De Gaulle
Le général de Gaulle n’est pas perçu de la même façon au Québec et en France. Pour les Français, il est le père de la Cinquième République, celui qui a réformé le système politique de l’Hexagone, pour le rendre viable. Mais beaucoup le considèrent comme une figure politique du passé. Pour les Québécois, il est celui qui a osé mettre le Québec sur l’échiquier politique international.
Découvrir un peuple
Dans les manuels d’histoire en France, la colonisation du Canada était une toute petite parenthèse. Une amie Parisienne m’a confié qu’on en parlait pendant à peu près deux minutes au lycée…
Le Canada moderne, c’était cette étrange nation britannique sise au nord d’une contrée fabuleuse, les États-Unis d’Amérique. L’histoire de cette nation courageuse, colonisée par les Britanniques leur échappait. Ils ignoraient le long combat des Canadiens pour survivre et ne pas être assimilés comme le furent plus tard les Louisianais.
Un esprit libéral, lord Durham, considérait que ce serait rendre un service aux Canadiens de les faire disparaître une fois pour toutes…
Ce sont ces Canadiens (par opposition aux Anglais) que le général de Gaulle a découvert avec surprise lorsque les Alliés sont venus libérer la France du joug nazi. Or le Général avait le sens de l’histoire. Il a reconnu dans ces « Français du Canada », comme il le disait, de dignes descendants des Français.
D’autres l’avaient vu avant lui, mais ces éclairs de lucidité se sont vite éteints. Peu de gens le savent, mais le premier ministre Honoré Mercier a été reçu avec les grands honneurs à Paris, en 1888, où on lui a décerné la Légion d’honneur.
Presque cent ans plus tard, en 1960, le président de la République Charles de Gaulle recevait le premier ministre Jean Lesage avec le même faste que s’il était un chef d’État.
Cette fois-ci était la bonne. Les relations entre la France et le Québec prirent leur envol.
Dans ses Mémoires, de Gaulle avait déjà pris conscience des « réalités profondes qui font de la Fédération canadienne un État perpétuellement mal à l’aise, ambigu et artificiel. » Il exprima à Jean Lesage sa conviction profonde que le Québec était appelé à devenir un État souverain. [1]
Vive le Québec libre
Contrairement à ce que beaucoup ont laissé croire, le fameux cri du général de Gaulle n’était pas entièrement spontané. Il était résolu à corriger ce qu’il appelait la lâcheté de la France.
Lâcheté, vous dites? La France n’avait pas engagé assez de troupes pour défendre le Canada et semblait peu intéressée par le sort de sa colonie, ces fameux « arpents de neige », selon Voltaire. Après la défaite de 1760, elle avait abandonné ses colons canadiens aux Britanniques par le traité de Paris en 1763. Par la suite, la France avait fourni un appui militaire aux rebelles américains qui ont arraché leur indépendance en 1776. Les Canadiens de l’époque en voulaient beaucoup à la mère patrie. Pis encore la France a par la suite oublié l’existence même de ces Canadiens, devenus par la suite des Québécois, pour une bonne partie d’entre eux.
« Ils vont m’entendre. », clamait le Général avant d’entamer sa visite au Canada, à l’occasion du centenaire de la fédération canadienne. De Gaule aurait même exercé des pressions sur le premier ministre Johnson pour l’inciter à réaliser l’indépendance du Québec[2]. Johnson ne se sentait nullement prêt à aller dans cette direction.
Le Général a été accueilli dans ce qu’il a lui-même appelé « une atmosphère de Libération ». C’étaient des mots puissants venant du chef de la Résistance française.
Tout au long de son parcours, sur le chemin du Roy, s’étalaient des bannières « France libre Québec libre ». Nul doute qu’elles ont stimulé les ardeurs du Général. À l’hôtel de ville de Montréal, un micro fut mystérieusement placé sur le balcon, alors qu’il n’était pas prévu que l’auguste visiteur prendrait la parole. Entraîné par la foule majoritairement indépendantiste, le Général lança le fameux « Vive le Québec libre! » Catastrophé, le premier ministre Johnson lui reprocha d’avoir repris le slogan de ses adversaires du RIN. De Gaulle n’en fit pas grand cas.
Cette déclaration lapidaire a provoqué un incident diplomatique avec le Canada et le Général plia bagage avec sans doute le sentiment du devoir accompli.
Un chemin différent
On connaît la suite. Les Québécois ont refusé par deux fois d’emprunter le chemin de l’indépendance. Ils préfèrent demeurer un État fédératif dans le grand ensemble canadien, quitte à se faire conspuer abondamment par ce peuple canadien-anglais convaincu, lui, de ne pas être raciste du tout. My foot.
Je n’ose pas imaginer ce que le Général penserait de cette situation.
[1] « Il y a 50 ans, le Québec à Paris -2 – Un grand élan diplomatique, Le Devoir, le 11 octobre 2011.
[2] Voir Pierre Godin, Daniel Johnson, Montréal, éditions de l’Homme, 1980.
Je remarque deux petites coquilles : « comme le furent plus tard [les] Louisianais »; « Un esprit libéral, lor[d] Durham ». Merci pour cet article intéressant!