Finales à uniformiser

Les finales en français comportent un cortège d’irrégularités toutes plus étonnantes les unes que les autres. Vouloir toutes les éliminer serait utopique, mais en simplifier un certain nombre serait salutaire pour notre langue. Il est temps d’ouvrir les fenêtres.

En proposant ses les timides rectifications de l’orthographe, en 1990, l’Académie a commencé à tracer des routes prometteuses… pour s’arrêter aussitôt, apparemment effarouchée par sa propre audace.

Le nombre de finales à rectifier demeure considérable. Voici celles que nous avons retenues.

La finale en ai

On écrit relais, alors que délai, balai, chai, essai s’écrivent dans s final. Pourquoi pas relai?

Un travail de fourmi(e)

On continue d’écrire brebis, fourmi, perdrix, souris, qui sont des féminins.

Ce sont des graphies injustifiables. Il faudrait les remplacer par les formes suivantes :

Brebie, chienlie, fourmie, perdrie, sourie.

Le e muet signale généralement un féminin; la graphie rattraperait la logique.

Une beautée rare

On compte quelque mille mots dont le féminin s’écrit en –é, contre environ 300 avec la finale en -ée[1].

Ne serait-il pas plus logique d’écrire tous ces noms avec une finale typiquement féminine?

Bontée, duretée, amitiée, véritée

L’uniformisation des graphies en é mettrait fin à certaines ambiguïtés touchant des termes moins connus. Par exemple, celui entourant cette boisson que l’on appelle maté. Dit-on un maté ou bien une maté? La réponse est le masculin. La graphie en question est donc logique, mais les caprices de notre langue auraient pu conduire à une graphie comme matée.

D’ailleurs, les cas de noms masculins couronnés d’un e muet final ne sont pas rares.

Un trophé pour la graphie la plus absurde

On n’a qu’à lire les exemples suivants :

Un athée, lycée, musée, pygmée, scarabée, trophée, apogée.

En supprimant cet e final, aussi inutile qu’illogique, on saurait enfin qu’apogée est de genre masculin…

Un athé, lycé, musé, pygmé, scarabé, trophé, apogé.

Les traditionalistes renâcleront en invoquant l’étymologie du grec ancien. Ainsi, les noms masculins avec la finale en –ée viennent du grec –os  et eîon. Par exemple, musée vient du grec museîon.

Et puis après? serait-on tenté de dire. Les mots étrangers intégrés au corpus français adoptent les règles orthographiques de notre langue, fait confirmé par l’Académie en 1990.

C’est ainsi que l’on donne le pluriel français à des mots comme paninis, Touaregs, länders, etc. On devrait faire exactement la même chose pour les mots venant du grec et qui, à plus forte raison, font partie de notre vocabulaire depuis longtemps. D’autant plus que le fameux e muet ne change pas la prononciation et induit en erreur quant au genre du substantif.

Avez-vous la foie?

La foi, pourtant un féminin, ne prend pas le e muet, tandis que la fois s’écrit avec un s, qui n’est pas courant pour un mot féminin. Le foie, qui est bel et bien un masculin, prend un e.

Ne serait-il pas plus logique d’écrire : la foie et le foi?

Et si on rectifie l’orthographe de foie pour écrire le foi, sera-t-il encore pertinent de garder la fois avec son s? Peut-être pas.

Élise sera opérée au foi pour la troisième foie.

Le genre grammatical viendra différentier les deux homophones.

Juste ciel

On gagne son ciel en apprenant le français. Les voies du seigneur Orthographe sont infinies… et les archanges de la langue finissent par s’y perdre.

Carte routière…

Suivons la guide Maryz Courberand[2].

  1. Les mots terminés par le son [siel] s’écrivent –tiel après en : essentiel, potentiel, présidentiel.
  2. Les mots terminés par le son [siel] s’écrivent –ciel après i et an : logiciel, superficiel, tendanciel.
  3. Les adjectifs terminés par le son [ansiel] s’écrivent toujours –entiel : essentiel, présidentiel.

On s’y perd vite…

Ne serait-il pas tout simplement plus simple d’uniformiser les finales en –ciel?

Essenciel, potenciel

Finies les hésitations entre événementiel et événemenciel, substanciel et substantiel, superficiel et superfitiel.

Les finales en ciel sont moins surprenantes que les autres en tiel, dans lesquelles le t est prononcé comme un s, chose inhabituelle.

Conclusion

Ces propositions en feront sursauter plusieurs et même beaucoup. Pourtant, elles ne représentent qu’une fraction des travaux d’uniformisation dont aurait besoin le français. Encore une fois, je m’oppose à toute idée de faire le nettoyage par le vide. Toute réforme du français ne peut être envisagée que par des changements à la fois mesurés et décisifs.

Le statu quo et des rectifications timides comme celles de 1990 ont fait leur temps. Le français doit avancer : à nous de donner l’impulsion.


[1] Courberand, Libérons l’orthographe, Paris, Chiflet & Cie, 2006, p. 80-81

[2] Courberand, op. cit., p. 56.

2 réflexions sur « Finales à uniformiser »

  1. Rebonjour

    Ces propositions sont séduisantes, même pour un conservateur:
    abandon des illogismes en évitant le saccage.
    Excellente conclusion.

    Vos considérations générales sur la réforme, un peu moins:
    les difficultés de la langue, vanité des élites ? Effacer l’histoire des mots, leurs accents circonflexes par exemple, sans même parler d’étymologie, c’est céder à une démagogie de la facilité qui avance masquée, rétorquerai-je.

    Mais rien que pour la justesse de votre regard sur la veulerie de nous autres Français avec notre langue, ce site est remarquable.

    Merci.

    1. Je vous remercie de cette première critique venant du grand public! Je suis heureux que vous reconnaissiez la valeur de mon travail, même si vous n’êtes pas entièrement d’accord avec moi. D’ailleurs je ne m’attendais pas à l’unanimité!

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