Avez-vous déjà eu cette étrange impression de vous être exprimé clairement et de vous heurter à un mur d’incompréhension?
Sûrement.
Il n’y a qu’à écouter autour de soi pour constater que la plupart des gens ne maitrisent pas la langue. Le vocabulaire est déficient – on peine à nommer les choses correctement. Pire encore, la syntaxe est délabrée, on construit des phrases comme si on empilait des vieilleries dans la cave, sans trop savoir qu’en faire.
Deux anecdotes. Je suis chez mon tailleur et je veux acheter des jeans de très bonne qualité, plus minces que ceux vendus un peu partout. Le vendeur me dirige justement vers ce genre de vêtement au tissu grossier. Je suis obligé de répéter ma demande pour qu’il comprenne enfin ce que je veux.
Je m’exprime pourtant avec clarté et précision, alors pourquoi n’a-t-il rien compris la première fois?
Deuxième histoire, qui date un peu. J’achète de la pellicule pour mon appareil et je veux prendre des photos noir et blanc. La fille au comptoir veut me faire comprendre que les films 100 ASA ne sont pas les meilleurs dans ce cas, mais elle est incapable de le dire. Son français est tellement rudimentaire qu’elle n’arrive pas à traduire son idée en mots. Elle finit par me dire que ce serait mieux d’acheter du 400 ASA.
Je joue au télépathe et exprime ce qu’elle a dans le fond de la tête : vous voulez dire que je serais mieux d’acheter une pellicule plus sensible pour mieux faire ressortir les contrastes. « C’est ça. »
Les causes?
Des études ont montré qu’environ la moitié des Québécois ont du mal à comprendre un texte écrit. Cela n’est guère surprenant quand on voit comment l’ensemble de la population s’exprime. Les vox populi grinçants dont les journalistes tapissent leurs reportages (avant la pause publicitaire) en sont un brillant témoignage.
Les causes de ce désastre sont multiples. L’environnement anglo-saxon écrasant en est une : le vocabulaire et la syntaxe de l’anglais pénètrent aisément par toutes les fissures de notre français délabré.
L’enseignement du français et les multiples réformes imposées au fil des décennies. Je me demande souvent ce que l’on fait au juste dans les classes. Comment enseigne-t-on la grammaire et l’orthographe? Comment se fait-il qu’à peu près tout ce que l’on lit un peu partout (petites annonces, médias sociaux, etc.) est rempli de fautes grossières?
L’incompréhension des règles d’accord (finales en er, ez), la confusion des homonymes c’est, s’est, ses, ces me jette par terre. Après 11 ans d’étude du français. Mais qu’est-ce qui ces donc passer?
Même les journalistes, qui devraient donner l’exemple, finissent par dire n’importe quoi, sans jamais chercher le sens véritable des mots. Les impacts, enjeux, partager, thématiques, problématiques en sont de vibrants exemples. Les commentateurs ne semblent pas avoir la moindre idée de la signification réelle de ces mots.
À tout cela s’ajoute l’indifférence, la paresse collective de bien parler. C’est peut-être le plus grave problème.
Le résultat est qu’une personne comme moi, qui s’exprime clairement, mais sans affectation, passe pour une sorte d’extraterrestre en public. Mes interlocuteurs sont désorientés d’entendre quelqu’un parler autrement qu’à coup d’approximations… genre.
On pourra reprocher aux Français tout ce qu’on voudra, notamment leurs anglicismes ridicules, prononcés de manière farfelue. Mais écouter la télé française est un ressourcement en soi. La fluidité du discours, la précision du vocabulaire sont admirables.
Pour les amoureux de la langue française, c’est une cure nécessaire.
Je suis tellement triste d’être d’accord avec vous.
Un jour nous cherchions un beurrier dans un magasin d’articles de cuisine. La vendeuse, après quelques instants de profonde incompréhension, a eu une illumination: « Quelque chose pour mettre du beurre ? ».
Plusieurs journalistes et animateurs de radio ne parlent plus que dans une sorte d’anglais mal traduit. Ça pourrait presque donner: « Bon matin ! Aujourd’hui, on adresse avec Docteur Tremblay le besoin d’une conversation sur les vaccins »
D’accord. Et sans vouloir être pessimiste, il me semble que le problème va en empirant. Voici 3 exemples concrets.
1. « Est-ce que ça lallait ici? »
CONTEXTE
Je suis dans la salle d’essayage d’une boutique. La vendeuse s’adresse à moi.
est-ce que = bon début pour une phrase
lallait = ici, ça se gâte : le verbe laller conjugué à la troisième personne du singulier, à l’imparfait
Il aurait été si simple de dire « Ça va, madame? Si je peux vous être utile… »
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2. « René Angelil a bien compris que pour faire en sorte d’être en mesure de pouvoir mettre en valeur le talent de Céline… »
CONTEXTE
Pierre-Karl Péladeau qui s’exprime à la radio.
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3. Au niveau des bijoux, il ne portait aucun bijou… Au niveau pour devenir évêque… Ce qui faut s’accrocher…
CONTEXTE
Alain Pronkin qui s’exprime à la radio.
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Comme quoi, le bien-parler n’est pas toujours une question de classe sociale ou de diplôme. Nombre de journalistes ou autres personnalités nous écorchent les oreilles. Laxisme? Ignorance? Paresse? Peu importe, le résultat est une vraie désolation linguistique.
Le français est complexe, admettons-le. Et je parle en tant que spécialiste de la langue. C’est facile de critiquer comme je le fais ici. Durant ce temps, je ne travaille pas à proposer des solutions, je n’aide personne. Je m’exprime, point à la ligne.
André, je suis membre de plusieurs groupes sur facebook (charcuteries, boulangeries…). La situation en France n’est guère mieux. La Confusion ER EZ est très fréquente. Quelques fois, je n’arrive même pas à comprendre l’énoncé.
On tombe des nues : « environ la moitié des Québécois ont du mal à comprendre un texte écrit »! N’y aurait-il pas quelque exagération?
Pas du tout. Consulte les études sur la littéracie au Québec.