit connaître la règle qui s’applique à son type de verbe; éventuellement, il devra consulter un ouvrage pour s’assurer qu’il applique la bonne règle. Beaucoup de travail pour un simple verbe.

L’application rigoureuse de ces règles donne les exemples suivants, apparemment contradictoires :

Elle s’est coupée. MAIS Elle s’est coupé le doigt.

Les pouvoirs qu’elle s’est arrogés. MAIS Elle s’est arrogé des pouvoirs.

Ils se sont parlé. MAIS Ils se sont salués.

Ils se sont fait déjouer par un filou. MAIS Ils se sont faits vieux.

Elle s’est donnée à lui. MAIS Elle s’est donné du mal.

Je dis bien apparemment contradictoire, car une logique grammaticale se cache derrière ces exemples. Mais, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle est quelque peu impénétrable. Bien entendu, ceux qui maîtrisent ces règles diront que les autres n’ont qu’à faire comme eux et de les apprendre, mais c’est justement le problème. La grande majorité des locuteurs du français ne les apprendront pas et feront des fautes de grammaire, et ce, pour deux bonnes raisons : 1) Ils n’arrivent pas à mémoriser ces règles byzantines et n’ont pas le temps de vérifier à gauche et à droite; 2) Ils ont abandonné la partie.

L’imposition de ce genre de règles tatillonnes nuit au rayonnement du français. L’abolition de l’accord pour tous les verbes pronominaux ne compromettrait nullement la valeur analytique de notre langue, souvent bien plus précise que l’anglais. Est-ce qu’une phrase comme Elle s’est dit satisfaite est vraiment plus choquante que Elle s’est dite satisfaite?

Il est plus que temps de cesser d’accorder les verbes pronominaux. Nos descendants se demanderont comment les règles qui le régissaient ont pu survivre aussi longtemps.

Les adjectifs de couleur

Il n’y  pas que l’accord des verbes qui gagnerait à être simplifié. Un exemple parmi tant d’autres est celui des adjectifs de couleur.

Selon les règles actuelles, les adjectifs de couleur ainsi que ceux dérivant de tels adjectifs s’accordent. Les adjectifs composés sont invariables, de même que les adjectifs formés à partir d’un substantif.

Ce qui donne ceci :

Des robes mauves. MAIS Des robes orange.

Des teintures rouges. MAIS Des teintures framboise.

Des autos vertes. MAIS Des autos vert olive.

La logique du français serait-elle définitivement anéantie, si tous les adjectifs de couleur étaient accordés?

Des yeux gris aciers, des tuniques safrans.

Conclusion

Le français a évolué au fil des siècles et il n’y a aucune raison pour qu’il cesse d’en être ainsi. L’italien et l’espagnol ont à la fois simplifié leur grammaire et leur orthographe et ne s’en portent pas plus mal. Pourquoi pas notre langue?

 

Légende urbaine

J’ai déjà lu dans un journal que les disques compacts allaient s’effacer spontanément au bout de dix ans… Les miens semblent en avoir décidé autrement, puisque mes collections de Beethoven et de Mozart, achetées il y a une vingtaine d’années, continuent de m’enchanter… comme la flûte de Mozart, justement.

Ce genre de rumeur, parfois présentée comme un fait véridique, et véhiculée dans les médias sociaux ou traditionnels, s’appelle une légende urbaine. Le terme vient de l’anglais, bien entendu, mais est-ce une raison valable de le rejeter? Pas nécessairement, car certains emprunts enrichissent la langue, parce qu’ils ne remplacent pas un mot ou une expression consacrée. C’est le cas de légende urbaine.

J’ai lu dans un roman une traduction intéressante de urban legend : mythe urbain. Voilà qui est intéressant.

Mais ceux qui tiennent à l’écarter à tout prix proposent des solutions bancales, qui s’écartent du sens véritable de l’expression. Certains proposent légende, un récit populaire traditionnel ou encore une représentation déformée de la réalité. C’est le mot qui se rapproche le plus d’une légende urbaine, sans en avoir tout à fait le sens.

D’autres suggèrent de dire affabulation. Mais, selon le Petit Robert, il s’agit plutôt d’un « arrangement de faits constituant la trame d’un roman, d’une œuvre d’imagination ». Là encore, ça ne colle pas.

Une rumeur, alors? Un bruit qui court, sans que l’on puisse en attester la véracité. Peut-être, pourquoi pas?

De fait, bien des mots français « traditionnels » pourraient être substitués à l’expression. Pensons à fable, un récit à base d’imagination, une anecdote ou une allégation mensongère; pensons aussi à conte une histoire invraisemblable ou mensongère.

L’ennui, c’est que l’expression légende urbaine s’est solidement implantée dans l’usage et que dictionnaires et sites linguistiques en sont venus à la consigner telle quelle. Difficile de revenir en arrière.

L’expression a fait son entrée dans le Robert et le Larousse; le Robert-Collins traduisait déjà urban legend par légende urbaine. Enfin, l’expression obtient ses lettres de noblesse dans la Banque de dépannage linguistique de l’Office québécois de la langue française :

Histoire étrange et spectaculaire, apparemment véridique, souvent inspirée d’un fait divers, qui fait le tour du monde, circulant par bouche à oreille, par courriel ou via Internet, qui est racontée de bonne foi par des gens sincères, déformée ou amplifiée par chaque narrateur, mais qui, la plupart du temps, se révèle totalement fausse.

Ce n’est donc pas une légende urbaine de dire qu’elle est maintenant largement acceptée.

Le bout du tunnel

L’anglais et le français se sont mutuellement influencés, tant dans leur vocabulaire que dans leurs expressions. Parfois, une chatte aurait du mal à y retrouver ses petits.

Les emprunts à l’anglais pour des expressions courantes sont d’autant plus insidieux qu’ils revêtent leurs plus beaux atours, soit des mots tout ce qu’il y a de plus français.

Ainsi, lorsque vous êtes découragés, vous lancez la serviette. On y imagine facilement le geste; pourtant, en français, on jettel’éponge, allez savoir pourquoi. Mais il ne faut jamais abandonner et plutôt mettre l’épaule à la roue. Deuxième prise. En clair, on veut s’atteler à la tâche, mettre la main à la pâte. On pourra à la rigueur pousser à la roue, ce qui signifie aider quelqu’un à réussir, faire évoluer un processus.

Si nos efforts sont couronnés de succès, on pourra dire qu’on voit la lumière au bout du tunnel. L’anglais est une langue descriptive, ne l’oublions pas, et il énonce parfois des évidences. Pensons à ces boutons d’ascenseur Press for alarm; un bouton, c’est fait pour peser, non? Revenons à notre tunnel : qu’est-ce qu’on voit au bout d’un tunnel, sinon la lumière? Donc, voir le bout du tunnel suffit amplement en français.

Nous voyons défiler à la Commission Charbonneau de paisibles citoyens qui prennent un café et jouent aux cartes avec les deniers publics. Parfois, le chat sort du sac, expression savoureuse, s’il en est. Le français se veut plus abstrait que l’anglais : la vérité apparaît, on connaît le fin mot de l’histoire.

Nos paisibles citoyens ajoutent l’insulte à l’injure en tentant de nous faire prendre des vessies pour des lanternes (autre expression imagée, mais bien française, celle-là). Disons tout simplement qu’ils vont trop loin, dépassent la mesure. Dans certains cas, on peut aussi dire comble de tout.

Il faudrait bien prendre le taureau par les cornes. Encore de l’anglais? Pas vraiment, car les deux langues tiennent parfois le même discours. Donc, vérifier dans un dictionnaire bilingue avant de proclamer l’anglicisme et de verser de l’huile sur le feu (add fuel to the flames).

Tout ce qui vient de l’anglais n’est pas nécessairement à rejeter, je tiens à le préciser. Il faut manifester assez d’ouverture pour donner le feu vert aux expressions qui viennent enrichir notre langue. La plus savoureuse est incontestablement ce n’est pas ma tasse de thé, dont le cachet britannique est irrésistible.

Pendant et durant

Ces deux prépositions illustrent comment le français peut évoluer.

À proprement parler, durant signifie pendant toute la durée d’un évènement.

Il a dormi durant  le spectacle. En clair, il a dormi tout le spectacle durant, d’un bout à l’autre du spectacle. Mais, en général, ce n’est pas ce que l’on comprend. Notre homme peut avoir dormi quinze minutes, et c’est tout. 

Pendant, par ailleurs, a plutôt le sens de au cours de.

Il a dormi pendant le spectacle veut dire qu’il a dormi pendant le premier acte, par exemple. Pendant peut aussi marquer la simultanéité.

Pendant qu’il travaillait dans le garage, elle plantait des fleurs.

Les ouvrages de langue ne font généralement plus la nuance entre pendant et durant, comme c’est d’ailleurs le cas dans l’usage.

Les mots orphelins

Le français n’en n’est pas à une contradiction près. Il existe bon nombre de verbes auxquels le substantif qu’on serait porté à lui associer n’a pas le même sens.

Dans un article précédent, nous avons vu qu’un accommodement peut être un arrangement à l’amiable, mais qu’on ne peut accommoder quelqu’un, sous peine de commettre un anglicisme.

Ce phénomène peut aussi toucher les adjectifs. Qu’on en juge. L’adjectif performant signifie « capable de hautes performances », selon le Robert. Il peut être utilisé autant pour un objet que pour une personne. Au risque d’en surprendre beaucoup, le verbe correspondant, performer, ne figure pas dans le Petit Robert ou le Petit Larousse. Il faut le débusquer dans le Grand Dictionnaire Larousse encyclopédique. Une autre surprise nous attend : le verbe s’emploie uniquement avec les objets.

Nous aurons donc un cadre performant incapable de performer.

Le verbe spécifier a pour sens d’exprimer clairement, en détail. Toutefois, l’adjectif spécifique ne peut vouloir dire « précis », sous peine d’anglicisme. Que signifie donc spécifique? Propre à une espèce.

Quant à brouiller les cartes, allons-y gaiement. La spécification est l’action de spécifier. Le Robert renvoie le lecteur à précision. Le verbe et le substantif n’ont pas le même sens que l’adjectif.

Commettre veut dire accomplir une action blâmable. Commettre un crime. Par contre, on ne peut parler de la commission d’un crime. Il faut plutôt dire la perpétration d’un crime. Avis aux policiers : soyez plus spécifiques précis.

Le verbe initier, au sens d’entreprendre quelque chose, est souvent frappé d’interdit par les amoureux de la langue française, qui y voient un anglicisme. Ce n’est pas tout à fait vrai, car le mot vient du latin initium, qui signifie « commencer ». Pourtant, une initiative est l’action d’une personne qui entreprend quelque chose.

Comme dirait Obélix, ils sont fous ces francophones!

Un dernier cas intéressant : formel et informel. On ne voit plus l’anglicisme qui se cache derrière l’expression réunion informelle. Encore une fois, l’anglais a déteint sur le français. Puisque informel a pris le sens de « non officiel, à bâtons rompus », on pourrait s’attendre à ce que son petit cousin formel ait le sens d’« officiel ». Les dictionnaires français ont accueilli le premier, mais pas le second. En effet, il y a grosso modo deux façons de définir formel : d’une précision sans équivoque; qui concerne uniquement la forme.

La langue administrative et celle des médias nous servent sur une base régulière régulièrement des phrases comme : « Le ministère a tenu une réunion formelle sur la question. » Correct en anglais, mais pas en français. Il faudrait reformuler : « Le ministère a organisé une réunion officielle à ce sujet. »

 

Les majuscules : des règles à revoir

J’ai récemment mis la main sur la quatrième édition (2010) du Dictionnaire des règles typographiques, de Louis Guéry, de même que sur le Lexique des règles typographiques en usage à l’Imprimerie nationale. La consultation de ces deux ouvrages m’a profondément déçu, car ils rabâchent les mêmes vieilles règles qui avaient cours il y a cinquante ans, et peut-être même avant l’invention de l’automobile!  À croire que l’usage n’a pas évolué depuis et que la langue française est absolument immuable.

Il semble bien que pour nos amis européens la modernisation de la langue passe exclusivement par un discours truffé d’anglicismes, mais pas par l’abandon de règles archaïques que beaucoup ne respectent plus. Je m’attarderai aux noms de guerres, de révolutions, de périodes historiques, de régimes politiques et de ministères.

 Noms de révolutions

 Les deux ouvrages conservent la tradition d’attribuer la majuscule initiale à la Révolution française exclusivement. Ce qui signifie que d’autres évènements importants comme la révolution américaine, la révolution industrielle ou la révolution russe se composent uniquement en minuscule. Pourtant, le Robert-Collins écrit bel et bien Révolution américaine à l’entrée Yankee Doodle, une chanson composée durant la guerre d’Indépendance.

Curieusement,  on parle de la Révolution tranquille au Québec, avec la majuscule initiale. Pourquoi? Tout simplement parce que celui qui a traduit le terme Quiet Revolution – oui l’expression vient de l’anglais – a tout simplement appliqué la logique naturelle qui veut qu’une appellation commence habituellement par une majuscule. Or, si l’on se fie aux guides de typographie, seul un substantif dans l’élément déterminatif peut prendre la majuscule : la révolution d’Octobre. Mais il faudrait écrire la révolution tranquille. Afin d’ajouter à la confusion et à l’illogisme, notons en passant que bien des auteurs écrivent la Révolution culturelle en Chine.

Ce qui signifie que nous avons trois types de graphies pour les révolutions : une avec la majuscule à révolution (Révolution française); une sans majuscule (révolution industrielle); une avec majuscule au deuxième mot (révolution d’Octobre).

Je reviens sur les graphies sans majuscule. Leur emploi peut avoir pour effet de banaliser la période qu’il désigne. Par exemple, la révolution industrielle est une étape importante de l’histoire de l’humanité; ne serait-il pas logique de lui donner la majuscule initiale? Poser la question, c’est y répondre. Quand on y pense bien, la Révolution industrielle est autrement plus importante que la Révolution française, sans offense à nos cousins.

 

Noms de guerres

À ce chapitre, le Lexique de l’Imprimerie nationale est pour le moins déroutant parce qu’il prescrit la minuscule, même pour les deux guerres mondiales! Cette pratique du tout en minuscule s’observe aussi dans Le Monde Diplomatique, mais elle ne correspond pas à l’usage courant, d’ailleurs confirmé par le Larousse et le Robert ainsi que par le Dictionnaire des règles typographiques.

Les noms de guerres réservent toutefois quelques surprises au langagier, car ils sont soumis au même jeu de bascule majuscule/minuscule que les noms de révolutions. Par exemple la guerre d’Indépendance américaine. Toutefois, on parlera des guerres puniques, de la guerre froide, ce qui va encore une fois à l’encontre de la logique élémentaire et de l’uniformité.

En effet, la seule façon pour une guerre de recevoir la consécration d’une majuscule est de comporter un substantif dans l’élément déterminatif qui suit le mot guerre. Les explications qui prétendent nous éclairer sur ces règles sont pour le moins nébuleuses et arbitraires. Guéry soutient que les noms de guerres « prennent une capitale lorsque l’ensemble est un véritable nom propre : la Grande Guerre, la Seconde Guerre mondiale, la Longue marche ». Le Lexique de l’Imprimerie nationale abonde dans le même sens.

Si j’ai bien compris, la guerre froide ne serait pas véritablement un nom propre, même si elle fait l’objet d’une entrée dans les dictionnaires et encyclopédies, et même si elle est clairement délimitée dans le temps. Quels sont les critères au juste pour être considéré comme un nom propre?

Mais pis encore, on ne peut que constater les incohérences entre les ouvrages au sujet du trait d’union dans les noms composés. Qu’on en juge.

Le Lexique de l’Imprimerie nationale écrit : la guerre de Cent Ans, la guerre des Six Jours, mais… la guerre des Deux-Roses. Pourquoi ce trait d’union tout à coup?

Le dictionnaire de Luc Guéry propose : la guerre de Cent Ans, mais la guerre des Six-Jours, avec trait d’union, cette fois-ci. Il ne parle pas de la guerre des Deux-Roses.

Il faut dire que les deux grands dictionnaires ne sont pas eux non plus à l’abri des contradictions, notamment en ce qui concerne le Moyen Âge. C’est cette graphie sans trait d’union que les deux ouvrages préconisent, alors que le Littré propose Moyen âge, avec la minuscule à âge. Là où les choses se gâtent, c’est à l’article médiéval, dans lequel le Robert 2010 écrivait : « Relatif au Moyen-Âge. ». Notez le trait d’union. Heureusement, l’erreur a été corrigée en 2013. Mais s’agit-il bien d’une erreur? Le Robert électronique, dans son champ de recherche, donne deux graphies pour l’expression, l’une avec trait d’union et l’autre sans. Cette intéressante alternative laisse croire que la question du trait d’union dans les expressions historique n’est peut-être pas si claire pour les lexicographes.

Républiques, royaumes et empires

 La valse des majuscules et des minuscules se poursuit pour le nom officiel des États. Le Lexique de l’Imprimerie nationale est on ne plus clair : « Les mots empire, république, royaume, etc. s’écriront entièrement en lettres minuscules s’ils sont précisés par un nom propre. Ces mêmes mots prendront une capitale initiale s’ils sont complétés par un simple adjectif de nationalité. » Ce qui donne : l’Empire britannique, mais l’empire des Indes; la République centrafricaine, mais la république de Lettonie.

La graphie officielle des noms d’États aux Nations Unies comporte la majuscule initiale à ces appellations, puisque ce sont des appellations officielles. N’est-il pas naturel de procéder ainsi, après tout?

Quant au dictionnaire de Guéry, il va dans le même sens, mais préconise la graphie Arabie Saoudite avec la majuscule à l’adjectif qui suit le substantif. Étonnant! Voilà à présent que l’on met une capitale là où les Nations Unies n’en mettent pas. Vous avez dit incohérence? Caprice? L’Empire byzantin est toujours vivant, je le proclame!

Noms de ministères

 Je pourrais multiplier les exemples des chemins tortueux qu’emprunte le français, mais je terminerai ma démonstration avec les noms de ministères, pour lesquels le langagier a l’embarras du choix, pour ne pas dire le choix de l’embarras.

Au Canada, nous écrivons le ministère des Affaires étrangères. Qu’en est-il en Europe? Le Monde favorise l’étêtage total, comme pour les deux guerres mondiales : le ministère des affaires étrangères; Le Figaro (France) et Le Soir (Belgique) : le ministère des Affaires étrangères.  Encore une fois, l’usage cafouille et les savantes règles typographiques en prennent pour leur rhume.

Ce cas n’est pas unique. Une incursion dans la Grande Toile nous permet de constater que les règles pour les noms de révolutions, de guerres, de régimes politiques et de ministères sont allègrement bafouées. Que faut-il en conclure? Deux choses : beaucoup de rédacteurs ne les connaissent tout simplement pas et y vont par instinct, d’où la pléthore de variantes; d’autres rédacteurs (dont je suis) les trouvent tout simplement absurdes et ne les appliquent plus. Après tout, ce ne sont pas les grammairiens qui définissent l’usage, mais bien les locuteurs. Après quelques décennies, ces derniers finissent par prendre acte des changements.

Pour une réforme de la typographie

Plusieurs arguments militent en faveur d’une rationalisation et d’une simplification des règles sur l’utilisation des majuscules dans le domaine des relations internationales.

Les historiens et les politologues, entre autres, n’hésitent pas à écrire dans leurs ouvrages les noms de guerres et de révolutions avec la capitale à l’élément générique. Des journaux et périodiques font de même. Tous ces rédacteurs maîtrisent la langue française et les graphies qu’ils choisissent ont un poids certain. Après tout, ce sont des spécialistes.

On pourrait aussi parler de deux langues sœurs, l’espagnol et l’italien, qui sont allées beaucoup plus loin dans la modernisation des graphies que le français. Elles ont pratiquement éliminé les doubles consonnes; l’accord des participes passés est souvent optionnel, mais, surtout, elles recourent plus facilement aux majuscules dans les appellations officielles. Il est plus que temps que le français se mette au diapason.

Voici ce que je propose :

1) Le mot révolution prend toujours la majuscule initiale, qu’il soit suivi par un substantif ou un adjectif. Le substantif figurant dans l’élément déterminatif prend aussi la majuscule initiale.

La Révolution américaine; la Révolution d’Octobre; la Révolution des Œillets.

 2) Même règle pour les noms de guerres et de batailles. Il n’y a pas de trait d’union dans l’élément déterminatif.

La Guerre froide; les Guerres puniques; la Guerre de Cent Ans; la Guerre de Sécession; la Première Guerre mondiale; la Bataille d’Angleterre; le Débarquement de la Normandie.

 3) Les noms d’évènements ou de périodes historiques composés d’un seul mot commencent par une capitale.

La Détente; l’Inquisition; l’Antiquité.

 4) Les noms d’évènements ou de période historiques en plusieurs mots commencent toujours par une majuscule, tout comme le substantif de l’élément déterminatif. Là encore, pas de trait d’union.

La Querelle des Investitures; le Printemps de Pékin; l’Âge du Bronze; le Moyen Âge.

5) Les noms de régimes politiques commencent par une majuscule.

La République centrafricaine; la République fédérative du Brésil; le Royaume de Suède; l’Empire ottoman; l’Empire des Indes; l’État d’Israël; l’Union de Birmanie.

Pour ce qui est des noms de ministères, il me semblerait plus logique de mettre également la capitale à l’élément générique, puisque c’est ce que l’on fait pour les noms de directions et autres composantes ministérielles. Toutefois, une graphie comme Ministère des Affaires étrangères devrait d’abord être reconnue officiellement, avant de pouvoir être utilisée dans les documents fédéraux. On conviendra que ce n’est pas demain la veille…

Les règles proposées ont l’avantage d’être claires et uniformes. Elles éliminent le flottement qui existe quant à l’utilisation des majuscules ainsi que certaines absurdités qui figurent dans les guides de typographie (l’Antiquité, mais la détente).

Ne nous reste plus maintenant qu’à employer ces nouvelles graphies, parce que c’est ainsi que l’usage se définit.

Article paru dans le numéro d’été 2013 de L’Actualité langagière.

Impact

« Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés. » Dixit La Fontaine. C’est un peu ce que l’on pourrait écrire au sujet de cette véritable épidémie d’impacts qui dévaste la langue journalistique depuis plus d’une décennie. Il n’est pas rare de l’entendre deux fois et plus dans la même phrase. La chef d’antenne du Téléjournal de Radio-Canada l’emploie sans relâche.

Pourtant les synonymes existent : retentissement, effets, conséquences, contrecoups, etc.

Malheureusement, les médias contaminent le public, ce qui mène à un appauvrissement du vocabulaire. Nous avons des impacts partout : en économie, en politique, en environnement, dans les services sociaux, dans les transports en commun, etc.

Il faut être conscient qu’un impact est un choc violent : l’impact d’une collision entre deux véhicules; l’impact d’une balle de pistolet dans un mur. Normalement, le terme devrait être réservé à ce genre de circonstances. Bien entendu, on peut l’employer sous forme de métaphore ou d’hyperbole, pour amplifier notre propos, et c’est justement ce à quoi nous assistons tous les jours, sous l’influence de l’anglais, il va sans dire.

L’ennui, c’est qu’à force d’utiliser impact dans tous les contextes, il finit par s’émousser. Surtout quand n’importe quelle conséquence, de la plus banale à la plus grave, devient un impact.

En finir avec impact

Avec un peu d’imagination, on peut pourtant remplacer cet envahisseur par un verbe. Quelques suggestions : se répercuter sur, avoir un retentissement sur, faire sentir ses effets sur, influer sur, retentir sur, avoir des répercussions…

Soulignons que le mot fait maintenant partie d’expressions consacrées, comme impact médiatique, impact environnemental, étude d’impact environnemental. On aurait pu trouver mieux.

Impact a malheureusement enfanté un monstre : impacter, qui fait l’objet d’un autre billet

Canadianismes indélogeables?

C’est un euphémisme de dire que le français au Canada a beaucoup emprunté à l’anglais, ce qui est parfaitement compréhensible. Bien des efforts ont été déployés pour éradiquer certains anglicismes et il faut reconnaître que la qualité du français s’est en général améliorée.

Au Canada, on donne un sens très restreint au mot ustensile, qui désigne la fourchette, le couteau et la cuiller. Beaucoup (et non plusieurs…) seront surpris d’apprendre que pour un Européen, les ustensiles comprennent aussi bien les récipients (marmites, casseroles, bouilloires, etc.), que le hachoir, le presse-purée, le robot, sans oublier les ustensiles, selon la définition canadienne !

Soit dit en passant, l’anglais définit utensils de la même manière que le français européen.

Alors comment les Européens appellent-ils nos ustensiles? Le couvert tout simplement.

Ce mot peut avoir le sens large de tout ce que l’on met sur la table pour un repas; dans un sens plus restreint, il peut s’agir de la fourchette, du couteau et de la cuiller.

Donc si vous demandez à un invité de Belgique de mettre les ustensiles sur la table, il devrait vous comprendre. Mais s’il vous dit qu’il a complété sa collection d’ustensiles avec l’achat d’une écumoire, vous serez sans doute étonné. Vous voyez-vous manger de la soupe avec une cuiller trouée ?

Votre ami Belge passe quelques jours au pays et vous lui dites de ne pas s’inquiéter des rigueurs du printemps canadien, car vous avez une fournaise à l’huile… Un pur non-sens pour lui, une fournaise étant un lieu très chaud et non pas un appareil de chauffage, qu’en Europe on appelle chaudière, tandis que notre huile à chauffage n’est rien d’autre que du mazout

Chaudière… Peut-on vraiment envisager d’utiliser chaudière sans se couvrir de ridicule? On imagine mal quelqu’un appeler les pompiers pour dire que le feu est pris dans sa chaudière… L’impropriété, qui vient de l’anglais furnace, a encore un bel avenir devant elle.

Mais qui sait, un jour ? Qu’en pensez-vous ?

 

 

 

 

 

 

Plusieurs

S’il est un mot qui est malmené un peu partout, c’est bien plusieurs. Son emploi abusif relève d’une ignorance généralisée quant à sa réelle signification, même chez les plus instruits.

Que signifie plusieurs? Robert et Larousse s’entendent sur la définition : plus d’un, un certain nombre. On voit tout de suite que ce mot n’a pas du tout le sens d’un grand nombre, de beaucoup, loin de là. Détail intéressant, la confusion est identique en anglais entre several et many.

 La distinction a son importance, car certaines phrases peuvent devenir absurdes quand on donne à plusieurs son sens véritable. Qu’on en juge :

Plusieurs Canadiens s’opposent à la réforme de l’assurance-emploi. Combien? Trois? Huit? Une douzaine?

Les Canadiens ont attiré plusieurs fans lors de leur séance d’entraînement ce matin. Une poignée seulement? Douteux.

Plusieurs Français ont combattu aux côtés du général de Gaulle pendant l’occupation de la France. On comprend qu’ils aient eu besoin des Alliés pour bouter les Allemands hors de France!

Certains auteurs font un rapprochement entre le terme en l’objet et quelques-uns. La question se pose : que signifie quelques-uns? On pourrait évidemment en discuter jusqu’à demain, mais une vérité s’impose : il est impensable de confondre cette expression avec beaucoup.

D’ailleurs si vous dites avoir passé plusieurs coups de fil ce matin, personne ne comprendra que vous en avez fait des centaines! Sinon, vous auriez dit beaucoup, un (très) grand nombre.

Ce qui amène une nouvelle question : où s’arrête la notion de quelques-uns et où commence celle de beaucoup? La question reste posée et elle fait l’objet d’un article détaillé dans le numéro d’hiver 2012 de L’Actualité langagière, sous la plume de Jacques Desrosiers, en page 26.

Chose certaine, il convient de tourner sa plume plusieurs fois dans l’encrier avant d’utiliser plusieurs.

Quitter

«Delphine vient de quitter, elle reviendra demain.  Josée a quitté pour la France hier soir. Après avoir passé vingt-cinq ans à La Baie, Martin a quitté sur un coup de tête.»

Voilà quelques exemples de phrases que l’on entend tous les jours, sans s’émouvoir. On le devrait, pourtant. Au Québec, le verbe quitter est employé systématiquement sans complément. Or ce genre de construction est non seulement fautif mais il peut aussi être porteur de confusion dans bien des cas.

En effet, si nos disons que tel sénateur au milieu d’une controverse a quitté, certains croiront qu’il vient enfin de démissionner, alors qu’il pourrait tout simplement être sorti de la pièce.

Il faut savoir que le verbe quitter est transitif, c’est-à-dire qu’il exige un complément. On ne quitte pas tout court, mais on quitte quelque chose. Revenons à nos phrases.

«Delphine vient de quitter le bureau, elle reviendra demain. Josée est partie pour la France hier soir. Après avoir passé vingt-cinq ans à La Baie, Martin a démissionné sur un coup de tête.»

Si le dernier cas est clairement un anglicisme, il me semble que les deux premiers s’inspirent aussi de l’anglais qui emploie to quit de manière intransitive. «He had to quit – il a dû partir.»

On retiendra de tout ceci que le verbe partir peut facilement remplacer quitter lorsqu’on est tenté de l’utiliser sans complément.