Je est une autre, de Suzanne Aubry
Une scénariste en quête d’emploi devient le nègre d’une auteure célèbre… Bientôt, elle doit la remplacer dans un jury à Cannes, et les péripéties s’enchaînent. L’idée est originale, mais elle perd un peu de son souffle au fil du récit.
Mais l’auteure sait maintenir l’intérêt du lecteur en multipliant les péripéties amoureuses de l’héroïne, toujours empêtrée dans les fleurs du tapis.
La femme qui fuit, d’Anaïs Barbeau-Lavalette
L’histoire glaçante de Suzanne Meloche, l’une des instigatrices du Refus global. Glaçante, parce que cette femme aura deux enfants avec Marcel Barbeau et qu’elle les abandonnera rapidement, incapable d’assumer son rôle de mère.
Sa petite-fille, auteure du livre, tracera un portrait sans concession de sa grand-mère, dont elle essaie de cerner la psychologie. On y découvre une femme qui fuit ses sentiments profonds, centrée sur elle-même, qui erre dans la vie sans jamais rien accomplir. Le récit est haché, concis, les phrases sont courtes, l’auteur tutoie sa grand-mère et utilise le présent narratif.
Un livre original et troublant.
Ceci est mon corps, de Jean-François Beauchemin
Les croyants n’aimeront pas ce livre. Jésus a survécu à la crucifixion et il réfléchit sur son expérience mystique, ses ses apôtres et amis, et sur la vie en général. Il a dit avoir perdu la foi sur la croix, s’étonne de la notoriété qui a suivi sa mort et comprend mal la religion que l’on est en train d’ériger en son nom. Il est plutôt désabusé de la nature humaine et guère optimiste. Un livre qui fait réfléchir.
Le matou, d’Yves Beauchemin
Assez déçu de cet ouvrage mythique. Le début est divertissant : les personnages sont truculents et les péripéties se multiplient. Florent se fait rouler par un aigrefin au nom succulent de Ratablavasky ainsi que par un ami anglophone. Il acquiert un restaurant censé être une mine d’or, la Binerie, pour en être expulsé par un subterfuge désolant.
La volonté de vengeance guide le comportement de Florent, un touche-à-tout sans emploi qui se cherche continuellement, au grand dam de sa copine, impatiente d’avoir un enfant.
Pendant quelques centaines de pages, l’auteur nous entraine dans les tribulations de son personnage, dont l’entourage est haut en couleurs. À commencer par Émile, le gamin négligé de sa mère, futur délinquant et son chat Déjeuner ! Et que dire du grotesque Gladu, le journaliste raté, sans oublier le cuisinier français Picquot qui délaisse les cuisines du Château Frontenac pour venir officier… à la Binerie.
Mais le procédé finit par lasser, car Florent enfourche les passions les unes après les autres (hôtellerie, antiquités, etc.) sans jamais se fixer nulle part. En milieu de livre, je me suis demandé quel était au juste le fil conducteur de ce récit, pourtant encensé par un peu tout le monde. Je ne l’ai jamais trouvé.
Et au pire, on se mariera, de Sophie Bienvenu
Un roman saisissant dont la narratrice est Aïcha, enfant paumée de 13 ans qui vit dans le Centre-Sud de Montréal, au milieu des seringues jetées un peu partout dans un parc. Elle rencontre Baz, qui a deux fois son âge et s’attache à lui. Maladivement. À sa façon elle raconte comment ont fini par dégénérer pour prendre une tournure dramatique inattendue. Sophie Bienvenu est une excellente narratrice.
Jours de tourmente, de Marie-Claude Boily
Le premier tome raconte l’épidémie de variole survenue à Montréal en 1885, vécue par une famille de l’est de la ville. Les épreuves ne tardent pas et Amélia, qui cherche l’amour, le trouvera… pour mieux le perdre. La mort, les déceptions ne tardent pas à suivre et Amélia devra faire des compromis dans sa quête du bonheur.
Portrait intéressant de Montréal et du Québec de la fin du XIXe siècle. Le style est tout en retenue et laisse la place au récit qui se déploie sur 477 pages. Le second tome, paru en 2013, nous entraîne dans un autre monde : celui des colons canadiens-français du Manitoba. La pauvreté, le climat rude, des terres avares, mais aussi l’entraide et les petites haines, ponctuent le roman, dont la trame me paraît moins solide que celle du premier livre. Au centre de tout cela, le rêve d’Amélia, toujours en quête d’un bonheur qui semble toujours lui échapper.
Spizak, un cadeau ne se refuse pas, de Maryse Charbonneau
Maryse Charbonneau est une écrivaine aussi prolifique que prometteuse. Son livre se déroule au Moyen Âge et raconte l’histoire de Spisak enlevé par un groupe d’étranges mécréants… qui lui proposent l’immortalité.
Ce récit surprenant séduira tous les amateurs de romans historiques, ceux qui apprécient les langues étrangères (on y parle allemand, italien, arabe, russe, hongrois…) L’auteure plante un décor surprenant : les immortels cohabitent avec les mortels, mais ne doivent jamais se révéler. Les relations entre les membres du clan sont souvent tumultueuses, ponctuées du coups bas…
Le parcours de Spisak est surprenant : père de famille dans sa vie de mortel, il devient l’amant d’un des seigneurs immortels. Une remise en question qu’il assume fort bien.
Une brique de 500 pages qui demande du souffle, mais qui vaut la peine d’être lue.
Un dimanche à la piscine à Kigali, de Gil Courtemanche
Ce roman date de 2000, mais il garde toute son actualité. Une histoire bête de génocide froidement planifié, comme on en a tant vu au XXe siècle.
Les Tutsis sont d’origine éthiopienne; leurs traits sont plus fins. Les Européens les préfèrent aux Hutus, plus noirs. Ces derniers considèrent les Tutsis comme des cafards et veulent les exterminer.
Une tragédie se prépare, sous l’œil à la fois impuissant et indifférent des coopérants, diplomates, journalistes, prêtres et militaires onusiens.
Un journaliste canadien, Bernard Valcourt, est tombé amoureux d’une Tutsie. Il vivra le drame aux premières loges.
Un roman fort, dérangeant, qui expose dépeint sans fard une cruauté insupportable alimentée par une étroitesse d’esprit renversante.
Une œuvre crue, qui dérange et fait réfléchir.
Roux clair naturel, de Fanie Demeule
La jeune auteure talentueuse Fanie Demeule nous propose un livre très original : Roux clair naturel. Le personnage se teint les cheveux en roux pour garder son copain qui adore les rousses. Elle multiplie les manigances pour empêcher sa famille et ses amies de vendre la mèche.
Le récit d’environ 130 pages est bien mené. Un vrai petit suspense à la Hitchcock, car la narratrice n’a pas d’autre choix que de cacher la vérité. En effet, son ami lui a bien dit qu’il ne tolérait pas le mensonge. Or, comment lui avouer qu’elle se teint les cheveux sans admettre avoir menti?
Ce dilemme la pourchasse tout au long de ce roman fort bien écrit, amusant et philosophique. Car les questionnements sont multiples : le rôle de l’apparence dans notre société; les mensonges qui cimentent la vie sociale; les jardins secrets dans un couple.
Pas même le bruit du fleuve, d’Hélène Dorion
Je ne comprends pas toutes les éloges pour ce livre, à la fois mièvre et insaisissable. Le récit nostalgique, ponctué de références poétiques à la mer, est déroutant et souvent mal écrit. Un livre médiocre et quelque peu prétentieux, qui n’aurait jamais dû être publié.
Du bon usage des étoiles, de Dominique Fortier
Premier opus de cette talentueuse écrivaine, dont la plume enchante le lecteur. Elle raconte de façon très originale, l’histoire de la malheureuse expédition Franklin partie à la recherche du passage du Nord-Ouest, en 1845. Le navire est resté pris dans la glace et a dû être abandonné par l’équipage, qui a péri de la manière la plus atroce, abandonné de tous. Dominique Demers narre cette tragédie en lui ajoutant une dimension philosophique. Elle trace en parallèle un portrait de la société londonienne huppée qui, pendant que les marins meurent de faim, festoie de garden-parties en réceptions de tout genre. On y trouve d’ailleurs un menu et une recette de plum-pudding. Une œuvre qui sort vraiment de l’ordinaire. À lire.
Les ombres blanches, de Dominique Fortier
Dominique Fortier écrit comme un ange. La lire, c’est écouter les murmures d’une harpe, une petite musique de nuit. Une plume sensible, touchante, sans affectation, sans ostentation. Des phrases qui composent une broderie.
Les ombres blanches sont la suite des Villes de papier. Dans cet opus, l’auteure relatait les dernières années de la poétesse américaine Emily Dickinson, dont l’immense talent a été révélé après sa mort. Dickinson a terminé sa vie cloitrée dans sa chambre. Elle a demandé à sa sœur Lavinia de détruire tous ses écrits après sa mort.
Heureusement, Lavinia a conservé ses poèmes. Leur édition a été une tâche complexe, ce que raconte justement Les ombres blanches. Y mettront la main à la pâte Lavinia, Susan, la belle-sœur et compagne de cœur d’Emily, Mabel, la maitresse du mari de Susan et Milicent, la fille de Susan.
Ce ne sera pas une mince tâche d’éditer tous ces bouts de papiers ramassés pour en tisser une trame qui sera publiée. Ce récit devient presque secondaire quand on lit la prose de Dominique Fortier, une prose tissée elle-même de poésie et de fines observations. Ce livre suspend le temps et laisse songeur.
Une œuvre magistrale pour quiconque aime la langue française. Dominique Fortier est une très grande auteure à découvrir.
Les villes de papier, de Dominique Fortier, prix Renaudot 2020
Mon écrivaine favorite, Dominique Fortier, vient de remporter le prix Renaudot, en France. Pour son roman Les Villes de papier. Dominique Fortier est une auteure qui gagne à être connue. Elle écrit comme un ange.
Dans cet œuvre onirique, elle se glisse dans l’univers reclus de la poétesse Emily Dickinson, qui n’est presque jamais sortie de chez elle. À la fin de sa vie, elle refusait de rencontrer ceux qui lui rendaient visite.
L’auteure essaie d’imaginer sa vie, ses pensées, elle qui se donne tout entière à sa poésie. Cela fleure les odeurs des champs, sous le clair de lune, cette plume qui trace des rêves en grattant le papier.
Écrit avec beaucoup de finesse et de sensibilité, comme tous les livres de l’auteure. Une auteure qui entrecoupe son récit de quelques tranches de vie personnelle… en Nouvelle-Angleterre, là où Emiliy Dickinson a passé sa vie.
La réparation, de Katia Gagnon
La journaliste Katia Gagnon a écrit un intéressant roman sur le harcèlement en milieu scolaire, La Réparation. On voit qu’elle a fait des recherches sur la question et la trame de son livre est précise. L’auteure y démonte les turpitudes de ses personnages, leur cruauté, leur lâcheté, l’irresponsabilité des parents, la direction de l’école qui n’a pas eu le courage de réagir, jusqu’au suicide de la victime. Le livre tient en 200 pages et ne se perd pas en développements inutiles. Une belle réflexion appuyée par la réalité.
Kamouraska, d’Anne Hébert
Les récits tortueux de l’auteure ne sont pas toujours faciles à suivre. Ce roman, paru en 1971, est hanté par l’hiver : giboulées, tempêtes et bourrasques balaient l’histoire d’un amour adultère. Élisabeth d’Aulnières a épousé un homme violent dont elle se lasse. Elle devient amoureuse d’un médecin américain avec elle vivra une passion dramatique. Un des chefs-d’œuvre de la littérature québécoise.
Anita, une fille numérotée, de Claude Jasmin
Roman autobiographique de Claude Jasmin qui relate une idylle de jeunesse avec une jeune fille juive, dans le Québec antisémite et ultra catholique de l’après-guerre. Récit troublant à plusieurs égards sur cette société cimentée par des préjugés tenaces que l’auteur met bien en relief. Malgré l’intérêt du sujet, le récit s’étiole vite en batifolages innocents qui ne semblent jamais vouloir aboutir. L’auteur brosse un portrait à peine esquissé du milieu artistique de l’époque, multipliant les noms de personnalités devenues célèbres par la suite, mais sans aller plus loin. Le récit plaira surtout aux soixante ans et plus, mais demeure quand même instructif pour les plus jeunes.
Les lignes de désir, d’Emmanuel Kattan
Sara est née de père juif et de mère musulmane, alors on comprendra que son identité est complexe. Elle décide d’aller étudier à Jérusalem où elle sera vite confrontée au sempiternel conflit israélo-arabe, côtoyant des gens des deux côtés, qui chacun se méfient d’elle. Sara disparaît et son père entreprend un périple en Ville sainte pour la retrouver… Un livre introspectif et éclairant.
Ceux qui restent, de Marie Laberge
Il faut lire Marie Laberge. Son dernier opus, Ceux qui restent, est l’un de ses meilleurs. Écriture agréable sans flonflon pour la galerie, des personnages dont elle décortique tous les travers.
Sylvain se suicide et personne ne sait pourquoi. Sa mère a caché la tragédie à son jeune fil narcissique qui prendra un chemin de traverse pour le moins étonnant. Les parents de Sylvain se séparent et la mère ressemble à un bateau à la dérive. Lui tient le coup, non sans se poser toutes sortes de questions.
Entre en scène une barmaid apparemment mal dégrossie, mais pas mal plus futée qu’on pense. Elle remettra un peu d’ordre dans tout cela.
Un livre prenant axé sur la psychologie des personnages. Pas un mot de trop, pas une scène dont on se serait passé.
Une auteure qu’il faut connaître.
Le syndrome de la vis, de Marie-Renée Lavoie
Deuxième roman de l’auteur. Une œuvre originale sur une jeune femme insomniaque, Josée, terrassée par la fatigue, qui réfléchit sur sa vie, notamment sur sa relation de couple, somnambulique…
C’est joliment écrit : « J’ai dans la tête une vis sans fin qui ne me laisse tranquille qu’une fois mes idées, mes peurs, mes souvenirs hachés menus, désubstantialisés par les engrenages qu’elle met en marche. » Les touches d’humour abondent pour dédramatiser la situation. Ainsi, Josée perd sa voiture, pète une coche au cégep où elle enseigne… Des personnages pittoresques l’entourent : sa belle-sœur surmenée, des voisins originaux, un chat à trois pattes…
Récit attachant mais dont la fin laisse le lecteur un peu sur sa faim.
Le mur mitoyen, de Catherine Leroux
Une auteure à découvrir. Le mur citoyen, c’est cette barrière diaphane, invisible, qui sépare deux êtres, sans qu’ils ne s’en rendent compte. Le roman est une série de récits parallèles, finement écrits, qui finissent par s’entrecroiser, parfois avec un lien ténu.
Un roman assez audacieux, qui tient en haleine le lecteur, charmé par l’élégance de l’écriture et intrigué par des récits audacieux, qui pourraient toutefois en dérouter quelques-uns.
Madame Victoria, de Catherine Leroux
Un fait divers a inspiré ce brillant livre de Catherine Leroux. Un cadavre découvert aux pieds de l’hôpital Royal Victoria et qui n’a jamais été identifié. L’auteure s’est amusée à imaginer le passé de la jeune femme. Son récit, conjugué en plusieurs nouvelles, révèle tout le brio de son talent.
Sa plume élégante multiplie les figures de style. Elle engendre une ribambelle de Victoria, toutes contrastées. On passe d’une esclave en fuite à une mère éplorée qui cherche son enfant pourtant mort il y a bien longtemps. La fin du recueil est plus mystique et verse même dans la science-fiction : une voyageuse dans le temps égarée au vingt-et-unième siècle…
Catherine Leroux égrène ses histoires en quelques dizaines de pages toujours bien inspirées. Un ouvrage original qui met en lumière le talent de conteuse de cette écrivaine québécoise.
Le ciel de Bay City, de Catherine Mavrikakis
Une auteur atypique au style percutant, existentialiste, diront certains. Un roman sur le poids de l’histoire, avec des phrases taillées au scalpel… Les trouvailles stylistiques volent presque la vedette au récit, celle d’une jeune États-Unienne née de parents juifs, mais qui cherche à échapper aux griffes du passé, sous le ciel mauve du rêve nord-américain. La morosité de la vie, les rêves envolés, corrodés par un quotidien implacable. Un livre dur.
Les derniers jours de Smokey Nelson, de Catherine Mavrikakis
Écriture brillante, toute en sensibilité.
Un condamné à mort qui croupit depuis 19 ans dans un pénitencier de Géorgie, après avoir commis un crime abominable. Il a massacré une famille, le père, la mère et les deux enfants. Sans raison.
Tout au long du livre, on cherche à comprendre. Mais le mobile n’intéresse pas l’auteur. Ce sont plutôt les répercussions sur d’autres personnes rattachées au drame.
À commencer par cette femme que l’assassin a croisée dans le stationnement du motel où s’est déroulé le drame. Elle a fumé une cigarette avec tout en devisant gentiment avec lui. Un charmant bonhomme qui l’a même un tantinet flirtée!
Elle ne s’en est jamais remise. Peu de temps après, elle a quitté la Géorgie pour aller vivre à Hawaï. Mais, quelques jours avant l’exécution, elle y retourne, pour visiter sa fille. Le destin la rattrapera.
Le destin pourchasse aussi le père éploré qui a perdu sa fille, son gendre et ses deux petites filles dans la tragédie. Mais Dieu veille sur lui. Il raconte comment la foi l’a empêché de sombrer. Il a échappé à la dépression et au désir de vengeance. Non, Dieu s’en occupe. Le meurtrier ira pourrir en enfer, c’est certain. Aucune issue pour lui. Mais le père, lui, connaîtra un sort différent, car le royaume des cieux l’attend, très bientôt…
Le dernier chapitre relate le cheminement de l’assassin. Ou son absence de. La peine capitale sera sa délivrance, non pas des remords… mais de rien du tout. Une existence vide, un crime gratuit qu’il ne s’explique pas vraiment. Pas plus qu’il ne comprend pourquoi il a épargné le seul témoin qui pouvait l’identifier. Sa mise à mort donnera un sens à sa vie.
Mavrikakis, avec son écriture lumineuse, précise comme un scalpel, brosse en arrière-plan un portrait de la violence banalisée qui tapisse la société étasunienne.
La balade de baby, de Heather O’Neill
Le premier opus d’une lignée de petits bijoux, tant sur le plan de l’écriture que sur celui du récit. L’histoire de Baby, enfant vieillie prématurément par une vie difficile dans un quartier défavorisé de Montréal. Avec Jules, son père junky, entre autres. Heather O’Neill trace un portrait saisissant de ce monde parallèle de la drogue, des itinérants et des petits criminel. Un livre brillant, fantasmagorique ou presque, dont on s’arrache difficilement et qui annonce d’autres opus tout aussi inspirés : Mademoiselle Samedi soir et Hôtel Lonely Hearts.
Perdre la tête, de Heather O’Neill
Heather O’Neill est une auteure originale, née à Montréal. Son premier opus, La balade de Baby, nous emmenait dans le monde glauque d’une enfance difficile. Ses livres suivants étaient autant d’incursions dans des mondes fantaisistes qui envoûtaient le lecteur.
O’Neill vient de faire paraître Perdre la tête, son roman peut-être le plus achevé. Deux jeunes filles qui grandissent dans le Mile doré et nouent une amitié tumultueuse. La première, Marie Antoine, cherche le plaisir et le luxe. Elle prendra la direction d’une entreprise et deviendra tyrannique. Son amie Sadie, pour sa part, fuira ce milieu et s’installera dans une maison close dans un quartier malfamé, où elle connaitra des mésaventures.
La désidérata, de Marie-Hélène Poitras
Cette fois-ci, l’auteure nous invite dans un monde fantaisiste, qu’elle décrit comme suit : «Le récit est un roman, une fable ou un conte. L’action ne se situe pas au premier niveau de réel et l’instance narrative est ambiguë. Les personnages dansent, s’empiffrent et fredonnent, mais au-dessus de leur tête pend une épée de Damoclès. J’ai trouvé un écho direct à cette innocence teintée de noirceur dans les chansons pour enfants. On en connaît souvent que les deux premiers couplets et le refrain, mais quand on en découvre le texte complet, il y a de quoi tomber en bas de sa chaise! Ça faisait un bel écho à mon histoire et ça donnait d’une certaine façon un indice au lecteur ou à la lectrice. »
Soudain le Minotaure, de Marie-Hélène Poitras
Soudain le Minotaure, publié en 2002, est le premier roman de l’auteure. Elle remporte le Prix Anne-Hébert, tandis que le livre est salué par la critique. Le roman raconte l’histoire d’un viol du double point de vue de la victime et du violeur. Le portrait qu’elle trace de celui-ci en lisant dans ses pensées dénote un sens de la psychologie qu’elle a acquis dans sa jeunesse, en essayant de se mettre dans la tête de ses confrères de classe. D’ailleurs, le portrait du violeur est nettement plus réussi que celui de la victime, qui parvient peut-être un peu trop vite à s’extirper de sa peine. Néanmoins, Soudain le Minotaure vaut la peine d’être lu, ne serait-ce que pour s’initier au style d’une écrivaine à suivre.
Griffintown, de Marie-Hélène Poitras
Marie-Hélène Poitras est également cochère pendant quelques années dans le Vieux-Montréal. Ce travail lui inspire un second roman, Griffintown, paru en 2012, qui décrit l’univers mystérieux et inconnu des cochers. Le livre, à mi-chemin entre le polar et la galerie de portraits, dénonce l’embourgeoisement menaçant le quartier qui donne son titre au roman. Marie-Hélène Poitras déploie toute la richesse de son style, qui en vient presque à voler la vedette au récit. Les lecteurs se souviendront avec ravissement du Far-Ouest qu’elle décrit.
Biographie de Marie-Hélène Poitras.
Pourtant, le destin des deux filles est lié à celui de l’autre, même si tout semble les opposer. Les deux, à leur façon perdront la tête devant leur destin. Un roman puissant de pouvoir et de sexe, un peu longuet, mais qu’on n’abandonne jamais.
Paul à la maison, de Michel Rabagliati
Le bédéiste Michel Rabagliati est devenu une figure de proue du monde de la bande dessinée au Québec. Il a même été fait compagnon de l’Ordre du Québec. Sa plume sensible et son dessin aussi précis que nostalgique ont charmé les lecteurs.
Son dernier opus, Paul à la maison, vient tout juste de paraître. C’est le plus sombre de la série, avec Paul à Québec. L’auteur y expose sa solitude, sans fard, dans toute sa grisaille. Il est séparé, sa fille va s’établir en Angleterre et lui rend de moins en moins visite, sa mère souffre du cancer et va bientôt s’éteindre. Bref, Paul a le cafard.
Malgré tout, l’album est ponctué de touches d’humour piquantes, sur Facebook, les clubs de rencontre, la fascination pour les cellulaires, etc. La plume du dessinateur est toujours alerte, nous livrant quelques tableaux vivifiants des rues de Montréal, avec, comme il se doit, des illustrations empreintes de nostalgie.
L’une des qualités de Michel Rabagliati est son souci du détail lorsqu’il dépeint le quotidien. On reconnaît les tablettes des épiceries, les marquises de magasin, etc., toutes rendues avec réalisme. Son obsession pour les polices de caractère dans l’affichage commercial et routier est particulièrement amusante.
Notre bédéiste favori souffre de la solitude, mais avec tous les lecteurs qu’il rend heureux, Paul (ou Michel) ne sera jamais complètement seul.
Ces enfants de ma vie, de Gabrielle Roy
Un récit semi-autobiographique de Gabrielle Roy, qui se base sur sa propre expérience d’enseignante. Un habile mélange de fiction et de réalité. L’ouvrage porte le titre de roman, mais ce n’en est pas tout à fait un. Ces enfants vulnérables, tantôt rebelles, tantôt dépendants affectifs, ont vraisemblablement existé, peut-être d’une manière un peu différente que celle racontée par l’auteure.
Le récit le plus troublant, le dernier du recueil, est celui de Médéric, qui vit avec un père déséquilibré. La jeune enseignante de 18 ans parvient à dompter cet étalon arrogant de 13 ans, qui terrorise les institutrices et fait la pluie et le beau temps dans la classe.. Lorsqu’il assiste aux cours. L’institutrice va nouer une relation rapprochée avec le garnement, ce qui fera jaser le village. Le jeune homme l’amène dans berline et lui fait découvrir les alentours sauvages du villages, lui faisant découvrir des lieux inconnus. Mais cette promiscuité étonnante aura des conséquences.
Et voilà que l’innocente jeune femme sent soudain des appels sensuels intempestifs la submerger…
La prose toute en finesse de Gabrielle Roy continue de me fasciner.
Bonheur d’occasion, de Gabrielle Roy
Le chef d’œuvre de cette grande auteure canadienne, lauréate du prix Fémina et de celui du Gouverneur général. Un roman puissant, à la Steinbeck, qui trace le portrait de deux sociétés : le Montréal cossu des anglophones et celui des francophones englué dans la misère.
Florentine croupit dans le quartier populaire de Saint-Henri à Montréal. Son père, un doux rêveur, est toujours au chômage et la maigre paye de Florentine aide la famille à surnager. On comprend très vite qu’elle ne pourra jamais échapper à ce milieu.
Serveuse dans un restaurant, elle tombe amoureuse de Jean Lévesque, un jeune ambitieux travaillant dans une usine gérée par des Anglais. Il a juré de s’en sortir. Lévesque engrosse Florentine et disparaît. On est à l’époque où les filles-mères sont déconsidérées et la famille ne pourra jamais supporter le poids d’un autre enfant, car Florentine a déjà 12 frères et sœurs.
Confrontée à son destin, Florentine devra faire un choix terrible.
Les portes closes, de Lori St-Martin
Lori St-Martin narre avec grande sensibilité la déliquescence d’un couple. Le mari peintre est infidèle et collectionne les conquêtes parmi ses modèles qu’il jette ensuite comme de vieux mouchoirs. Un drame l’attend toutefois au détour. Son épouse, quelque peu désabusée, affronte la situation tout en ayant son propre jardin secret… Ce vase clos conduit à une longue réflexion un peu déprimante sur la vie à deux, mais elle ne manque pas d’acuité.
Pour qui je me prends, de Lori Saint-Martin
Toute personne bilingue ou polyglotte devrait se précipiter pour acheter Pour qui je me prends, un des ouvrages les plus remarquables que j’ai lus.
Lori Saint-Martin est traductrice; elle a publié en 2013 un roman, Les portes closes, que je recommande aussi. Mais son parcours personnel est unique : anglophone née à Kitchener, elle décide très jeune de rompre non seulement avec son milieu, cette ville provinciale sans intérêt, mais aussi avec sa culture anglophone. Elle décide à dix ans de devenir francophone et se met à la tâche.
Son livre est bien plus qu’un récit personnel, il est un hymne à l’apprentissage des autres langues, à ce bonheur indicible de devenir quelqu’un d’autre quand on parle le français et l’espagnol au lieu de l’anglais.
Ce bonheur fait sauter tous les obstacles du français : les listes de verbes à apprendre, l’orthographe, la grammaire… Le livre est parsemé de réflexions remarquables, profondes, sur l’apprentissage des langues.
Il FAUT lire Lori Saint-Martin.
Les murs, d’Olivia Tapiero
Livre captivant sur l’anorexie et l’internement. Très finement écrit par une jeune auteure au talent éclatant et prometteur. Une jeune fille suicidaire lutte contre ses démons devant sa famille dépassée, incapable de l’aider et qui semble faire partie du problème. Une complicité s’établit avec d’autres patientes et la narratrice traverse avec nous un long tunnel vers une guérison improbable. Lauréate du prix Robert-Cliche, Olivia Tapeiro se livre à un exercice de maîtrise de style particulièrement éblouissant.
Espaces, d’Olivia Tapiero
J’attendais avec impatience le second opus d’Olivia Tapiero et j’ai été déçu. Le point de départ est intéressant : une jeune fille est bouleversée par le suicide de sa coloc, à qui elle ne parlait pourtant pas. Commence pour Lola une longue errance qui la conduit dans les bras de son prof d’université, qui pourrait être son père. Elle se perd dans cette liaison, cherchant ses repères.
J’ai retrouvé la plume alerte de l’auteure, mais le récit, rendu sous un mode poétique, déçoit. Comme Lola, le lecteur est dérouté et cherche lui aussi à comprendre.
Ru, de Kim Thuy
Récit anecdotique et ludique sur l’arrivée au Québec d’une famille vietnamienne. Le choc des civilisations résumé par une histoire amusante sur la découverte du grille-pain… Mais avant le grille-pain, il y a eu la fuite du régime communiste en bateau sur une mer démontée. L’arrivée dans ce pays étranger aux hivers rigoureux, mais aux habitants chaleureux, curieux… On en voudrait plus… Kim Thuy s’interrompt souvent, change de lieu, d’époque. Une plaquette de 144 pages qui aurait pu en compter le double. Un grand succès de librairie.
Le Christ obèse, de Larry Tremblay
Un excellent auteur qui gagnerait à être connu. Edgar recueille une jeune femme qui vient d’être battue par quatre hommes dans un parc. Elle est inconsciente, au seuil de la mort. Edgar, un marginal, décide d’en prendre soin… avant de découvrir qu’il s’agit d’un homme travesti.
L’auteur de L’Orangeraie nous tient une nouvelle fois en haleine dans un drame raconté en douceur qui prend des allures terrifiantes, au fur et à mesure que la nature réelle de la victime commence à se révéler.
Larry Tremblay fait preuve, encore une fois, d’une maîtrise impressionnante de son fil narratif, un récit percutant de moins de 200 pages.
L’Orangeraie, de Larry Tremblay
Une plaquette qu’on dévore même si le thème récurrent et obsédant du Proche-Orient use toutes les cordes de notre patience.
Deux jumeaux, Amed et Aziz. L’un est atteint du cancer et condamné; l’autre en pleine santé. L’un des deux est choisi pour commettre un attentat suicide dans le camp ennemi après que ce dernier eut largué une bombe qui a tué les grands-parents.
Bientôt les deux jumeaux décident d’échanger leur rôle sans avertir les parents. Le résultat désastreux de l’attentat planifié est à lui seul un réquisitoire contre tous les conflits armés.