Le concept est anglo-saxon, alors il est normal qu’il soit exprimé en anglais, du moins dans un premier temps.
Les sensitivity readers sont des traqueurs qui scrutent les manuscrits pour isoler les expressions susceptibles d’indisposer certains membres des minorités. Ces épurateurs modifient le contenu des œuvres pour les rendre plus acceptables.
On a tous entendu parler de Dix petits nègres d’Agatha Christie dont le titre est devenu Ils étaient dix. Ce qui est moins insultant, on avouera.
Kevin Lambert, lauréat québécois du Prix Médicis pour Que notre joie demeure, a embauché une Canado-Haïtienne pour s’assurer de la crédibilité d’un personnage d’origine haïtienne.
Ai-je besoin de préciser que ce courant de purification littéraire vient des États-Unis? Nul ne sera surpris qu’il envahisse le Canada, mais aussi la France et sûrement le reste de l’Europe.
Traduction
L’Office québécois de la langue française propose lecteur sensible, mais aussi démineur éditorial. Voilà qui ne manque pas de piquant et ce dernier terme a été proposé par la Commission d’enrichissement de la langue française.
Il est clair que l’américanisme est promis à un bel avenir ici et en Europe. Cela ne signifie pas qu’il est impossible de la traduire en français.
Je salue le journal parisien Le Figaro qui se donne la peine de chercher des traductions, contrairement au Monde qui se gargarise allègrement dans ce nouvel anglicisme excitant.
La récolte ne manque pas d’intérêt : conseillers culturels, correcteurs de sensibilité, mais aussi des traductions plus radicales comme censeurs littéraires. Évidemment, ce dernier terme n’est pas tout à fait neutre, c’est le moins que l’on puisse dire. Les personnes à l’affut de la moindre incartade sémantique seront évidemment fâchées qu’on les traite de censeurs. Par ailleurs bien des gens estiment qu’ils n’ont pas à se faire dire ce qu’ils doivent ou ne doivent pas lire.
À mon sens, correcteurs de sensibilité est une belle trouvaille. Des lecteurs m’ont envoyé toutes sortes de suggestions, que je vous livre en vrac : expurgateurs, euphémisateurs, aseptiseurs...
Un lecteur me signale le terme anglais bowdlerization, du nom de Thomas Bowdler qui, au XIXe siècle, a épuré les œuvres de Shakespeare pour qu’elles conviennent mieux aux femmes et aux enfants.
Donc, rien de nouveau sous le soleil. Dans quelle mesure ces propositions arriveront-elles à s’implanter? Je demeure d’un optimisme prudent…
Maître André,
« correcteurs de sensibilité », non :
ils ne corrigent pas les sensibilités, malheureusement : ce sont les sources de préjudice pour ces sensibilités qu’ils corrigent – enfin, censurent. De fait, ils s’attaquent aux émetteurs, pas aux récepteurs.
Pas davantage « lecteurs sensibles » : oui la sensibilité est une qualité qu’ils doivent avoir – enfin, ils doivent détecter que « gros glandeur » causera une incommensurable affliction aux personnes en surcharge pondérale atteintes d’hypertrichose palmaire, même si eux-mêmes en rient ;
mais les mot anglais sont « Sensitivity reader », pas « Sensitive reader », n’est-ce pas ?
Tout à fait d’accord avec Bertrand.
Je parlerais plutôt d’épurateurs culturels ou d’assainisseurs de textes… Ça me semble plus fidèle à ce dont il s’agit fondamentalement…