- Les débuts
De 1984 à 1987, j’ai travaillé comme rédacteur de nouvelles à la radio de Radio-Canada à Montréal. Voici le récit de ma brève expérience en journalisme.
Je venais de terminer ma maîtrise en science politique, j’avais appris l’allemand et l’italien à l’université. Je souhaitais tout simplement enseigner dans un cégep. J’étais un baby-boomer, certes, mais ceux qui étaient légèrement plus âgés que moi avaient raflé les emplois intéressants de professeur et ils n’étaient pas sur le point de partir.
Par hasard, je rencontre mon ancien prof Paul-André Comeau chez Archambault. Il me dit que Radio-Canada embauche des surnuméraires pour ses salles de rédaction nouvelles. Je présente ma candidature et suis retenu pour un stage de formation à la radio. Je fais mes premières armes au printemps 1984.
Entrer dans une salle de nouvelles a quelque chose d’impressionnant. On entend le cliquetis fébrile des machines à écrire; on voit un affectateur qui appelle Pékin, un chef de pupitre qui met la dernière main au bulletin de 17 heures et le lecteur de nouvelles qui court vers le studio (il reste 30 secondes avant d’entrer en ondes). Et les téléphones qui sonnent…
Être rédacteur de nouvelles n’est pas si facile qu’on peut le penser. Prendre une série de dépêches fourmillant de détails, en extraire l’essentiel, et en faire un texte de 8 à 12 lignes relève du tour de force. Être concis ou périr. Il faut donc maîtriser le français, avoir un vocabulaire riche. Et surtout apprendre à isoler l’élément fondamental de la nouvelle. Il faut capter l’attention du lecteur; avoir des phrases courtes et limpides; ne pas se perdre dans les détails, mais en dire le plus possible.
Heureusement, j’étais un rédacteur doué.
Je découvre assez vite que Radio-Canada est à la fois un panier de crabes et un couvent. Un panier de crabes qui ressemble à une cour d’école : tel journaliste bougon qui méprise les surnuméraires issus des rangs universitaires et qui n’y connaissent rien. Cela confinait à l’intimidation. Je n’en revenais pas de cette attitude, heureusement assez rare. Mais j’ai vite découvert que les journalistes manifestaient beaucoup de cynisme par rapport aux politiciens, à la vie en général. Cela surprend.
Ce qui me jette à terre, c’est de voir le peu de conscience sociale de beaucoup de journalistes. Le chômage chez les jeunes les indiffère; ils côtoient des surnuméraires comme moi, précaires, et s’en fichent éperdument. Ils trouvent qu’ils sont moins bien payés qu’à La Presse…
Heureusement, la plupart de mes nouveaux collègues sont plutôt sympathiques et cherchent à m’aider. Une cheffe de pupitre me prend un peu sous son aile : elle ressemble à Angela Merkel…
De l’aide, j’en avais besoin, car il y a bien des choses à apprendre. Par exemple, le montage des topos, ces reportages envoyés par téléphone et enregistrés à la régie sur bandes magnétiques. Le journaliste va dans une salle et travaille sur un magnétophone. Il peut couper une phrase ici, raccourcir un développement trop long un peu plus loin. Comment? Mais avec une lame de rasoir! On coupe au début du premier mot de la phrase et après le souffle de la fin de la phrase. Sinon, la coupure paraît trop et le reporter a l’air de parler de façon saccadée. On envoie ensuite la bande à la régie qui la transfère sur une cassette audio. C’est elle que le chef de pupitre apporte au studio.
Pour nous exercer, on nous donnait une entrevue de Jacques Parizeau entrecoupée de longues pauses, respirations, etc. Il fallait la « nettoyer ».
Cette technologie des bandes magnétiques est évidemment dépassée. Aujourd’hui, on procède par ordinateur.
Un jour, un technicien s’est amusé à faire jouer à répétition le début d’une citation du pape Jean-Paul II : « Je viens… je viens… je viens… » Quand j’ai levé la tête, il me regardait avec un grand sourire. Parce qu’il y a des facétieux à Radio-Canada.
Et il y a ce reportage que j’avais charcuté, parce que trop long. Le chef de pupitre m’engueule et me dit de reconstituer la bande… Donc ramasser les coupures étalées par terre et restaurer l’original… Heureusement, un technicien a eu pitié de moi et m’a aidé à tout recoller.
Un jour, mon collègue Robert Verreau et moi avons emporté l’enregistrement de la chanson psychédélique Tomorrow Never Knows, des Beatles. Avant-gardiste pour l’époque (1965), on y entend des bruits étranges et des instruments de musique joués à l’envers. Nous avons demandé au technicien de copier l’enregistrement sur une bande magnétique et de la faire jouer à l’envers pour que nous entendions les instruments « à l’endroit ».
Stupéfaction. Le fond sonore est le même dans les deux sens! « Je ne sais pas comment ils ont fait cela », a commenté le technicien.
L’informatique fait une entrée timide dans la salle de rédaction. Un directeur amateur d’ordinateur – nous sommes en 1984 – a décidé qu’on se servirait d’une machine pour traiter le fil de presse. Nous sommes à la glorieuse époque du DOS avec ses écrans gris et caractères verts ou orange… Une mise en gras du carré de l’AFP signale qu’il y a une urgence. Mettons qu’on est loin des ordis modernes…
Néanmoins, cette technologie met fin au ruban de papier qui se déversait sans cesse et que nous devions sans cesse traiter. Mais les anciens étaient farouchement opposés à cette innovation technologique. Déjà le fossé des générations.
Je ne le savais pas encore, mais je n’étais pas le genre de personne que cherchaient les responsables de l’information à Radio-Canada.
Quels beaux souvenirs! J’ai eu le grand plaisir de lire ce carnet, André. Merci de l’avoir partagé.
Être rédacteur de nouvelles pour un réseau de télévision : ça pourrait être intéressant pour moi. À suivre…
Merci Dwain! Je vous souhaite bonne chance.
Plaisante lecture que cette série de souvenirs de Radio-Canada.
Très bonne, l’anecdote sur l’extrait du pape passé en boucle !