Liberté académique

Le rapport Bastarache qui vient d’être déposé fait état d’un climat de peur et d’autocensure qui règne à l’Université d’Ottawa. L’ancien juge demande que la « liberté académique » soit protégée.

Ce rapport fait suite à l’intimidation dont a été victime une chargée de cours qui avait prononcé le mot nègre dans un cours, pour en expliquer l’évolution de l’usage. Une étudiante indignée a diffusé ses coordonnées personnelles pour se venger et n’a jamais été réprimandée. Le recteur lui a donné implicitement raison.

Autocensure

Depuis quelques années, les professeurs d’université canadiennes et américaines, et maintenant européennes, voient leur liberté d’enseigner remise en question. Certains étudiants, se croyant investis d’une conscience morale supérieure, veulent bannir des mots et des idées qu’ils jugent inacceptables. Ils pratiquent la culture du bannissement et veulent faire taire toutes les personnes qui ne sont pas d’accord avec elles. C’est pourquoi certains professeurs finissent par s’autocensurer, notamment parce que les directions d’université ne les soutiennent pas.

Ce qui est en jeu, c’est la liberté pour les professeurs d’aborder certaines réalités, certains concepts, pour en faire l’étude en classe, ce que l’on appelle couramment la liberté académique.

Un anglicisme?

Cette expression est employée un peu partout, dans le rapport Bastarache aussi bien que dans les médias canadiens. L’expression semble s’être frayé un chemin dans la presse française, notamment dans le Figaro. Je l’ai vue également dans Le Monde Diplomatique.

Mais ne s’agit-il pas d’un calque d’academic freedom? Ne serait-il pas préférable de parler de liberté d’enseignement, de liberté universitaire? D’ailleurs, le Monde Diplomatique parle du « chiffon rouge de la liberté universitaire ». Et, pourquoi pas, de liberté d’expression à l’université, puisque ce qui est en cause, c’est finalement la liberté de parole du corps enseignant, mais aussi de celle des étudiants qui subissent également l’intimidation de collègues bien-pensants.

J’ai été très surpris de découvrir dans le dictionnaire de l’Académie la locution liberté académique, qui serait un belgicisme (???), défini comme suit :

            (Liberté) dont jouissent les enseignants universitaires dans leurs activités d’enseignement et de recherche.

Conclusion

L’expression liberté académique semble s’imposer dans l’usage et il me parait difficile de la rattraper à présent, d’autant plus que le Dictionnaire de l’Académie vient semer le doute. Toutefois, les dictionnaires courants ne recensent pas l’expression. Troublant? Oui et non. Les lexicographes français sont souvent très en retard sur l’usage.

5 réflexions sur « Liberté académique »

  1. Le « Dictionnaire des belgicismes » (De Boeck, 2015) précise que « académique », dans ces emplois, est une influence de l’allemand, le système universitaire belge ayant été inspiré par le modèle universitaire allemand.

  2. En passant, je n’aime guère les expressions comme culture du banissement, de l’effacement, etc. L’anglais dit cancel culture; nous nous sentons donc obligés de forger un équivalent, avec des mots français certes, mais qui n’en calque pas moins une façon anglo-saxonne de décrire et de nommer les choses. Bien sûr, on se garde bien de vérifier si le français n’a pas déjà les mots pour nommer la chose. Personnellement, je ne vois là que la réapparition de la bonne vieille censure, avec la violence qui accompagne souvent ce mot sinistre.

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