Notre-Dame de Paris

Les flammes ont failli détruire ce grand chef-d’œuvre qu’est Notre-Dame de Paris. Cette cathédrale est pour moi un témoin personnel qui a pris une allure symbolique. Elle marque la différence entre le niveau de culture générale d’un Nord-Américain et celle d’un Européen. Je m’explique.

La première fois que j’ai vu Notre-Dame, j’avais vingt ans. Je lisais beaucoup, j’étais curieux, je voulais tout apprendre. Mais je ne savais pas grand-chose.  Devant ce monument j’étais bouche bée, bouche bée parce que je comprenais rien de ce que je voyais. Ce n’était pas les majestueux beffrois qui m’écrasaient, c’était mon ignorance. Pendant une bonne partie de ma vie j’ai pesté devant la pauvreté de la formation générale offerte dans les écoles polyvalentes du Québec. J’aurais adoré suivre le cours classique mais il n’existait plus. J’étais donc condamné au régime public aminci.

Donc Notre-Dame me toisait; elle me dévisageait et semblait me dire « Est-ce tu y comprends quelque chose? » Eh bien non. Pendant toutes mes études secondaires et collégiales, mes professeurs ne m’avaient pas enseigné les notions d’architectures les plus élémentaires. Je n’avais pas suivi de cours d’histoire de l’art non plus. Durant toute ma formation, on n’avait jamais abordé l’histoire du Québec, du Canada, de la France ou de la Grande-Bretagne. À peine avait-on parlé de littérature québécoise. Pour le reste, le néant.

J’aurais été incapable de dire de quel style était la basilique Notre-Dame de Montréal, alors celle de Paris…

En fin de compte, j’ai bâti ma culture générale pierre par pierre, comme tous ces charpentiers, maçons et artisans qui ont érigé Notre-Dame de Paris. J’ai lu le roman du même nom de Victor Hugo quelques années après mon rendez-vous raté avec Notre-Dame. J’étais fasciné et dépassé par la prolifération des détails sur l’histoire de la cathédrale, qui servait de toile de fond au drame de Quasimodo et d’Esméralda.

Puis j’ai enfin commencé à voyager intensivement en Europe. J’ai sillonné l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Autriche, la Suisse, le Luxembourg, la France et j’ai parfait ma culture en dévorant les guides Michelin.

C’est la mascotte Bibendum qui m’a enseigné l’architecture, les écoles de peinture, bref les arts en général. J’ai découvert le gothique, le rococo, le baroque. Michelin n’était pas un guide touristique, mais bel et bien un tuteur qui m’expliquait tout ce que je voyais, avec force détails.

Bref, Bibendum s’était substitué à mes professeurs et à mes écoles qui m’avaient tenu dans l’ignorance de toutes ces merveilles. Sauf pour un seul professeur d’art plastique, en secondaire II, qui nous avait montré des toiles impressionnistes. Excellent pédagogue, il nous amenait à faire la différence en un Monet et un Pissarro. Une faible lueur dans la caverne.

Je suis retourné voir la cathédrale Notre-Dame dix ans après ma première visite. Je savais à présent ce qu’était le style gothique pour avoir vu des dizaines d’églises du genre en Allemagne. La cathédrale de Cologne, massive, un véritable mammouth duquel il fallait s’éloigner de 300 mètres pour pouvoir en discerner les flèches. La vertigineuse cathédrale d’Ulm, celle de Fribourg-en-Brisgau. Le gothique flamboyait comme la musique de Wagner.

À présent, Notre-Dame de Paris me considérait avec amusement. Goguenarde, elle me demandait « Qu’est-ce que tu en penses, maintenant? » Ébloui, je mesurais tout le chemin parcouru.

Je contemplais cette merveille. Ses deux tours légèrement asymétriques, juste assez élevées pour en imposer, mais sans jamais écraser le visiteur. Cette magnifique rosace sur le fronton qui ajoutait une touche de couleur discrète. Une façade parfaitement équilibrée, aux dimensions idéales.

Sur les côtés, des arcs-boutants venaient soutenir les murs, de gentilles parenthèses élégantes. J’admirais les contreforts discrets eux aussi, la finesse des remplages sur les fenêtres en ogive. Pour emprunter un lieu commun, de la dentelle de pierre. Le gothique pouvait revêtir des habits plus subtils que ce que j’avais vu en Allemagne.

Comme tout le monde, j’ai grimpé les escaliers de pierre. Au pied des beffrois, j’entendais presque Quasimodo se glisser le long des poutres pour m’observer. « Encore toi? » Les gargouilles lançaient des regards de feu vers la ville. Tout en bas, les touristes semblaient à portée de voix.

Notre-Dame offrait la plus belle vue de la Ville Lumière. J’étais au cœur de Paris, à une hauteur humaine qui me permettait d’admirer la capitale dans toute sa splendeur. Rien à voir avec les hauteurs démesurées de la tour Eiffel.

J’ai revu Notre-Dame en 1992 et encore en 2011, comme si je rendais visite à une vieille amie. Hier, lorsque les flammes dévoraient le toit, j’avais l’impression de perdre un être cher. Mais Notre-Dame renaîtra et j’espère pouvoir verser mon écot à la souscription publique qui s’annonce. J’aurai l’impression de glisser ma toute petite pierre dans l’édifice de la connaissance. Pour qu’il continue de rayonner pour les siècles des siècles.

Addenda de 2024

Notre-Dame reconstruite a été inaugurée aujourd’hui, avec la flèche qui déchire encore le ciel, comme pour taquiner le Seigneur. Décrassée de la suie des siècles, sa nef resplendit de nouveau.

Une lumière éternelle, souhaitons-le.

4 réflexions sur « Notre-Dame de Paris »

  1. Très beau texte, André.
    Au-delà du monument, de son élégance architecturale, de sa symbolique et de tout ce qui a été dit ou écrit depuis hier, il faut aussi se rappeler l’histoire passionnante de l’essor des cathédrales, qui a marqué toute une époque en Europe.
    La chrétienté en était bien sûr le moteur, mais pas seulement : cette époque se caractérise aussi par la naissance du compagnonnage et de la maçonnerie, l’effervescence et l’émulation qui ont permis ces progrès architecturaux, etc. C’était une véritable révolution.
    On a abondamment cité Notre-Dame de Paris, de Victor Hugo, mais le drame d’hier est peut-être aussi l’occasion de lire ou de relire, entre autres, Le printemps des cathédrales, de Jean Diwo… L’auteur nous y fait vivre le quotidien de la construction d’une cathédrale, dans le climat de ferveur qui a poussé à édifier 86 de ces nefs de pierre pour la seule France (et de combien d’abbayes!). Je me souviens avoir eu du mal à lâcher ce roman passionnant il y a peut-être 25 ans (et accessoirement d’avoir dévoré avec le même plaisir les autres romans de cet auteur).
    Et puis, bien sûr, pour se plonger dans les mœurs de l’époque et même si ça se passe en Angleterre (mais le mouvement était à la grandeur de l’Europe), on relira aussi avec intérêt Les piliers de la Terre, de Ken Follett, dont l’action se déroule sur le lieu de la construction d’une abbaye.

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