Imparfait du subjonctif

Bien des langagiers sont d’avis que l’imparfait du subjonctif est un mode obsolète. D’ailleurs, il a disparu de la langue courante et on peut penser que la plupart des francophones n’ont pas la moindre idée de la manière dont on le forme.

Alors faut-il le faire passer à la trappe?

L’espagnol et l’italien

Dans un sens, les francophones ont de la chance. En espagnol ou en italien, l’imparfait du subjonctif n’est pas tombé en désuétude. Ceux qui apprennent ces deux langues doivent s’atteler à un rude apprentissage de conjugaisons « déviantes », du moins pour nous les francophones.

Car l’imparfait du subjonctif s’emploie même dans des phrases interrogatives commençant par si. Là où le français recourt à l’imparfait, le paon italien nous déploie le panache de du subjonctif (très) imparfait.

Si j’avais le temps – Se io avessi il tempo (si j’eusse le temps).

Si tu étais un auteur, tu écrirais des livres – Se tu fossi un scritore, scriveresti dei libri (si tu fusses).

Quand le ridicule tue…

En français, il en va tout autrement. Dans les faits, cette forme passée du subjonctif s’est écroulée sous le poids de son ridicule apparent. Le texte suivant d’Alphonse Allais met en relief les allures ronflantes que prend l’imparfait du subjonctif en français :

Ah fallait-il que je vous visse

Fallait-il que vous me plussiez

Qu’ingénument je vous le disse

Qu’avec orgueil vous vous tussiez

Fallait-il que je vous aimasse

Que vous me désespérassiez

Et qu’en vain je m’opiniâtretasse (sic)

Et je vous idolâtrasse.

Pour que vous m’assassinassiez.

Le fait est que le subjonctif dispose de moyens limités dans l’expression du temps. Il n’y a pas de futur en français, alors qu’il existe en espagnol.

En français, ce sont les formes du passé qui posent problème. D’ailleurs, le journaliste André Thérive y allait d’un commentaire lapidaire : seuls les écrivains prétentieux emploient encore le subjonctif imparfait[1]. Pourtant, il y en a encore beaucoup.

Tant dans les journaux que dans les textes littéraires, force est de constater que cette forme du subjonctif a largement disparu.

Mais comment ne pas ressentir un (tout) petit malaise quand le subjonctif présent se substitue à son cousin imparfait? Exemples donnés par Bescherelle :

Je craignais que la tempête ne se lève (levât).

Je craignais que les tuiles ne s’envolent (s’envolassent).

On imagine ces phrases aussi bien dans la langue parlée que dans la langue écrite.

L’imparfait du subjonctif survit

Il survit, certes, mais tout juste.

La traduction française du grand succès L’amie prodigieuse, d’Elena Ferrante, ignore systématiquement l’imparfait du subjonctif.

La traductrice de Ferrante marche sur les traces de Simone de Beauvoir qui, dans les Mémoires d’une jeune fille rangée, écrivait : « Elle parut un peu scandalisée pour que j’y prenne du plaisir et qu’elle les tolérât. » L’écrivaine a voulu éviter un « j’y prisse » qu’elle a peut-être jugé cocasse.

En fait, le subjonctif imparfait survit dans la presse et la littérature en s’accrochant à la bouée de la troisième personne du singulier, particulièrement pour les verbes avoir et être. Au fil de mes lectures, j’ai également repéré çà et là quelques dût, pût, voulût, sût, qui agacent moins que dussions, pussiez, voulussiez ou encore susse.

Malgré tout, il est peut-être trop tôt pour prononcer l’éloge funèbre de l’imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif. En effet, encore bien des auteurs l’incluent dans leur panoplie.

Elle trouvait inique que certaines sépultures croulassent sous les fleurs. (Alexandre Jardin, Le zèbre, p.60)

On me l’avait assez refusé pour que j’en connusse la valeur. (Amélie Nothomb, Biographie de la faim, p.132.)

Il serait peut-être plus exact de dire que « certains temps du subjonctif comme l’imparfait et le plus-que-parfait ont à peu près disparu de la langue parlée et sont même fortement concurrencés par l’écrit[2]. »

Mais les formes inhabituelles, pour ne pas dire surprenantes, des formes passées du subjonctif en ont peut-être signé l’arrêt de mort. L’avenir le dira.

Il est clair que le présent fait moins sentencieux que l’imparfait, ce qui explique pourquoi bien des auteurs préfèrent la forme présente, même lorsque le passé s’imposerait. L’imparfait, lui, est désavantagé parce qu’il est boudé dans la langue courante.

Néanmoins, les amoureux de la langue française, comme moi, ne peuvent que ressentir une pointe de nostalgie en voyant l’imparfait du subjonctif s’éclipser. Si seulement il pouvait délaisser son habit de gala et revêtir des vêtements moins bigarrés.


[1] Cité par Grevisse et Goose, Le bon usage., p. 1157.

[2] Ibid.,p.1152.

6 réflexions sur « Imparfait du subjonctif »

  1. Dans la traduction citée, « Elle parut un peu scandalisée pour que j’y prenne du plaisir et qu’elle les tolérât », il est quand même maladroit d’avoir dans la même phrase évacué l’imparfait du subjonctif (prenne) et de l’avoir accueilli au verbe suivant (tolérât)…

  2. On l’a semble-t-il oublié, mais cette question précise a été un des combats culturels des révoltes de Mai 68 en France et de ses conséquences.
    C’est le moment où l’enseignement secondaire et supérieur a basculé du monde des « Humanités » (privilégiant les Lettres, la culture humaniste et les langues anciennes) vers celui de la technologie, des sciences humaines et des langues dites vivantes.
    L’imparfait du subjonctif a été au cœur du changement, dans la littérature, les médias ou l’enseignement incarnant dès lors une fracture entre générations voire entre modèles culturels.
    J’ai vécu cela et beaucoup de gens pensent encore sous ce régime…

  3. Tout l’art consiste pour un écrivain (ou un écrivant), et encore plus souvent pour son correcteur, à contourner le piège, ce qui complique un peu la tâche. Les correcteurs (dont je suis), plutôt que d’accepter un présent du subjonctif là où la logique et la grammaire veulent un imparfait, proposent de plus en plus souvent aux auteurs des remaniements de nature à éviter carrément le mode subjonctif ou bien ce que j’appelle « un imparfait du subjonctif doux à l’oreille ». On triche alors sur le texte pour ne pas blesser la grammaire. C’est là une sorte de compromis qui arrange souvent tout le monde… l’auteur (qui sera bien content de voir sa maladresse réparée), le lecteur (qui n’y verra que du feu) et le correcteur qui aura pleinement joué son rôle en ne tolérant pas l’intolérable.
    Bien évidemment, effectuer ce genre de reformulation du texte sur quatre cents ou cinq cents pages, c’est épuisant ! Comme il vaut mieux agir en amont qu’en aval, il serait bon que les enseignants enseignassent. À bon entendeur…
    En ma qualité de correctrice professionnelle, je n’aurais absolument pas pu admettre la construction à tout le moins maladroite de la phrase citée plus haut : « Elle parut un peu scandalisée pour que j’y prenne du plaisir et qu’elle les tolérât. » Il m’en vient des sueurs froides et je me demande comment on a pu laisser passer cette énorme faute. Parce qu’il va de soi que c’est volontaire : on n’a pas voulu employer l’imparfait. La chose est d’autant plus visible et ridicule que le verbe suivant, lui, a été mis ou laissé à l’imparfait. À moins que l’éditeur et le traducteur se soient ligués contre le correcteur pour imposer leur avis non avisé ou que l’ouvrage n’ait pas été relu (ou vite relu à l’aide d’un stupide « correcticiel » automatique…)
    Il m’est difficile de corriger cette phrase en étant privée du contexte, mais j’aurais probablement proposé : « Elle parut un peu scandalisée pour qu’il me fût possible d’y prendre du plaisir et qu’elle les tolérât. » La grammaire eût été logiquement respectée, les yeux et les oreilles du lecteur aussi. Le sens de la phrase n’en eût pas été changé.

    C’est un exercice supplémentaire qui nous est demandé là. Pour ma part, il y a encore dix ou vingt ans, j’eusse sans doute imposé d’emblée « prisse » sans trop me poser de questions, quitte à devoir expliquer la règle ensuite.

    Pour bien comprendre ce qui se passe depuis quelques décennies il nous faut remettre certaines pendules à l’heure.
    Il y a quelque trente-cinq ans – ce qui au regard de l’histoire d’une langue est fort peu –, je me fis taper sur les doigts pour n’avoir pas imposé des imparfaits du subjonctif dans un petit roman dit « de gare ». À la même époque, les personnes qui écrivaient savaient écrire, les ouvriers qui effectuaient la composition possédaient une très bonne connaissance du français et, forcément, de la typographie. Quant aux correcteurs, qu’ils fissent partie du Livre ou du Labeur, ils avaient reçu un bon enseignement du français dès l’école primaire, excellaient dans la matière et, la tête plongée dans les ouvrages de référence, étaient ensuite dûment formés « sur le tas » par leurs pairs plus âgés (et non par des centres de formation dont le but premier est de « faire du fric » sur le dos des chômeurs en leur proposant de simples stages d’initiation au métier).
    Par ailleurs, les ouvrages, fussent-ils des romans à l’eau de rose, étaient relus au moins deux fois par de vrais correcteurs professionnels avant d’être publiés, parfois trois…
    Aujourd’hui, n’importe quel quidam se mêle d’écrire et de faire publier ses « œuvres ». Il procède lui-même à la saisie du texte, sans même connaître quelques rudiments de typographie, écrit comme il parle (il n’est qu’à voir les horreurs qui nous sont parfois confiées !), fait relire son manuscrit par son voisin de palier ou par sa tante Gertrude, envoie le tout à un « éditeur en chambre » qui – la bonne aubaine ! – « accepte » de publier son manuscrit… contre paiement d’une certaine somme, laquelle est parfois conséquente.

    En ce qui concerne notre ami l’imparfait du subjonctif, il y a belle lurette que les scribouilleurs de tout poil et de toute plume l’ont enterré. Pour notre part, en derniers remparts que nous avons voulu et su demeurer pour faire face à la paupérisation de notre langue, nous tentons de le maintenir en vie, comme nous tentons de rétablir aussi un bon usage du passé simple, de la concordance des temps, d’une ponctuation logique et d’un français sinon parfait, tout au moins correct et riche.

    Pour revenir un instant sur ce qui est dit plus haut à propos d’autres langues, ma connaissance de l’italien, puisque je suis également enseignante d’italien, me permet de dire que dans cette langue, l’imparfait du subjonctif est plus doux à l’oreille, plus léger, et n’a surtout pas la consonance péjorative qu’il peut avoir en français. Plus doux parce qu’il « glisse » mieux en quelque sorte. Plus léger parce que la voix, même si la syllabe est tonique, ne s’infléchit pas à l’excès sur celle-ci et que le mot finit toujours au minimum par une voyelle non muette qui, à mon humble avis, adoucit le son, le rendant plus fluide. C’est une question d’oreille avant tout. La langue étant plus chantante, cela passe mieux.

    1. Belle réflexion sur le sujet !
      Comme correcteur (aussi), je ne peux que confirmer que la qualité moyenne des écrits est en baisse sensible depuis quelques années. L’orthographie d’usage n’est qu’un volet de l’affaire, en partie compensée par les correcteurs automatiques des traitements de texte. Mais la rédaction même est souvent aberrante : phrases sans verbe, agencements syntaxiques hasardeux, ponctuation inexistante, etc.
      La concordance des temps fait partie de cet ensemble , et la maitrise de l’imparfait du subjonctif suppose que le rédacteur exerce sur son texte un contrôle total, ce qui est rarement le cas. À l’instar des dialogues — qui gangrènent les romans de leur prose insipide —, les parties narratives se sont appauvries à l’extrême et n’expriment plus les subtiles nuances que l’on attendait jadis sous la plume des auteurs classiques. Autrement dit, tout est devenu d’une platitude désolante et l’on s’ennuie souvent à la relecture des manuscrits que l’on reçoit.
      Un dernier point : trop peu de spécialistes des questions de langue insistent sur les mondes différents que constituent « écrit » et « oral ». Parler n’est pas écrire et lire n’est pas écouter. Les zones du cerveau activées sont différentes et nombre de raisonnements de commentateurs ou critiques n’en tiennent pas compte : la laideur ou le ridicule de l’imparfait du subjonctif ne tiennent qu’à l’habitude de les transférer à l’oral, ce qui est rare et pas forcément justifié. L’œil qui lit ne prononce pas, il agence conceptuellement les éléments du texte pour en retirer du sens et l’esthétique provient de la clarté et de la richesse de cet exercice continu. Mais tout cela est un autre sujet…

  4. « la plupart des francophones n’ont pas la moindre idée ni de la manière dont on le forme. »

    N’y a-t-il pas un « ni » en trop dans cette phrase ?

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