« Tu sais, Harry Potter, il ne meurt pas à la fin. » Révélation choc lorsque je lisais le dernier tome de la célèbre saga britannique. Quelle maladresse quand même.
En Europe, on dirait que j’ai été spoilé… bref qu’on m’a révélé le fin mot d’une intrigue, sabotant par le fait même l’effet de surprise. Car la rumeur courait que le célèbre sorcier périssait à la fin de la saga.
Autrement dit, mon ami m’avait balancé un spoiler par la tête.
Le mot en question figure dans les dictionnaires français. « Gâcher l’effet de surprise en dévoilant un élément clé de (un film, une série, etc.) » nous dit le Petit Robert.
Le Larousse offre même la conjugaison complète du verbe spoiler, dont l’imparfait du subjonctif et le plus-que-parfait du subjonctif… Ce qui peut donner des résultats cocasses :
Que tu eusses spoilé le baron, passe encore,
Mais il eût fallu que je le spoilasse aussi.
Contourner le problème
Comme cela arrive souvent, il est difficile de remplacer le mot unique anglais par un équivalent français. Il faut donc recourir aux périphrases.
- Dire, donner le fin mot de l’intrigue.
- Révéler la fin.
- Vendre la mèche.
- Gâcher l’effet de surprise.
Il y en a bien d’autres.
Traduire à tout prix
Spoiler est un anglicisme qu’on entend souvent au Canada. Mais certaines têtes brûlées au Québec se sont ingéniées, dans un délire qui ne cesse d’étonner outre-Atlantique, à essayer de le traduire en français.
Le fruit des élucubrations de l’Office québécois de la langue française ne manquera pas d’étonner les Européens, Africains et les Asiatiques : divulgâcheur…
Non, il ne s’agit d’une autre pitrerie d’un correcteur orthographique aviné. Un mot-valise dont les irréductibles Québécois ont le secret. En divulguant un élément de l’intrigue, on gâche le plaisir d’autrui.
Le sens est là, mais pour ce qui est de l’élégance du propos on est loin de Molière, avouons-le. D’autant plus que divulgâcheur a engendré deux autres rejetons : divulgâcher et divulgâchage.
Malgré tout le terme a fait son petit bonhomme de chemin et se voit dans les publications canadiennes. Mais il a peu de chance de se tailler une place ailleurs, sauf dans les musées de curiosités.
J’aime beaucoup « divulgâcher »! Je l’ai entendu à quelques repises dans la bouche d’un conférencier cet automne et j’ai décidé de l’adopter!
Il y a aussi « télévorer », un petit nouveau dans Antidote, équivalent pour « binge-watcher ». Je trouve ça mignon!
Je suis d’accord avec le commentaire ci-dessus de Stéphanie Tétrault. « Divulgâcher » et ses dérivés n’est peut-être pas le mot le plus élégant, mais on saisit tout de suite de quoi il s’agit.
Le canadien « divulgâcher » est bien arrivé en France. Certains animateurs de la radio France Culture l’utilisent systématiquement à la place de « spoiler ».
« Mais il a peu de chance de se tailler une place ailleurs, sauf dans les musées de curiosités. »
J’entends pourtant divulgâcher à la radio française, sur France Inter dans mon cas
Passe à la limite que Larousse décide d’accueillir et de franciser, conjugaisons à l’appui, un mot anglais. Ce ne serait pas la première fois. Mais si on avait été cohérent, on aurait au moins placé un tréma sur le i. Parce qu’il faudra m’expliquer comment le son « oi » peut se prononcer « oï » en langue d’oil comme en langue d’oc.
La passion des calques lexicaux entre l’anglais et le français, j’ai toujours trouvé ça très drôle. Vouloir qu’à un mot d’une langue A corresponde toujours un mot d’une langue B, c’est indexer une langue sur une autre (comme on indexe des monnaies), et c’est donc finalement embrasser l’influence étrangère qu’on prétend juguler. À mon sens, « divulgâcher » n’est donc pas mieux que « spoiler » — voire pire, car si le second correspond au moins à un usage réelle, le premier est une création artificielle, in vitro.
Le degré de précision attendu varie suivant les langues et les contextes énonciatifs. Avant la mode du « spoiler » (du moins en France, je ne puis me prononcer pour le Québec), on disait « il m’a révélé/dévoilé/raconté/divulgué la fin ». Oui, « divulgué » suffisait. Que cette divulgation intempestive du nouveau film policier ou thriller à la mode pouvait gâcher une sortie ciné prévue par l’interlocuteur (à raison), ça se comprenait via le contexte.
Entre l’emprunt abusif et servile d’anglicismes, et la création de mots-valises-calques douteux, il m’apparaît y avoir une troisième voie : parler français non pas dans la lettre, mais dans l’esprit, si j’ose dire…
Merci de votre intéressant commentaire. Au Québec, divulgâcher s’entend souvent. Mais, comme vous, je pense que souvent le contexte est assez clair pour se passer d’une traduction, comme dans le cas de dévoiler la fin.